13 Nov

Commercialisation des vins de Bordeaux : un net ralentissement des ventes

4 millions d’hectolitres commercialisés sur les 12 derniers mois contre 4,7 en 2018; le marché de Bordeaux subit un contexte difficile sur ses grands marchés à l’export (Chine, Hong-Kong, Etats-Unis, Grande-Bretagne) et en grande distribution avec -10% en foires aux vins cet automne. Le prix du tonneau de Bordeaux en vrac est largement repassé en dessous des 1000 euros, un prix en dessous duquel les vignerons ne peuvent pas vivre…

On ne peut pas dire que tous les indicateurs sont au rouge, mais pas loin… C‘est difficile, en ce moment, de vendre du rouge ! Et cela fait 18 mois que cela dure.

Que vous soyez petit vigneron, grand propriétaire, courtier ou négociant, c’est toute la filière qui est touchée. Avec un ressenti plus fort pour les petits qui vendent en vrac du vin qui souvent ne trouve pas preneur, d’où un effondrement des cours comme le souligne Xavier Coumau président du syndicat des Courtiers de Bordeaux : « on a du mal à trouver des débouchés à 800 €, quelques fois à 700… A l’heure actuelle, « ce sont 10000 hectolitres qui se commercialisent par semaine, alors qu’habituellement on arrivait à 30 000 hectolitres. » Un coup d’arrêt ? Pas sûr, mais un marché atone, morose qui ne semble pas rebondir dans l’immédiat.

DES MARCHES A L’EXPORT COMPLIQUES

Comment expliquer ce désamour de Bordeaux ? En fait, c’est compliqué et surtout multifactoriel… « Quand on est en direct avec le consommateur, cela se passe bien, comme Blaye au Comptoir Paris qui s’est très bien passé« , me précise Michaël Rouyer, directeur du syndicat des Blaye Côtes de Bordeaux. « Mais quand on parle du grand export et de la grande distribution, c’est compliqué. On est à -20% et -13% en GD. Et ce n’est même pas une question de prix, , c’est plutôt l’image de Bordeaux qui n’est pas top en ce moment. Alors, il faut se bouger en restauration, chez les cavistes, on a des vignerons présents sur le terrain, comme sur nos opérations Blaye au Comptoir »

Jean-Pierre Rousseau de la Maison de Négoce Diva © Jean-Pierre Stahl

Jean-Pierre Rousseau, dirigeant de DIVA, maison de négoce franco-chinoise basée à Bordeaux connaît parfaitement le marché asiatique premier marché à l’export des vins de Bordeaux : « les Chinois adorent toujours nos vins, mais ils ont du mal à sortir l’argent et la porte arrière Hong-Kong est toujours bouclée, cela n’a pas l’air de s’arranger. « 

Nous prenons des claques de tous les côtés, nous prenons des claques à Hong-kong compte tenu des événements qui ne font que s’aggraver, la Chine a du mal à sortir le cash, même s’ils en ont beaucoup … les Etats Unis nous ont taxé à hauteur de 25%, mais 25% ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », Jean-Pierre Rousseau Maison de Négoce Diva

Et le négociant de compléter: « à la fin l’augmentation avec une accumulation de taxes et de profits pourrait être de 50% sur l’étagère comme on dit, le Brexit après-demain…sans parler de la grande distribution française un peu fâchée aussi, donc on ne voit pas vraiment d’où viendrait le soleil… »

LES PETITS VIGNERONS SUBISSENT

Paul Cardoso exploite 13,5 hectares de vignes en Castillon Côtes de Bordeaux © JPS

Paul Cardoso, petit vigneron à Belvès-de-Castillon me confirme n’avoir pas encore vendu tout le millésime 2018, alors même qu’il a fallu rentrer le 2019 « avec la petite récolte de 2017 due au gel, on a pu loger le vin…Mais depuis la mi-mai il y a un ressenti au niveau trésorerie. » Ce sont ainsi 400 hectolitres qui sont toujours à la vente sur 630 de la récolte 2018.

C’est très très compliqué, nous avons vinifié le 2019 avec pratiquement tout le 2018 dans le chai, on a vendu une petite partie du 2018 avec un suivi que nous avons, mais tout le reste n’a pas été vendu et c’est très très compliqué financièrement parlant » Paul Cardoso vigneron.

Florence Cardoso, son épouse, qui est co-présidente de Solidarité Paysans d’Aquitaine et de SOS vignerons, accompagne les viticulteurs en difficultés et dresse ce constat : « le téléphone de Solidarité Paysans ne cesse de sonner, les vignerons ont eu déjà d’énormes difficultés pour financer leurs vendanges, puisque le 2018 est resté dans le chai, et ils ne savent pas comment passer le cap… » Et Florence Cardoso de traduire la détresse vécue par certains : « malheureusement on a des gens qui sont au bord du suicide, à ce moment-là on va chez eux, on essaie de faire un état des lieux, et on les accompagne pour arriver à trouver des solutions, des procédures de redressement judiciaire en cas de cessation de paiements. Et puis, il y a des vignerons qui nous appellent car ils se rendent compte que cela va être compliqué, mais qui ne sont pas encore en cessation de paiements, et là on va les accompagner dans, ce que l’on appelle, la procédure de sauvegarde… » (Florence Cardoso conseille à tous ces vignerons d’appeler Solidarité Paysans afin de s’organiser au plus tôt face aux difficultés car « plus on est en avance, plus facile est le remède »).

Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Guillaume Decaix, Dominique Mazeres, Floriane Pelé diffusé dans le 12/13 de France 3 Aquitaine ce 13 novembre : 

Encore beaucoup de 2018 à vendre à Bordeaux © JPS

LE CIVB EVOQUE DES ACTIONS EN JANVIER

De son côté, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux s’apprête à communiquer début décembre sur des pistes d’action, qui sont encore en pour-parlers au sein de l’institution.

Toutefois, les chiffres parlent d’eux mêmes: « on a vendu 4 millions d’hectolitres sur les 12 derniers mois, et en 2018 on en a produit 5,1 millions » commente Christophe Chateau, directeur communication du CIVB. Néanmoins il faut prendre en considération la production sur ces 3 derniers millésimes : « 3,5 millions de vins de Bordeaux produits en 2017 (année du gel avec -40% de récolte), 4,7 millions vendus en 2018 ; 5,1 millions produits en 2018 et 4 millions vendus en 2019. Si on additionne ces deux années on obtient 8,5 millions produits et 8,7 millions vendus… mais on a encore le 2019 qui devrait avoisiner les 5 millions d’hectolitres »

A l’export, Bordeaux subit une baisse de -11% en volume sur les 12 derniers mois (mais +11% en valeur). Cette baisse est importante et entraînée par la Chine -29% en volume (+2 en valeur) et Hong-Kong (-20%) en volume sur les 6 derniers mois, avec une légère reprise en Chine intérieure où la baisse n’est plus que de -6% sur les 3 derniers mois, en affinant, mais aussi avec une baisse plus importante de -33% sur Hong-Kong sur ces 3 derniers mois qui correspondent à la crise vécue sur place.

« Tout confondu, Bordeaux recule de -16 à -17% sur les 12 derniers mois. A cause de la baisse de 40% de la récolte sur le 2017, les prix ont augmenté de 1100€ à 1500€, mais avec une perte de marchés sur les entrées de gamme. Puis les prix se sont cassés la figure en 2018 avec un contexte pas bon, notamment du au libre échange Chine-Australie, à la « guerre civile » à Hong-Kong, aux +25% de taxes de Trump aux USA et au Brexit. On attend les chiffres de la grande distribution, qui ne sont pas très bons, notamment les foires aux vins ont baissé de l’ordre de 10%. »

« Le prix du vrac est de 850 à 900€ en moyenne, avec un premier prix à 750, mais à ce prix là les gens ne peuvent pas vivre », commente encore Christophe Chateau, (ce sont environ 38% des volumes commercialisés (en vrac)).

Charles Ripert du bureau Ripert, courtier en vins quai de Bacalan à Bordeaux © JPS

DES JEUNES A CONQUERIR OU RECONQUERIR

Pour Charles Ripert, célèbre courtier en vins de la place de Bordeaux, on paie aussi de nombreux reportages ciblant Bordeaux  » : effectivement, le Bordeaux bashing joue, mais c’est pour moi exagéré ! On n’utilise pas plus de pesticides à Bordeaux qu’ailleurs, on en utilise autant que partout en France, sauf qu’on est la plus grande région viticole donc la plus grosse consommatrice en volume, il y a un problème d’image aussi: Bordeaux a une image statutaire par forcément fun pour les jeunes, et donc il y a du travail à faire. Au niveau typicité des vins, beaucoup de travail a été fait et la qualité a été largement améliorée aussi. »

Les pistes de travail sont comment développer la demande et peut-être aussi réduire l’offre. Pour développer la demande, le week-end de la Saint-Vincent (patron des vignerons) des 24 et 25 janvier, les vignerons iront faire déguster dans les bars, restaurants, chez les cavistes et en grande distribution leurs vins, il y aura également des bons de réductions qui devraient être mis en place avec les tickets de caisse en supermarchés.

 

BORDEAUX SERA TOUJOURS BORDEAUX

Bordeaux a déjà subi des crises par le passé, celle-ci ne pourrait être que conjoncturelle, mais certains pensent qu’elle semble être davantage structurelle et sur le long terme, sauf que Paul Cardoso me confie « on ne pourra pas supporter 3 millésimes dans le chai »…

Il va donc falloir faire preuve d’imagination et aller non seulement à la rencontre des acheteurs traditionnels mais aussi des jeunes générations, qui par manque d’information peut-être, ont ces derniers temps boudé Bordeaux et essayé d’autres régions viticoles en France ou ailleurs sur la planète vin. Et pourtant Dieu sait qu’à Bordeaux, il y en a pour tous les goûts et à tous les prix. A méditer devant un verre de Bordeaux bien sûr…

Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Guillaume Decaix, Dominique Mazeres, Floriane Pelédiffusé dans le 19/20 de France 3 Aquitaine ce 13 novembre :