Bernard Bouchon, vigneron à Bordeaux, pensait passer une retraite paisible, mais son fermage a été abandonné l’an dernier et le prix à l’hectare de ses vignes diminue régulièrement. Le foncier viticole a encore quelque peu diminué depuis un ou 2 ans sur les petites appellations de Bordeaux, il se situe autour de 12000 à 15000 euros selon la SAFER, mais sur certains terroirs, gélifs ou couloirs de grêle, les prix peuvent tomber à 5000 € voire ne plus se vendre du tout. Et à côté de cela, une vente a eu lieu l’an dernier à Pomerol à 8,5 millions l’hectare ! Côté châteaux a mené l’enquête.
Bernard avait un nom prédestiné… Bouchon. Pour sûr, prédestiné au métier de vigneron et à Bordeaux, qui plus est, on l’était de père en fils…« Vous me demandez depuis quand je suis vigneron ? Depuis ma naissance ! Je suis fils de viticulteur et il n’était à l’époque pas envisageable qu’un fils de viticulteur puisse faire autre chose… A 14-15 ans, on travaillait déjà à la vigne… »
S’il a pris sa retraite en 2016, c’est aussi pour permettre à son épouse d’avoir elle-même une petite retraite en lui transférant une partie de propriété, même s’il sait que la retraite de sa femme ne sera pas mirobolante. Son château Gadis, il l’a acquis en 1978, 12 hectares achetés auprès de la SAFER dans l’Entre-deux-Mers en Gironde, aujourd’hui il compte 15 hectares au total.
Pour préparer sa retraite, il a vendu 3 hectares, mis 6 hectares en fermage et gardé 6 autres pour faire de l’ordre de 30 000 bouteilles, avec de la vente à la propriété qu’il a essayé de développer au maximum ces dernières années.
Le problème c’est que l’an dernier, celui qui lui louait ses vignes a abandonné le fermage au mois d’avril, en période de covid, car le prix du tonneau qui était monté jusqu’à 1500 € a chuté à 700 €, d’où l’impossibilité pour ce fermier de continuer en vendant à perte. « A 66 ans l’an dernier, je n’ai du coup pas pu trouver quelqu’un et je n’allais pas faire le travail, vu le prix diu tonneau, et donc je n’ai pas travaillé ces vignes… »
J’appartiens à une génération où on avait une fierté à reprendre une exploitation, aujourd’hui la fierté est accolée à un vrai malheur ».
« Le foncier viticole aujourd’hui traduit une difficulté majeure pour beaucoup avec un taux d’endettement assez élevé sur des valeurs foncières autrefois de 25 à 30 000 euros, rendus à 12 à 15 000 euros aujourd’hui avec un cours du tonneau à 700 € alors qu’il était monté à près de 1500… », commente encore Bernard Bouchon. »On est sur le foncier viticole le meilleur marché de France, même les terres arables valent plus cher. C’est insupportable d’arriver à payer moins cher la vigne que la terre nue… »
A ses côtés, Dominique Techer de la Confédération Paysane qui constate que ce que vit Bernard est « général et un drame silencieux car on n’en parle pas.Les gens font leur comptes et donc tout ce que j’ai en fermage je l’abandonne, parce que je ne gagne pas d’argent dessus, et donc il y a des retraités qui gagnent 600 à 800 € de retraite, ils avaient un fermage pour faire un complément de retraite, et ils se retrouvent avec zéro » (rentrée au niveau du fermage).
« C’est dramatique parce ce que les viticulteurs ont investi en fonction de cette valeur du foncier viticole et de l’hectolitre de vin, donc les gens qui ont fait des investissements vont se retrouver dans une situation où la valeur de leur patrimoine ne suffira pas à rembourser les dettes qu’ils ont auprès du Crédit Agricole…J’éprouve un sentiment de tristesse car une profession que j’ai aimée , que j’ai connue toute ma vie , qui en arrive à une telle situation est une profession en perdition…je ne sais pas ce qu’il va en rester sur la génération suivante… » poursuit Bernard Bouchon.
Confirmation de cette tendance auprès du président du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, Stéphane Gabard, rencontré sur son domaine à Galgon : « au niveau des prix on constate une légère baisse, mais un marché assez stagnant.
Il y a quelques ventes qui s’effectuent mais cela va dépendre de la situation des terroirs, des parcelles, les bons terroirs ou à côté d’exploitations dynamiques ont tendance à se vendre, par contre on obtient des secteurs où là il y a carence d’acheteur et là ce n’est même plus une question de prix, il n’y a plus du tout de preneur », Stéphane Gabard pdt Bordeaux et Bordeaux Supérieur
« On a un marché qui est très compliqué depuis quelques années avec des prix qui sont plutôt à la baisse, avec une succession de catastrophes naturelles qui impactent grandement nos récoltes donc une situation pour le viticulteur quand même assez dure, on a une pyramide des âges aussi passablement inversée avec une majorité d’exploitations conduites par des personnes qui sont âgées voire très âgées, qui n’ont pas obligatoirement de repreneur, les métiers de la terre ne font plus rêver, on a une désaffection dans les lycées agricoles de jeunes en formation; donc voilà beaucoup de surfaces à prendre, qui doivent changer de propriétaires et tout compte fait peu d’acquéreurs. »
Pour Michel Lachat, gardien du temple ou plutôt de ces chiffres des transactions, en tant que directeur départemental de la SAFER Nouvelle-Aquitaine: « le vignoble bordelais est en crise, on peut dire, cela ne date pas du covid, les premiers signes on les a constaté en 2019 avec des vignes à vendre en situation importante, le nombre d’acheteurs qui diminue du fait de la situation économique: on a un rapport entre l’offre et la demande qui se détériore avec une offre conséquente et une demande plutôt légère », Michel Lachat directeur SAFER 33. Sans compter la disparité des prix avec certains hectares qui peuvent se vendre 2 à 3 millions d’euros à Pomerol, Pauillac ou Saint-Emilion et puis sur des parcelles les moins intéressantes du bordelais quelques milliers d’euros.
Le coeur du marché en vignes AOC Bordeaux se négocie entre 12000 et 15000 euros l’hectare pour des vignes en bon état, par contre pour des vignes mal placées, qui ont subi des sinistres climatiques liés au gel et dont le matériel végétal est en mauvais état, là on peut tomber assez bas, il y a eu des transactions à 5000 à 6000 € l’hectare effectivement », Michel Lachat directeur service foncier Gironde de la Safer
« Après pour des plateaux bien exposés notamment de l’Entre deux Mers avec des vignes bien structurées (d’un seul tenant) et des vignes qui sont aux normes par rapport au cahier des charges de l’appellation bordeaux, on voit encore des transactions se réaliser à 17000-18000 € l’hectare voire 20000 € même si ce n’est pas la règle aujourd’hui (entre 12000 et 15000€ l’hectare). Bordeaux est riche de 1000 et un talents en terme de viticulteurs et les périodes de crise sont aussi pour des personnes innovantes des périodes particulières pour exprimer un talent particulier. Dans cet environnement un peu dégradé, il y a des gens qui continuent à y croire et à investir »
Et pour être tout-à-fait juste, Michel Lachat souligne que « des jeunes continuent à s’installer avec des dispositifs un peu particuliers, soit parce qu’ils ont pu bénéficier de portage du foncier (la SAFER achète du foncier qu’elle stocke pendant 5 ans, ce qui permet à ces jeunes d’exploiter pendant 5 ans avant d’avoir à payer la première annuité foncière), soit en ayant recours à des groupements fonciers viticoles, on trouve toujours des investisseurs qui vont le mettre à disposition de viticulteurs qui vont l’exploiter, cela existe et peut permettre à des jeunes de se lancer en viticulture. »
CA ce jour Bordeaux compte 5800 vignerons qui exploitent 110000 hectares de vigne, selon le CIVB, la surface moyenne est de 19 ha par vigneron, la production annuelle est en moyenne de 5 millions d’hectolitres de vin, 3 millions 900000 hectolitres ont été commercialisés sur les 12 derniers mois.
Prix du foncier moyen par appellation dans le vignoble bordelais selon la SAFER (chiffres actualisés):
- Bordeaux-Bx Supérieur : 12000 – 15 000 €
- Entre-Deux-Mers : 12 000 – 15 000 €
- Côtes de Bordeaux : 13 000 – 20 000 €
- Graves : 27 000 – 50 000 €
- Sauternes : 30 000- 35 000 (et jusqu’à 100 000 proche Yquem)
- Médoc : 35 000 – 50 000€
- Haut-Médoc : 50 000 – 80 000
- Saint-Estèphe : 280 000 – 900 000
- Margaux : 1,2 million à 2 m
- Pauillac : 2,5 à 3 en augmentation avec une vente à 3,5 m
- Saint-Emilion de 200 000 0 2,5-3 millions
- Pessac-Léognan de 450 000 à 700 000 €
- Pomerol 2 à 3 millions avec une vente exceptionnelle à 8,5 millions d’euros (sur micro parcelle)