28 Nov
Roman
18 Nov
39ème salon du livre du Touquet : rencontre avec Dominique Thomas
La carcasse du bon secours, Dominique Thomas, Alain Adijès éditions
Présentation de l’éditeur
1975. À Bon Secours, ville frontière entre la Belgique et la France, le jeune Denis croise la route de Fernand Bachelard, dit « Atlas », géant de son état, légende nationale, objet de fascination et de désir pour tout le voisinage. Cette brève rencontre marque l’imaginaire du petit garçon, qui ne sait pas encore qu’il deviendra lui aussi un géant, une carcasse solitaire, une anomalie de la nature. Cinquante ans plus tard, Denis nous raconte les amours impossibles de ceux qui, comme Fernand, sont nés « trop grands ».
©Bob Garcia
11 Fév
Vivement la guerre qu’on se tue, de Vincent Courcelle-Labrousse (Slatkine & Cie)
Ce jeudi 10 février 2022, Slatkine & Cie organisait un vernissage de sortie du livre « Vivement la guerre qu’on se tue » de Vincent Courcelle-Labrousse dans les salons du restaurant « Les Noces de Jeannette » à Paris.
Vincent Courcelle-Labrousse a pu échanger avec un public nombreux. Un cocktail somptueux et un excellent trio de musiciens de jazz swing accompagnaient les convives dûment vaccinés et contrôlés par le personnel du restaurant.
Voici la présentation de l’éditeur :
Le roman noir de la justice française.
1977, le monde de la justice est divisé.
Roger Gicquel, présentateur sur TF1, ne cesse de répéter une phrase qui marquera les mémoires : « La France a peur ». L’affaire du tueur Patrick Henry défraie alors la chronique. Sa non-condamnation à mort déclenche la fureur de la Chancellerie qui remet en service des magistrats issus de Vichy et de l’Algérie française pour réactiver la peine capitale.
À travers cette fiction, qui s’appuie sur des faits réels, Vincent Courcelle-Labrousse dénonce le cynisme et la violence exercés au sein de la magistrature. Il pose la question de l’application de la loi, et du changement
de paradigme qui s’est opéré dans les années soixante-dix dans l’institution judiciaire.
Un roman sans appel.
©Bob Garcia
24 Sep
Le Rêve d’un fou, Nadine Monfils, Fleuve Editions
Présentation de l’éditeur :
Le hasard sème parfois un peu de poudre d’étoiles pour aller au bout de nos rêves.
Quand le destin s’est acharné sur lui, le Facteur Cheval aurait pu sombrer dans la douleur et le désespoir. Il a plutôt choisi de se lancer dans un pari insensé : construire de ses propres mains son Palais Idéal. Mais une étrange rencontre lors de ses tournées va donner un tout autre sens à son rêve.
Parce que la passion est la seule chose qui peut nous sauver.
En s’inspirant librement de la vie du Facteur Cheval, Nadine Monfils nous offre un roman émouvant comme un hymne à la liberté, la poésie, l’art, et la foi en ce qui nous dépasse.
Notre avis :
100 pages !
Avalées trop vites…
Il n’en faut pas plus à Nadine Monfils pour nous livrer un de ses plus beaux récits : l’histoire du facteur Cheval.
Un récit ciselé avec une patience d’orfèvre et un talent outrageux.
La poésie, toujours, en filigrane…
« Ce jour-là, je partais faire ma tournée à travers les campagnes. Là-bas, les terres sont sèches et le vent murmure des choses étranges. Le soleil colore la nature d’une lumière poudreuse. Parfois on se croirait dans un tableau. »
« Il faisait beau et le soleil avait tressé des songes de blé dans l’herbe. »
Cheval a vu disparaître ceux qu’il aimait. La médecine ne faisait pas de miracle à cette époque, et la vie ne faisait pas de cadeau. Alors il s’est réfugié dans son rêve fou, pour rester debout : construire un palais idéal, où il enterrerait la dépouille de son enfant mort trop tôt.
Il y a pris goût…
« Je pense que la fatigue est le manteau de la vie. Quand on fait ce qu’on aime, on ne sent pas ce lourd vêtement sur soi. Il ne pèse soudain plus rien. La passion fait de nous des oiseaux. »
Nadine entraine le lecteur dans le rêve fou du facteur Cheval, mais on ne sait plus trop qui parle… le facteur… ou Nadine, qui nous parle de son propre rêve fou et de sa propre philosophie de vie. Un peu des deux.
« Les hommes sont pareils à des fourmis qui grouillent, s’entremêlent, se grimpent dessus et s’écrabouillent. Des fourmis qui, de toute façon, ne tirent aucune leçon de la vie et continuent à reproduire les mêmes conneries, jusqu’au jour où la planète deviendra invivable. On avait deux magnifiques cadeaux : la nature et l’amour. Et qu’est-ce que nous, crétins d’humains, en faisons ? Du gâchis. »
C’est Joseph, qui parle, l’ami de Cheval. Lui s’est réfugié dans la peinture. Mais leur combat pour continuer à exister est le même.
La peinture…
« C’est là qu’il mettait toutes ses blessures, là qu’il colorait ses angoisses et dissimulait ses désillusions sous des couches de gouaches. »
Cheval veut encore y croire… On ne prend pour un fou, mais il s’en fout…
« Je me suis toujours senti comme Don Quichotte et je suis toujours parti à l’assaut de mes démons au lieu de les fuir. Je crois que la vraie force est là. C’est la seule qui permet d’affronter nos peurs avec une chance de les vaincre. Il m’a fallu du temps pour l’acquérir, car la lutte est âpre contre les gens qui nous entourent et veulent nous modeler à leur image. »
A travers des personnages qui semblent avoir été créés par Nadine Monfils elle-même, l’auteur nous livre un récit virtuose, puissant, poétique, philosophique.
Pas besoin d’écrire des pavés qui vous tombent des mains (tant par le poids et la vacuité) pour écrire des chefs-d’œuvre magistraux.
Lisez-le et délestez-vous de vos pavés !
© Bob Garcia
25 Mar
« Sale temps pour les grenouilles », Isabelle Bourdial
Présentation de l’éditeur
Je m’appelle Hadrien Lapousterle et je dirige le département Histoire et Civilisations aux éditions Galvani. De l’avis général, je suis un type posé et pacifique. Pourtant il n’a fallu que 4 mois pour faire de moi un tueur.
Ma cible, c’est mon chef, Grégoire Delahousse. Il vient d’être nommé à la tête du pole Arts et Savoirs. un harceleur, un costkiller, un Pomme K … vous savez, le raccurci clavier qui supprime les blocs de texte sur les Mac.
Une comédie noire contre le harcèlement au travail et le burn out, un hommage aux séries télévisées et à la culture populaire.
Notre avis
Le burn-out, Isabelle Bourdial connaît bien !
Elle a choisi le mode roman pour en parler, sans tomber dans le pathos, mais plutôt sur un mode ironique, voire franchement comique.
Les grenouilles du récit sont les victimes collatérales d’un boss aussi incompétent que sournois.
« Sur le coup, je n’ai rien perçu de sa manœuvre. À la lumière des événements qui suivirent, je comprends aujourd’hui que le feu venait d’être allumé sous la casserole. Il fallait attendre que la température monte peu à peu, en occupant la grenouille, pour qu’elle ne s’aperçoive de rien. »
Et plus loin…
« En repensant à cette scène, je vois six grenouilles dans une marmite, le cerveau en ébullition. Sauteraient-elles a temps avant de cuire dans le bouillon ? »
Tout y passe : l’humiliation, la « remise en question », le doute, la culpabilisation, la peur de mal faire… pas assez… pas à temps…
L’homme a de la ressources : « Goût pour la manipulation », « cruauté gratuite », « humour au vitriol », « goût du massacre », « génie pour mentir, tricher et blesser »…
Le changement selon Delahousse est synonymes de nivellement par le bas.
Mais il ne faut pas sous-estimer l’instinct de survie des grenouilles.
Et puis un matin : « Mon instinct me disait que tout pouvait arriver : la suppression de l’open Space, la mise au placard de Gregoire, la fin des sèche-mains. Ainsi commença l’une des pires journées de mon existence… »
La solution s’impose alors : il faut tuer ce boss toxique !
La « Confrérie de l’Orient Express » attaque alors le « Clan des chacals »…
Avec une écriture vive et pleine d’humour, Isabelle Bourdial traite d’un sujet plus grave qu’il n’y parait. En fin des remerciements, elle rappelle d’ailleurs : « une page se tourne. Un dernier conseil, fuyez comme la peste les Grégoire Delahousse. Le burn-out n’est décidément pas une maladie à prendre à la légère ».
La dernier page du récit quant à elle se termine par « FIN (ou pas) », laissant entrevoir une suite possible à ce récit…
Un bon moment de lecture, et un remède efficace contre la dépression !
©Bob Garcia
19 Juin
La chambre des merveilles de Julien Sandrel
Présentation de l’éditeur:
Inattendu, bouleversant et drôle,
le pari un peu fou d’une mère
qui tente de sortir son fils du coma
en réalisant chacun de ses rêves.
Louis a 12 ans. Ce matin, alors qu’il veut confier à sa mère, Thelma, qu’il est amoureux pour la première fois, il voit bien qu’elle pense à autre chose, à son travail sûrement. Alors il part, fâché et déçu, avec son skate, et traverse la rue à fond. Un camion le percute de plein fouet.
Le pronostic est sombre. Dans quatre semaines, s’il n’y a pas d’amélioration, il faudra débrancher le respirateur de Louis. En rentrant de l’hôpital, désespérée, Thelma trouve un carnet sous le matelas de son fils. À l’intérieur, il a dressé la liste de toutes ses « merveilles », c’est-à-dire les expériences qu’il aimerait vivre au cours de sa vie.
Thelma prend une décision : page après page, ces merveilles, elle va les accomplir à sa place. Si Louis entend ses aventures, il verra combien la vie est belle. Peut–être que ça l’aidera à revenir. Et si dans quatre semaines Louis doit mourir, à travers elle il aura vécu la vie dont il rêvait.
Mais il n’est pas si facile de vivre les rêves d’un ado, quand on a presque quarante ans…
Notre avis:
« Pourquoi a-t-il fallu attendre un drame pareil pour nous rendre compte de l’importance que nous revêtons l’une pour l’autre? Pourquoi gâche-t-on toutes ces années à se détester à grands renforts de non-dits, quand au fond rien n’est brisé? Tellement de temps perdu, d’occasions manquées, de gâchis émotionnel. »
Cet extrait de « la chambre des merveilles », de Julien Sandrel aux Editions Calmann-Lévy, résume à lui seul l’un des messages principaux de ce roman qui porte tellement bien son nom, parce que oui, ce roman est une merveille.
Pas une merveille au sens claque littéraire, Objet Littéraire Non Identifié ou encore chef d’œuvre de la littérature. Mais une merveille au sens où le message qu’il transmet percute, fait échos à nos vies si pleines de tout, au sens où il résonne comme une mise en garde: Ne passez pas à côté de ceux que vous aimez et ne passez pas à côté de votre vie.
Au cours de ma lecture, je suis passée par des montagnes russes émotionnelles! Les jeux à sensations des parcs d’attractions ne sont rien en comparaison des vertiges qui m’ont pris en lisant l’histoire de Thelma, de son fils Louis et de leurs proches.
Du rire aux larmes en passant par l’angoisse et l’espoir, Julien Sandrel a su, par sa grande qualité d’écriture, transmettre tout un éventail d’émotions. Et qu’il est bon de ressentir de telles sensations à la lecture de ce roman. Il m’a fallu prendre le temps de digérer un peu le vide ressenti en refermant mon livre, et pouvoir rédiger cette chronique (en live comme à mon habitude) en étant certaine de réussir à transmettre au mieux mon ressenti et surtout parvenir à vous en donner un avis fidèle de ce qu’il est réellement.
« la chambre des merveilles » n’est pas qu’une histoire touchante, ce n’est pas que l’histoire de Thelma qui accompli les rêves de son fils alors que ce dernier est dans le coma.
« La chambre des merveilles » c’est aussi son auteur. Le soucis du détail dans son écriture. Les mots qu’il fait sortir de la bouche de chacun de ses personnages sont justes et en totale adéquation avec ceux qu’ils sont, leurs personnalité, leurs sensibilités.
Le soucis du détail jusque dans le nom de la société de cosmétiques pour laquelle travaille Thelma: Hégémonie en référence à la toute puissance et au culte de l’apparence… Une société dans laquelle la parité entre les hommes et les femmes n’est qu’une illusion d’optique, une société dans laquelle être mère ,célibataire ou non, est un handicap, une société qui impose de travailler le week-end quand on veut des responsabilités et cela au détriment de votre famille évidemment….
Hégémonie, une société comme tant d’autres dans notre pays… Et pour avoir été comme Thelma jusqu’à il y a encore quelques mois, forcément une part de transfert s’est opérée sans que je ne puisse lutter.
« Hégémonie est pour l’égalité entre les hommes et les femmes, Hégémonie investit pour le succès des femmes dans la société. Il y a toujours un gouffre entre la théorie, la politique affichée, et la pratique, cet autre visage d’une même organisation, ces non-dits qui aboutissent à un taux de femmes dans les comités exécutifs des grands groupes ridiculement bas. Depuis toujours je m’étais battue pour accéder à ces hauts postes, il était donc hors de question d’afficher une quelconque fibre maternelle en pleine conversation de travail, même un samedi, même à 10h31 ».
Quoiqu’il arrive, dites à vos proches que vous les aimez, ne cachez pas vos ressentis, vos sentiments. Vivez vos vies pour vous et avec vos proches et non en fonction de vos plans de carrière… parce que le temps perdu ne se rattrape pas.
Julien Sandrel vous transmet ce message, bien mieux que moi, sans aucun pathos, sans ce côté dégoulinant de mièvrerie que l’on peut retrouver dans certains romans. Il vous le délivre avec justesse, émotions, en vous secouant parfois…
Ce merveilleux roman est un coup de cœur pour moi, et un des seuls que je relirai sans doute régulièrement.
Un roman qui entre dans les dix romans qui ont marqué ma vie de lectrice.
Il m’a été difficile de quitter Thelma et Louis, mais sans doute pour mieux retrouver mon fils, ma famille et mes amis.
Aux éditions Calmann-Lévy. Paru le 07 mars 2018. 272 pages.
14 Juin
Les livres des 24 Heures du Mans 2018 : « La Légende des 24 Heures du Mans – Edition 2018 », de Gérard de Cortanze
Présentation de l’éditeur
Les voitures mythiques, les pilotes inoubliables, les prouesses technologiques, l’ambiance, les émotions… tout ce qui fait la légende de la plus grande course automobile du monde raconté par Gérard de Cortanze, écrivain… et petit neveu de Charles de Cortanze, vainqueur au Mans en 1938.
« Gérard de Cortanze, pour qui cette course est une histoire de famille, a raison : les 24 Heures du Mans, c’est un roman d’aventures ! » Jean Todt
03 Juin
Un Jardin de sable de Earl Thompson
Présentation de l’éditeur :
Un Jardin de sable est le cri de rage des laissés-pour-compte et des âmes médiocres à qui on ne tend jamais la main, mais qu’Earl Thompson [1931-1978] embrasse dans la brume du sordide et de l’impur. Jacky, né au Kansas à l’aube de la grande dépression, porte le désespoir et la misère comme une seconde peau. Témoin malgré lui de toutes les turpitudes, il se nourrit d’un monde où prévalent la brutalité, le sexe et le mépris. Sa jeunesse est un combat dans les bas-fonds de l’humanité pour se libérer de son destin et remonter à la surface. Un Jardin de sable est une oeuvre puissante et sombre, traversée de violences et de transgressions. Une histoire peuplée d’êtres acariâtres, de gamins aux mentons croûtés, de truands, de vagabonds, de prostituées, de macs et de brutes les ongles y sont sales, la peau, couverte de bleus, et les draps comme les âmes sont souillés au-delà de toute rédemption. Pourtant c’en est beau de douleur et de foi en l’avenir. C’est Steinbeck et Zola. C’est Bukowski et Fante. C’est de la dynamite et de la poésie. C’est la vie. Brutale, nauséabonde, fragile et magnifique.
Notre avis :
« Jacky, né au Kansas à l’aube de la Grande Dépression, porte le désespoir et la misère comme une seconde peau. Témoin malgré lui de toutes les turpitudes, il se nourrit d’un monde où prévalent la brutalité, le sexe et le mépris. Sa jeunesse est un combat dans les bas-fonds de l’humanité pour se libérer de son destin et remonter à la surface ».
Les romans et les auteurs américains publiés pendant la Grande Dépression des années 3O et un peu au-delà, exercent une étrange fascination chez moi. Comment pourrait-il en être autrement quand cette « génération perdue » a donné naissance à des Steinbeck, Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos ou Nabokov. C’est aussi le terreau fertile du roman noir américain que j’affectionne particulièrement
Mais revenons à notre auteur. Earl Thompson a publié 4 romans (dont le dernier à titre posthume). « Un jardin de sable », sa première œuvre parue en 1970, a réussi la prouesse d’être nominée pour le National Book Award.
J’ai découvert ce livre vraiment par hasard. La superbe couverture des Editions Toussaint Louverture a d’abord accroché mon regard puis, juste en-dessous, comme pour faire office de bandeau rouge « Préface de Donald Ray Pollock ».
Ni une, ni deux, je me suis dit « celui-là, il me le faut ! ».
Je porte toujours une attention particulière aux préfaces et comme Donald Ray Pollock est ma plus belle découverte littéraire depuis quelques années, un bouquin qui se paye le luxe d’avoir son préambule se doit obligatoirement d’atterrir entre mes mains. Je ramène donc le bel objet chez moi et commence ma lecture.
831 pages et quelques nuits blanches plus loin, je referme le roman. Sonnée.
Par où commencer ?
D’abord, âme sensible s’abstenir (mais ce serait fort dommage). Ce n’est pas une bluette et si vous pensez lire un de ces romans dont on ne se souvient plus du titre à peine terminé, vous allez être déçu.
Cette prose prend aux tripes et ne vous lâche pas.
Non, pas d’hémoglobine, rien de gore, juste une vérité brute et nue qu’on prend en pleine gueule et c’est très déstabilisant.
Bien que le thème du bouquin soit la construction, les errances psychologiques d’un jeune gars et la structuration de ses obsessions sexuelles autour d’un complexe d’Œdipe des plus délirant, ce roman charrie bien d’autres turpitudes et allégories, toutes plus fortes les unes que les autres.
C’est une sorte de récit initiatique, qui plaque des images impitoyables sur vos rétines, un feu inextinguible dans votre cœur et vous laisse un peu désemparé.
L’histoire est semi-autobiographique, ce qui est suffisant pour donner une force incroyable au récit, qui de toute façon n’en n’avait pas besoin tant l’écriture est puissante et les descriptions violentes. Les personnages sont abîmés, brisés, malmenés par la vie et l’époque dans laquelle ils évoluent.
La ténacité du héros, ce mélange de candeur et de roublardise, force à la fois le dégoût et l’admiration. La faiblesse et l’inconséquence de la mère révolte et fait pitié. L’inceste est sans doute un des sujets les plus difficiles à aborder et le mélange des rôles, entre la victime et le séducteur, rend les choses très inconfortables pour le lecteur. On oscille entre la révolte et une certaine compassion et ce qu’il reste au final, c’est la nausée.
Le plus difficile c’est qu’il n’y a rien à quoi se raccrocher. Tout est sale et misérable. Les mentalités, sans vouloir jouer les prudes, font dresser les cheveux sur la tête. La mère et le fils sont victimes de cette époque brutale pleine de bruit et de fureur et les autres personnages sont à l’avenant.
Il y a pourtant une énergie et quelque chose d’inéluctable dans ce roman, une volonté de vie qui balaye tout sur son passage et, tour de force incontestable, on s’attache à tout ce monde.
Tout est à retenir dans ce livre. L’histoire, le style, c’est un extraordinaire moment de littérature. Je ne sais pas pourquoi cet écrivain n’est pas plus connu de ce côté-ci de l’Atlantique parce que véritablement, c’est énorme ! Tout à la fois poétique, brutal, désespéré et désespérant.
Faites-vous un cadeau, laissez-vous embarquer dans le sillage de cette famille à la dérive pendant la période glauque de la Grande dépression. Vous passerez par toutes les sensations, pas forcément les plus agréables, et, sans doute comme moi, vous refermerez ce roman en ayant la sensation d’avoir été malmené mais d’en sortir plus riche d’humanité.
Une véritable pépite.
Editions : Monsieur Toussaint Louverture. Paru en janvier 2018.
© Mireille Eyermann
16 Fév
Lucky losers, de Laurent Malot
Présentation de l’éditeur:
Sean, 17 ans, débarque dans la petite ville bretonne de Douarnenez : après toute une enfance passée à Londres, difficile pour lui de s’habituer à cette petite ville ouvrière où le clivage entre les « riches » et les « pauvres » est si sensible. Alors, lorsque le lycée Balzac prend feu et que tous ses élèves, fils et filles de patrons, sont obligés de terminer l’année scolaire aux côtés de ceux de Saint-Hilaire, fils et filles d’ouvriers, la situation dégénère rapidement. L’étincelle ? Un coup de foudre. Pour les beaux yeux d’une fille de grand patron, Sean défie trois fils à papa dans une compétition sportive : la natation, l’aviron et l’équitation. Ce qui n’était d’abord qu’une querelle d’ados prend de l’ampleur et c’est rapidement tout le lycée puis toute la ville qui se met à suivre la compétition avidement. Et lorsqu’un plan social de grande envergure est annoncé, Sean devient le symbole de la lutte des classes qui fait rage au sein de la ville. Parviendra-t-il à remporter la compétition ?
Notre avis:
« D’une lutte de classe à la lutte des classes », cette phrase extraite du roman est le meilleur résumé pour « Lucky Losers » de Laurent Malot!
Un vent de fraîcheur et des sourires à en creuser les rides d’expression, écrivais-je hier en citant un passage du roman. Parce que « Lucky Losers » c’est tellement ça.
Une brise légère de tendresse et de nostalgie ont soufflé sur ma lecture. De tendresse parce que Laurent donne vie à des personnages tellement attachant!
De nostalgie parce que j’ai revécu mes années lycées.
« Lucky Losers » c’est l’histoire de Sean, franco-anglais, qui est obligé de quitter Londres le jour où sa mère découvre son père dans les bras d’un homme… La famille, disloquée, déménage en Bretagne, et Sean intègre un nouveau lycée. Difficile de se faire des amis quand on débarque en cours d’année, mais pour Sean ça n’a pas été un problème. Tout se passait pour le mieux jusqu’à ce que des fils à papa, bobo sûr d’eux, cherchent à humilier notre ami et sa bande. Ce jour là, tout a basculé…
Laurent Malot évoque la lutte des classes, l’éternel combat entre les riches et les pauvres, les faibles et les forts, cette dualité qui caractérise tellement notre société. Si le sujet est largement travaillé et qu’il reste sensible, Laurent a su en parler sans tomber dans l’ennui et les lieux communs grâce à la qualité de son écriture, son humour, et tout en légèreté.
Il raconte le divorce, les relations fraternelles mais aussi les premiers émois adolescents, nous parle de tolérance et d’amitié.
Enfin, Laurent m’a présenté Sean. Comme Hannah (« de la part d’Hannah », édition Albin Michel), Sean raconte lui-même son histoire. Laurent lui prête sa plume, sa sensibilité, sa force, son humour. Il en a fait un jeune homme attachant, vecteur d’un message universel.
Il m’est difficile de vous citer un passage tant j’en ai marqué qui m’avaient fait sourire ou qui évoquaient un sujet de société de manière remarquable. J’ai donc fait le choix de vous en mettre un qui allie les deux:
« – Laisse tomber, c’est la banquise, cette fille, et toi, t’es un rafiot qui va se faire broyer si tu t’approches trop près!
J’aimais bien les métaphores de Kevin, mais celle-ci me faisait mal pour deux raisons: la première, c’est qu’en tant qu’ami il aurait pu m’encourager plutôt que de m’enfoncer. La seconde, que j’ai ignorée malgré l’évidence, me rappelait qu’on ne mélange pas les serviettes avec les torchons, Camille étant le must de la serviette, Versace Home pour palaces et hôtels grand luxe, tandis que j’étais le torchon le plus basique, un euros quatre-vingts le lot de trois chez Auchan. Il avait sans doute raison, mais c’était trop tard, j’étais amoureux, gonflé à bloc, insouciant, à la fois Julien Sorel, Cyrano et Lorenzaccio. »
« Lucky Losers » est un roman qui, bien que paru en édition jeunesse, délivre un message pour tous et trouvera écho chez vous, que vous ayez 17 ou 97 ans.
Merci Laurent de m’avoir présenté Sean.
« Lucky Losers », édition Albin Michel Jeunesse. Paru le 02 janvier 2017, 304 pages.
© Ophélie Cohen
09 Fév
De la part d’Hannah, de Laurent Malot
Présentation de l’éditeur:
Jeune héroïne astucieuse à la gouaille irrésistible, dans un « Clochemerle » des années 1960, Hannah est une nouvelle Zazie au charme contagieux.
» Tu es en train de grandir, Hannah, ça n’est jamais facile.
– Ça fait bientôt onze ans que je grandis ! Je ne vois pas pourquoi ce serait plus difficile aujourd’hui.
– Ça l’est parce que tu arrives à un tournant.
– Je voyais pas où elle voulait en venir, mais du coup ça m’intéressait. Je me suis allongée dans l’eau et j’ai attendu.
– Et parce que tu n’as pas une vie normale.
– Une vie normale, c’est si maman était pas morte ?
– C’est ça. Si tu avais vécu avec ta mère et si ton père avait su l’aider.
Elle a un peu pâli et je me suis demandé si elle ne regrettait pas d’en avoir trop dit. Comme elle disait plus rien, j’ai repassé dans ma tête ce qu’elle venait de dire. L’aider à quoi?
Hannah a dix ans et un caractère bien trempé. Elle vient de passer trois ans dans un sanatorium, lorsque, du jour au lendemain, on décrète qu’elle n’est plus malade et doit rejoindre son petit village de Dordogne. À La Chapelle-Meyniac, les cancans des mégères vont bon train. Hannah s’en méfie. En 1961, en pleine guerre d’Algérie, les blessures de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas cicatrisées. Rien de pire que les rumeurs, surtout lorsqu’elles concernent votre mère…
Notre avis:
Je crois que c’est la première fois que je cherche autant mes mots pour rédiger une chronique. D’ailleurs « chronique » n’est déjà pas le terme adéquat tant c’est une boule d’émotions qui enserre mon cœur de petite fille… Une petite fille qui comme Hannah s’est posée mille et une question sur ses origines.
Je suis née catholique mais née Cohen, avec toute l’histoire de ma famille, les exodes, la déportation, et nos histoires de famille pèsent lourd parfois.
Si je parle de « de la part d’Hannah » avec tant d’émotions, ce n’est pas anodin. C’est sûr, les paroles d’Hannah trouvent un écho chez moi, plus que chez d’autres je pense de part ce lien commun.
« Hannah avec deux H, c’est juif! », dixit le prêtre à une jeune Hannah qui n’avait aucune idée de ce que « juif » pouvait dire et de ce que cela signifiait.
Qu’est ce qu’être juif ? Laurent l’exprime tellement bien. Aujourd’hui nul ne peut en donner une définition acceptée de tous. Être de religion juive? Être né d’un parent juif et se sentir lié à ce peuple ? Tant de questions qu’Hannah se pose et que je me suis posées…parce qu’être juif est indéfinissable.
Mais « de la part d’Hannah » ne peut pas être résumé à cette question.
Au travers des mots d’Hannah, part sa voix de petite fille de dix ans, Laurent évoque les conséquences de la rumeur, de ces bruits de village qui existaient à l’époque mais qui existent encore… les dégâts que peuvent causer les « on dit »… la pression de conformité… la peur de la différence. Il raconte les vieilles rombières qui distillent leur haine de la différence: Allemands, Juifs, putes… Tout est prétexte à distiller leur venin, les conséquences leur importent peu, même si elles touchent aux enfants ou détruisent des familles.
À travers ses mots innocents (ceux d’Hannah) mais desquels transpirent une maturité qu’on ne devrait pas avoir à 10 ans, j’ai été bouleversée.
Qui sommes nous? D’où venons nous? Notre histoire est essentielle pour nous construire et les secrets de famille nuisent à notre épanouissement. Hannah, mais aussi Sarah, Antoine, Hélène, des enfants qui nous livrent leurs secrets avec leurs yeux et leurs mots d’enfants. Des mots qui touchent par leur naïveté et leur innocence mais paradoxalement avec beaucoup de maturité parce que la vie ne les a pas épargnés. Je suis passée du rire aux larmes plusieurs fois, je ne pouvais lâcher mon livre, je voulais connaître la fin de l’histoire.
J’ai beaucoup de mal à exprimer ce que je ressens à la fin de ce roman tant l’émotion est vive.
Néanmoins, à vous qui me lisez, « de la part d’Hannah » est un roman qui devrait être lu au collège… dur parfois, avec des mots qu’il faudra expliquer à nos enfants, il est le reflet de ce qu’il s’est passé et de ce qu’il se passe encore dans notre pays.
« De la part d’Hannah » est livre tellement touchant.
Un hymne à la tolérance et à l’amour de son prochain, un pamphlet contre l’étroitesse d’esprit.
C’est un bijou, et je pousserai mon fils à le lire quitte à le relire avec lui. C’est un roman dont je parlerai avec son professeur de français. Parce que même si certains classiques sont incontournables, beaucoup de nos contemporains méritent leur place sur les longues listes de livres de nos écoliers, parce que ce genre de livre peut donner le goût de la lecture, parce qu’il permet de transmettre des valeurs, d’amorcer des débats sur les sujets évoqués tout au long de cette chronique.
Quand Laurent m’a parlé d’ Hannah lorsque nous nous sommes rencontrés, il a su trouver les mots pour me donner envie de le lire. Même si mes lectures sont variées, je suis majoritairement dévoreuse de polar. Je connaissais Laurent de nom via ses deux romans noirs édités chez Bragelonne. Je le découvre ici dans un style complètement différent pour ce roman qui était son premier. Je n’avais pas imaginé une seconde être émue à ce point.
Faites moi confiance, ne cherchez pas à en savoir plus et juste « lisez ».
Rien ne sert de tout analyser, il faut juste parfois se laisser porter par les émotions et laisser faire le coup de cœur.
Ne pensez pas qu’il s’agit d’un énième roman victimisant le peuple juif (si si j’entends déjà certaines critiques), regardez au delà…
Voyez ce qu’il se passe au delà du miroir et de l’histoire… Laurent appelle juste, à mon sens, au respect de son prochain, quelque soit son origine, quelque soit ses différences. Ce roman n’est nullement moralisateur, il rappelle juste que nous sommes tous « humains » et les dégâts que peuvent causer l’intolérance.
Un grand merci à Laurent de m’avoir parlé de ce roman, sans quoi je serais passée à côté parce qu’il n’a pas été assez mis en lumière. Voilà qui est réparé.
« De la part d’Hannah » aux éditions Robert Laffont. Paru le 6 mars 2014. 234 pages.
© Ophélie Cohen