Ce procès fera-t-il date et sera-t-il à la base d’une jurisprudence, dans un sens ou dans l’autre? Valérie Murat et l’association Alerte aux Toxiques étaient poursuivis cet après-midi pour dénigrement suite à la parution et l’envoi de communiqués de presse relatant et interprétant les analyses de 22 bouteilles de châteaux labellisés HVE, dans lesquelles des traces de résidus de pesticides ont été retrouvées. Des doses « infinitésimales » selon les avocats de la filière et le laboratoire lui-même, dangereuses selon les auteurs de ces publications.
Ils étaient une cinquantaine de militants et sympathisants anti-pesticides venus soutenir Valerie Murat, lanceuse d’alertes, et Alertes aux Toxiques, poursuivis pour dénigrement. Ils avaient fait analyser 22 bouteilles estampillées HVE pour haute valeur environnementale, lançant en janvier dernier un crowfunding pour financer l’opération confiée au laboratoire Dubernet, bouteilles dans lesquels des résidus de pesticides ont été trouvés. Les résultats et commentaires de l’association ont été divulgués à la presse par communiqué le 15 septembre dernier.
« Montrer que dans le HVE, en fait, il y a l’utilisation des pesticides les plus dangereux sur le marché: les CMR, les perturbateurs endocriniens, les SDHI, les COSI, et contrairement à ce que voudrait faire croire ce label ce sont les pesticides parmi les plus dangereux, » explique Valérie Murat avant que ne débute l’audience à 14h.
Contre eux, la filière viti-vinicole fortement représentée a décidé d’attaquer et de réclamer plus de 100 000 euros alors que l’avocate du CIVB, Eve Duminy, avançait que Valérie Murat et l’association ont eu de nombreux relais dans la presse et qu’une telle campagne dans la presse, « si elle avait du payer aurait pu coûter 350 000 euros »…
« Oui, c’est un procès baillon, c’est à dire qu’on cherche à faire taire toute expression différente, et au-delà de Valérie Murat, pourquoi pas nous Confédération Paysane on va nous dire vous faites du dénigrement…Mais qu’est-ce que cela veut dire ! » Dominique Techer Président de la Confédération Paysanne.
Pour l’avocate du CIVB et les avocats de la Fédération des Grands Vins, de 10 ODG et 11 châteaux, le dénigrement de produits est selon eux constitué car on parle de risque mortel en ingérant ou touchant ces vins, alors que les doses étaient infimes. « Si vous dites de quelqu’un qu’il commercialise un produit qui favorise la mort, oui le préjudice il est considérable, il est double il est moral et financier potentiellement », Jean-Daniel Betzner avocat de 4 châteaux. « On met des années à construire une réputation toujours d’une certaine fragilité et parfois en un délai très court via les réseaux sociaux on détruit ces réputations », confiait un autre avocat en ajoutant que certains châteaux ont du coup des méventes.
Bernard Farges président du CIVB complète : « Quand on est entre 60 fois et 5000 fois en dessous des limites autorisées par la réglementation française, on est 60 fois à 5000 fois en dessous de la règle, donc dire que ces vins sont dangereux, c’est du dénigrement… »
Mais pour la défense, l’avocat Eric Morain (avocat de Valérie Murat et Alerte aux Toxiques) estime que le CIVB aurait du attaquer non pas sur le terrain du dénigrement, mais plutôt sur celui de la diffamation pour avoir un vrai débat (il demande d’ailleurs une nullité de l’assignation en début de séance). « Depuis des dizaines d’années, les taux de pesticides et taux d’intrants dans le vin ne cessent de diminuer, c’est bien qu’il y a une raison qui est liée à la santé humaine et à la biodiversité, c’est simplement ce qu’a dit Valérie Murat. » Durant sa plaidoirie, il a souligné que « c’était un sujet d’intérêt général, la préservation de la biodiversité, de notre planète et de notre santé », et de regretter de ne pas voir « la composition des vins sur l’étiquette ».
Dans ce procès, les attendus du Tribunal de Grande Instance de Libourne vont être lus et interprétés avec intérêt au début de l’année 2021. Le jugement a en effet été mis en délibéré au 25 février prochain.