C’est une question récurrente, qui se fait de plus en plus pressante ces dernières années. Les températures et la sécheresse sont davantage pris en compte par les vignerons et les chercheurs de l’ISVV, Bordeaux Sciences Agro et de l’INRAE. Cette année figure parmi les 3 plus précoces pour les vendanges de ces 20 dernières années.
Un printemps très doux, un été très chaud, et la vigne s’est annoncée plus tôt que de l’accoutumée, « sous le soleil exactement ». Pour les rouges, les vendanges ont démarré en Pessac-Léognan le 7 septembre et ici au château Smith Haut-Lafitte mercredi 9 septembre. Seuls 2011 et 2003 avaient enregistré des dates un peu plus précoces.
L’hiver et le printemps très chaud, avec des températures qui ont battu des records de chaleur en février par exemple 12°de moyenne au dessus de la normale ! Cet été a été aussi très chaud frôlant quelques jours les 40° à Bordeaux sans toutefois battre le record de 2019 avec 42,6°.
Ces températures et ce soleil ont eu comme effet de faire souffrir les jeunes vignes du fait de leur faible système racinaire, sans parler du phénomène de grillure sur les baies qui a pu être observé ici ou là.
« Ce sont les jeunes vignes, des vignes qui ont 3, 4, 5 ans, qui marquent le plus par rapport à la sécheresse parce que les racines ne sont pas encore descendues profondément dans le sol.. » précise Fabien Teitgen directeur de Smith Haut-Lafitte.« En été on a souvent des feuilles qui jaunissent, qui ont tendance à tomber, et ensuite on a des baies qui sont toutes petites, qui manquent d’eau en fait…Sur les jeunes vignes il y a ce problème car les racines ne sont pas bien enracinées, par contre sur les vieilles vignes l’ensemble du vignoble est tout vert, les baies sont plutôt grosses cette année, on a pris 60 millimètres au mois d’août ce qui a vraiment aidé la vigne…et on voit que les vieilles vignes fonctionnent très bien ».
A Villenave d’Ornon en Gironde, à l’Institut Supérieur de la Vigne et du Vin en collaboration à avec l’INRAE, on étudie depuis 2009 le comportement de 50 cépages par rapport à la chaleur…« Effectivement, le climat est en train de se réchauffer et la vigne est très sensible au climat, pour des questions de qualité et de rendement il faut que les viticulteurs s’adaptent à cette nouvelle situation et une des possibilités pour s’adapter à des températures plus élevées c’est de regarder quels sont les cépages qui réagissent le mieux à ces fortes températures« , explique Cornelis Van Leeuwen professeur de viticulture à l’ISVV et à Bordeaux Sciences Agro.
Dans cette optique Agnès Destrac, ingénieure d’études à L’Institut Nationale de la Recherche Agronomique, Laura Tabuteau en 2e année de master ingénieur agronome ESA et Léa Friot en Master 2 international vigne et vin, effectuent chaque semaine quelques 200 prélèvements sur les différents cépages (4 sur les 50 cépages différents) pour étudier la maturité et les jus de ces raisins en laboratoire à l’ISVV.
Avec le réchauffement climatique la maturité est de plus en plus précoce et cela n’est pas bon pour la qualité, le vin est beaucoup mieux quand les raisins mûrissent fin septembre que quand ils murissent au mois d’août, quand cela mûrit en août les vins sont déséquilibrés et vins trop alcoolisés et donc il faut malgré le réchauffement climatique maintenir la maturité fin septembre.
« Alors à l’intérieur des cépages qui existent à Bordeaux, on a un cépage relativement tardif, c’est le cabernet sauvignon, et donc une solution, c’est d’augmenter la proportion de cabernet sauvignon dans l’encépagement bordelais.Mais au delà de 2040 ou 2050 cela ne va peut-être pas suffire, et donc il faut aussi réfléchir à l’introduction des cépages encore plus tardifs qui pourraient convenir à des températures encore plus élevées au cours de la 2e moitié du siècle: on teste notamment des cépages du bassin méditérranéen qui poussent aujourd’hui dans des conditions chaudes et sèches comme un cépage portugais le tourigua nacional, c’est un cépage qui est utilisé dans la région du Douro… »
Entre le laboratoire où les maturités des différents cépages sont étudiées attentivement et la serre, la recherche avance… Ici on observe la problématique de la sécheresse sur ces jeunes plants en pots avec un système de goutte à goutte et une pesée…
« Là aussi le choix du pied de vigne et du porte greffe a son importance, car au niveau des porte greffe il y a une grande différence de résistance à la sécheresse », précise encore Cornelis Van Leewen.
Sur le terrain, les grands techniciens de la vigne s’adaptent en permanence sur le mode cultural de la vigne comme en témoigne Fabien Teitgen : « on se sent un petit peu démuni face à cela car c’est quand même une dimension qui nous dépasse, mais on a fait un certain nombre de choses« , explique Fabien Teitgen de Smith Haut-Lafitte : « par exemple ici il y a une dizaine d’années, on rognait 30 centimètres au dessus des fils du haut et des piquets pour avoir beaucoup de feuilles pour faire des bonnes photosynthèses pour avoir beaucoup de maturité de raisin… Aujourd’hui pour éviter que la vigne ne transpire, car la vigne transpire avec ses feuilles, on a réduit la hauteur et on est à une dizaine de centimètres au dessus du fil de manière à avoir moins de surface foliaire pour perdre moins d’eau. Et ensuite on utilise des tisanes de plantes comme de la camomille pour calmer des plantes qui ont des stress hydriques ».
Une chose est sûr en 2050, le vignoble de Bordeaux n’aura plus forcément la même physionomie. Tout le monde s’accorde à penser que le merlot plutôt majoritaire à Bordeaux sera supplanté par les cabernets voire d’autres cépages méditerranéens.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl et Ludovic Cagnato :