20 Mar

Une généalogie du western selon Hermann : à propos de Duke

Une généalogie du western selon Hermann : à propos de Duke

Dans le parcours de Hermann, le western est une sorte de fil rouge. Comanche voici plus de quatre décennies et Duke aujourd’hui revisitent ses codes et sa culture, tandis que certaines intrigues de Bernard Prince et l’atmosphère de Jeremiah y font abondamment référence.

A l’occasion d’une visite parisienne fin janvier dernier après la sortie de La dernière fois que j’ai prié, le quatrième album de Duke, la série scénarisée par son fils Yves H, Hermann évoque son regard sur le western, au fil d’une conversation dans une brasserie de Montparnasse, qui lui a inspiré d’emblée une analogie pour le moins insolite : « le western, c’est comme le steak, il existe toujours des manières différentes de le préparer et de le présenter. »

Quelles étaient vos références cinématographiques de western ?

Hermann : Les films de John Wayne, bien sûr… que j’ai fini par haïr, même si Le Dernier des Géants n’était pas mal. J’ai beaucoup aimé les westerns de Sergio Leone, car ils sont pleins de trouvailles et de fantaisie. Il y en a beaucoup d’autres : Hombre avec Paul Newman, Impitoyable de Clint Eastwood… On ne produit plus beaucoup de westerns en ce moment mais ça reviendra, car tout revient.

Ces derniers temps, on a effectivement l’impression que le western est bien plus présent dans la bande dessinée que sur grand écran…

C’est très probable, même si je n’ai jamais établi de véritable parallèle entre le western au cinéma et en bande dessinée. Côté cinéma, il y a eu la période John Wayne, et la période Sergio Leone a vraiment été un virage à 90 degrés, avec une coloration que le western n’avait pas auparavant. La mythologie du western était totalement détournée.

La création de Comanche dans le Journal de Tintin a d’ailleurs coïncidé avec l’explosion de Sergio Leone. Comment est née cette série ?

A ce moment, je dessinais Bernard Prince et j’avais réalisé des illustrations pour des textes de Pierre Pelot publiés dans le Journal de Tintin. Il les avait appréciées et avait envoyé au journal un scénario à Greg (à l’époque rédacteur en chef du Journal de Tintin, ndlr) pour un western, ce que je ne pratiquais pas à l’époque. Greg n’avait pas envie de me laisser filer, il m’a dit qu’il allait m’écrire un scénario de western et je n’ai pas réalisé une seule seconde qu’il voulait ainsi m’empêcher de travailler avec quelqu’un d’autre (rires) ! A cette époque, je croyais en l’honnêteté de l’être humain, mais cette naïveté s’est étiolée avec le temps (sourire). J’ai dit un jour à Pierre Pelot que je n’avais pas refusé de travailler avec lui, mais que c’était Greg qui avait refusé son scénario. Mais il était trop tard, j’étais déjà engagé avec mon fils.

Un point commun entre Jeremiah, western post-apocalyptique que vous scénarisez vous-même, Duke, écrit par votre fils, c’est qu’on peut y trouver des cases voire des pages entières sans dialogues, un peu comme dans les films de Sergio Leone…

La bande dessinée, c’est graphique par excellence. En fait, on rajoute du texte pour donner des explications uniquement quand on ne peut pas faire autrement. Du texte supplémentaire, c’est une redondance inutile, d’autant plus que ma narration est très cinématographique. Le dialogue ne sert qu’à dire ce que le dessin ne peut exprimer.

Dans ce fil rouge du western, Duke est-il pour vous un retour aux sources ou une continuité ?

En fait, je ne fais qu’obéir aux désirs de mon fils, il a une vision très personnelle du western dont je ne me mêle pas. Mais je m’y sens très à l’aise, il a une approche différente d’une culture qui est identique. Mon fils est très cinéma, il a fait des études de cinéma, mais il a laissé tomber quand il s’est rendu compte que, dans le cinéma, on passe beaucoup de temps à courir après l’argent (sourire).

Selon vous, qu’est-ce que votre fils a pu « apprendre » de votre propre travail de scénariste ?

Je ne sais pas s’il en a appris quelque chose, nous n’en avons jamais parlé. Mais je sais qu’il dit : « je ne pourrais jamais parler comme toi ». Un jour, je lui avais dit qu’il pourrait peut-être faire du Jeremiah. Il m’a répondu : « Jeremiah est tellement personnel qu’aucun autre scénariste pourrait faire du Jeremiah crédible ».

Ce qui pourrait vous réunir, ce serait un certain art du silence…

Au niveau du découpage, je pense que mon fils se sert quand même de ma manière de narrer. Côté texte, mon fils parle de manière très classique et, de temps en temps, c’est moi qui me permets une petite saillie dans son texte.

En lisant d’une traite les quatre albums de Duke, les titres des albums semblent plus donner des indices sur l’état d’esprit du personnage principal que sur l’histoire elle-même…

Tout à fait, avec même une certaine forme de philosophie, car on parle du problème humain du personnage de Duke, de son univers fermé dont il n’arrive pas à se débarrasser. Ca correspond un peu au caractère de mon fils, qui est quelqu’un de très secret et réservé.

Et quand on voit le personnage de Duke, on imagine plusieurs choses : un vécu assez chargé (qu’on va peut-être découvrir au fil des albums à venir), et un désir de se débarrasser de la violence sans y parvenir…

Oui, se débarrasser de lui-même, mais il n’y arrivera jamais, parce que dans ce cas, le personnage n’aurait plus aucune raison d’être. Duke a une belle tenue, un maintien très civilisé, signe d’une certaine moralité qu’il ne peut paradoxalement pas respecter. Je demanderais à mon fils de ne pas être trop explicite, de manière à ce qu’il reste une sorte de brouillard autour du personnage : des allusions, mais sans plus. Pour moi, un côté mystérieux doit subsister.

©Jean-Philippe Doret

Duke

Scénario : Yves H

Dessins : Hermann

Quatre albums (56 pages) disponibles

Dernier album paru : La dernière fois que j’ai prié

Le Lombard

03 Mar

Blake et Mortimer T25 La Vallée des Immortels 1 – Menace sur Hong Kong T26 La Vallée des Immortels 2 – Le millième bras du Mékong Scénario : Yves Sente, Dessins : Teun Berserik & Peter van Dongen

 

Yves Sente, Blake et Mortimer au fil du temps : à propos de La Vallée des Immortels

Cette année 2020 est celle d’une double célébration pour la saga dessinée du capitaine Francis Blake et du professeur Philip Mortimer. Tout d’abord, le 70e anniversaire de la sortie en album du premier tome du Secret de l’Espadon, l’aventure fondatrice. Et il y a vingt ans, paraissait La machination Voronov, deuxième album après la relance de la série en 1996, et première histoire écrite par Yves Sente.

Parmi les scénaristes ayant œuvré sur Blake et Mortimer depuis bientôt un quart de siècle – citons donc ses très estimés confrères Jean van Hamme, Jean Dufaux, Jaco van Dormael, Thomas Gunzig et bientôt José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental – Yves Sente occupe une place bien à lui. Celle d’avoir inscrit ses histoires dans une continuité temporelle par rapport à celles du père fondateur Edgar-Pierre Jacobs. Ainsi Le Bâton de Plutarque précédait-il Le Secret de l’Espadon, tout en faisant écho au diptyque Les Sarcophages du Sixième Continent, qui racontait notamment la première rencontre entre les deux héros, alors au sortir de l’adolescence.

Les deux tomes de La Vallée des Immortels ne font pas exception à la règle, car situés chronologiquement entre Le Secret de l’Espadon et Le Mystère de la Grande Pyramide. Un exercice de haute voltige, pour lequel Yves Sente démontre une nouvelle fois la parfaite maîtrise de son sujet. En deux décennies, peut-être n’a-t-il même jamais autant possédé son art, tissant une intrigue asiatique à entrées multiples incluant enjeux politiques entre Hong Kong, Taiwan et la Chine, les origines de l’empire chinois, une vallée légendaire et le Philip Mortimer inventeur.

Alors que ces intrigues multiples s’imbriquent à divers degrés au fil des deux tomes de La Vallée des Immortels, il est un personnage qui avance masqué, au sens propre comme au figuré : le colonel Olrik. Yves Sente lui a réservé l’un des plus beaux tours de force de l’histoire : au fil de l’histoire, la Némésis de Blake et Mortimer ne rencontre jamais ses meilleurs ennemis à visage découvert !

Mais la richesse de La Vallée des Immortels va bien au-delà de la savante imbrication de ses intrigues. La contrée qui donne son titre à ces deux tomes n’est pas sans rappeler les tribulations préhistoriques de Philip Mortimer dans Le Piège diabolique. La pièce d’arbalète issue de la naissance de l’empire chinois et l’Espadon sont en outre deux variations sur un même thème cher à la littérature de science-fiction : celui de l’arme absolue.

Au fil de ce diptyque à tiroirs, les dessinateurs Teun Berserik et Peter van Dongen, pour leur premier Blake et Mortimer, sont au parfait diapason de leur scénariste. Et promettent un avenir brillant. Leur aisance dans le dessin des engins volants ouvre de belles perspectives pour l’arc scénaristique fantastique de la saga de Blake et Mortimer. Nul doute qu’Yves Sente doit déjà y penser… Comme à des retrouvailles à venir avec son complice André Juillard, pour une huitième aventure en commun.

©Jean-Philippe Doret

Blake et Mortimer

T25 La Vallée des Immortels 1 – Menace sur Hong Kong

T26 La Vallée des Immortels 2 – Le millième bras du Mékong

Scénario : Yves Sente

Dessins : Teun Berserik & Peter van Dongen

2 x 56 pages

Editions Blake et Mortimer