La crise de mévente des vins de Bordeaux est structurelle et dure depuis un certain temps… Les vignerons sont les premiers touchés et l’ont fait savoir lors de la manifestation du 6 décembre et en remplissant l’enquête de la chambre d’agriculture. En parallèle, le négoce bordelais ressent cette baisse depuis des années, ce qui explique des achats qui ne se font pas. Les courtiers essaient de jouer leur rôle dans un contexte très difficile. Regardez l’analyse et l’adaptation du négoce de Bordeaux et de courtiers.
Quand on parle de crise viticole, bien sûr on pense avant tout aux petits vignerons qui vendent en vrac et aussi en bouteilles. Leurs ventes sont au ralenti depuis plusieurs mois et années. Ils essaient de s’en sortir et réclament aujourd’hui un plan d’arrachage primé concernant 15 000 hectares sur les 108 000 à Bordeaux.
Parallèlement les négociants font aussi face à la crise. A Bordeaux, les ventes ne cessent de baisser, certains négociants me parlaient des années fastes où il y a 15-20 ans « on vendait 6 millions d’hectolitres, là Bordeaux vend 3,8″… (3,83 source CIVB sur 12 mois à fin octobre 2022) (4,22 l’an dernier à la même époque (fin octobre 2021)). Le vrac paie le plus lourd tribu : -23% sur 12 mois contre -9% sorties tous vins.
Le constat est sévère, le Français ne boivent plus comme avant, « comme un trou » j’allais dire, 120 litres par an et par habitant en 1960 contre un peu plus de 40 litres de vin aujourd’hui… Divisé par 3 !
En cause, la disparition progressive d’anciennes générations fidèles au goût de ces petits vins de Bordeaux (tanniques, boisés, etc) remplacées par des jeunes qui boivent davantage de bière que de vin déjà et quand ils boivent du vin, les voilà plus exigeants (avec un goût plus sur le fruit, des vins plus légers, des vins en agriculture bio, des vins naturels, ou des vins de « vignerons » où on leur raconte une histoire) et changeants (partant pour goûter des vins de Loire, du Languedoc Roussillon, de Bourgogne, etc…et même d’autres pays du monde (au moins 90 pays producteurs de vin)
« Chaque fois qu’une génération ancienne disparaît, la nouvelle génération qui arrive consomme moins », explique Stéphane Lefebvre directeur général de la maison de négoce Bouey, une maison familiale. « En France, la consommation de vin va continuer à baisser et devrait se stabiliser à 25 litres par tête d’habitant d’ici une dizaine d’années », poursuit-il.
Aujourd’hui on veut des vins qui sont sur le fruit, sur le gourmand, on ne veut plus des vins trop sophistiqués avec beaucoup de tannins qu’on doit garder dans sa cave 10 ans, parce plus personne n’a de cave, ou très peu, et surtout pas à Paris », Stéphane Lefebvre directeur Maison Bouey.
Parmi les 300 maisons de négoce, Diva, sous pavillon chinois, explique aussi cette baisse par une chute des ventes en Chine…Ce 1er marché à l’export a sauvé Bordeaux durant 15 ans, mais depuis 3 ans l' »Empire du milieu » est la plus forte baisse des marchés des vins de Bordeaux exportés….
Sur les 12 derniers mois, -27% en Chine, -9% en général pour tout l’export… Avec comme autres baisses : -7% en Allemagne, -4% en Belgique, -9% en Grande-Bretagne, -4% au Japon et -4% aux USA.
On a connu des années très fastes, 2012, 2013, à 2015, il y avait une demande énorme, et puis ça s’est tassé, évidemment le covid est passé par là et puis aussi la concurrence des vins étrangers qui ne font pas de cadeaux », Jean-Pierre Rousseau Président de Diva
Pourtant les courtiers aussi se retroussent les manches… « Ça c’est notre suivi où on a essayé de casé ce 2020…Au moins là on a un vin qui tient la route et on doit pouvoir le travailler par ailleurs », commente Charles Ripert en dégustation avec Thimothée Bouffard.
Ces intermédiaires entre les petits vignerons (qui travaillent aussi avec les moyens et grands crus classés), et le négoce cherchent en permanence des débouchés pour ces petits vins bien faits.
« On n’a pas arrêté de vendre du vin à Bordeaux. Il y a un marché, sauf que ce marché se réduit… », commente Charles Ripert secrétaire général du Syndicat des Courtiers de Bordeaux. « Cela fait peut être 20 ans qu’un vin est dans une enseigne, on faisait 100 000 bouteilles, après on n’en faisait plus que 80 000 et maintenant on n’en fait plus que 60 000 par an et le problème c’est les 40 000 restantes ! A Bordeaux, il y a des créneaux de distribution à retrouver, mais cela prendra du temps… »
A Bordeaux, Libourne ou Saint-Emilion, le négoce est mobilisé. Chez Antoine Moueix-Jules Lebegue par exemple on commercialise 15 millions de bouteilles à l’année, pas question de dormir…Du coup, on cherche aussi des acheteurs en dehors des marchés traditionnels de Bordeaux comme l’Europe ou les USA :
« Nous sommes en permanence en train d’essayer d’ouvrir de nouveaux marchés, puisque Bordeaux a été essentiellement commercialisé en France et en particulier en grande distribution, et vous pouvez voir autour de vous certaines palettes à destination de l’Afrique, du Moyen Orient ou encore de l’Amérique du Sud… «
L’Afrique, le Moyen Orient ou encore l’Amérique du Sud… Ce sont de nouveaux marchés pour nous sur lesquels on se déploie le plus fréquemment possible pour aller conquérir de nouveaux marchés… »Jean-Pierre Durand, président de la Maison de Négoce Antoine Moueix-Jules Lebegue.
Et pour séduire ces nouveaux consommateurs, on n’hésite plus à imaginer des étiquettes plus jeunes avec des têtes d’animaux, plus flashies couleur orange, ou originales avec des noms « rock » qui sont plus accrocheurs envers les jeunes, chez les cavistes, dans les bars à vins ou en grande distribution.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Laure Bignalet et Rémi Grillot :