03 Juin

Un Jardin de sable de Earl Thompson

Présentation de l’éditeur :

Un Jardin de sable est le cri de rage des laissés-pour-compte et des âmes médiocres à qui on ne tend jamais la main, mais qu’Earl Thompson [1931-1978] embrasse dans la brume du sordide et de l’impur. Jacky, né au Kansas à l’aube de la grande dépression, porte le désespoir et la misère comme une seconde peau. Témoin malgré lui de toutes les turpitudes, il se nourrit d’un monde où prévalent la brutalité, le sexe et le mépris. Sa jeunesse est un combat dans les bas-fonds de l’humanité pour se libérer de son destin et remonter à la surface. Un Jardin de sable est une oeuvre puissante et sombre, traversée de violences et de transgressions. Une histoire peuplée d’êtres acariâtres, de gamins aux mentons croûtés, de truands, de vagabonds, de prostituées, de macs et de brutes les ongles y sont sales, la peau, couverte de bleus, et les draps comme les âmes sont souillés au-delà de toute rédemption. Pourtant c’en est beau de douleur et de foi en l’avenir. C’est Steinbeck et Zola. C’est Bukowski et Fante. C’est de la dynamite et de la poésie. C’est la vie. Brutale, nauséabonde, fragile et magnifique.

Notre avis :

« Jacky, né au Kansas à l’aube de la Grande Dépression, porte le désespoir et la misère comme une seconde peau. Témoin malgré lui de toutes les turpitudes, il se nourrit d’un monde où prévalent la brutalité, le sexe et le mépris. Sa jeunesse est un combat dans les bas-fonds de l’humanité pour se libérer de son destin et remonter à la surface ».

Les romans et les auteurs américains publiés pendant la Grande Dépression des années 3O et un peu au-delà, exercent une étrange fascination chez moi. Comment pourrait-il en être autrement quand cette « génération perdue » a donné naissance à des Steinbeck, Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos ou Nabokov. C’est aussi le terreau fertile du roman noir américain que j’affectionne particulièrement

Mais revenons à notre auteur. Earl Thompson a publié 4 romans (dont le dernier à titre posthume). « Un jardin de sable », sa première œuvre parue en 1970, a réussi la prouesse d’être nominée pour le National Book Award.

J’ai découvert ce livre vraiment par hasard. La superbe couverture des Editions Toussaint Louverture a d’abord accroché mon regard puis, juste en-dessous, comme pour faire office de bandeau rouge « Préface de Donald Ray Pollock ».

Ni une, ni deux, je me suis dit « celui-là, il me le faut ! ».

Je porte toujours une attention particulière aux préfaces et comme Donald Ray Pollock est ma plus belle découverte littéraire depuis quelques années, un bouquin qui se paye le luxe d’avoir son préambule se doit obligatoirement d’atterrir entre mes mains. Je ramène donc le bel objet chez moi et commence ma lecture.

831 pages et quelques nuits blanches plus loin, je referme le roman. Sonnée.

Par où commencer ?

D’abord, âme sensible s’abstenir (mais ce serait fort dommage). Ce n’est pas une bluette et si vous pensez lire un de ces romans dont on ne se souvient plus du titre à peine terminé, vous allez être déçu.

Cette prose prend aux tripes et ne vous lâche pas.

Non, pas d’hémoglobine, rien de gore, juste une vérité brute et nue qu’on prend en pleine gueule et c’est très déstabilisant.

Bien que le thème du bouquin soit la construction, les errances psychologiques d’un jeune gars et la structuration de ses obsessions sexuelles autour d’un complexe d’Œdipe des plus délirant, ce roman charrie bien d’autres turpitudes et allégories, toutes plus fortes les unes que les autres.

C’est une sorte de récit initiatique, qui plaque des images impitoyables sur vos rétines, un feu inextinguible dans votre cœur et vous laisse un peu désemparé.

L’histoire est semi-autobiographique, ce qui est suffisant pour donner une force incroyable au récit, qui de toute façon n’en n’avait pas besoin tant l’écriture est puissante et les descriptions violentes. Les personnages sont abîmés, brisés, malmenés par la vie et l’époque dans laquelle ils évoluent.

La ténacité du héros, ce mélange de candeur et de roublardise, force à la fois le dégoût et l’admiration. La faiblesse et l’inconséquence de la mère révolte et fait pitié. L’inceste est sans doute un des sujets les plus difficiles à aborder et le mélange des rôles, entre la victime et le séducteur, rend les choses très inconfortables pour le lecteur. On oscille entre la révolte et une certaine compassion et ce qu’il reste au final, c’est la nausée.

Le plus difficile c’est qu’il n’y a rien à quoi se raccrocher. Tout est sale et misérable. Les mentalités, sans vouloir jouer les prudes, font dresser les cheveux sur la tête. La mère et le fils sont victimes de cette époque brutale pleine de bruit et de fureur et les autres personnages sont à l’avenant.

Il y a pourtant une énergie et quelque chose d’inéluctable dans ce roman, une volonté de vie qui balaye tout sur son passage et, tour de force incontestable, on s’attache à tout ce monde.

Tout est à retenir dans ce livre. L’histoire, le style, c’est un extraordinaire moment de littérature. Je ne sais pas pourquoi cet écrivain n’est pas plus connu de ce côté-ci de l’Atlantique parce que véritablement, c’est énorme ! Tout à la fois poétique, brutal, désespéré et désespérant.

Faites-vous un cadeau, laissez-vous embarquer dans le sillage de cette famille à la dérive pendant la période glauque de la Grande dépression. Vous passerez par toutes les sensations, pas forcément les plus agréables, et, sans doute comme moi, vous refermerez ce roman en ayant la sensation d’avoir été malmené mais d’en sortir plus riche d’humanité.

Une véritable pépite.

Editions : Monsieur Toussaint Louverture. Paru en janvier 2018.

© Mireille Eyermann