31 Mar

Les esclaves de Tromelin : une histoire, une BD, une exposition…

Les esclaves de Tromelin : une histoire, une BD, une exposition…

Déjà évoquée en BD en 2015 dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis, l’incroyable odyssée des esclaves de l’île de Tromelin fait jusqu’au 3 juin l’objet d’une exposition à Paris, dans le cadre de la célébration par le Musée de l’Homme du 70e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Le 31 juillet 1761, le navire français « L’Utile » s’échoue sur une île désertique de l’Océan Indien. Après reconstruction d’une embarcation avec les restes du navire, les esclaves malgaches embarqués illégalement à Madagascar ayant échappé au naufrage sont abandonnés sur place. Quinze ans plus tard, Jacques Marie de Tromelin (qui donnera son nom à l’île) recueille les derniers survivants (sept femmes et un nourrisson) le 29 novembre 1776.

En 2015, Sylvain Savoia publie chez Aire Libre « Les Esclaves oubliés de Tromelin », après avoir accompagné l’une des quatre expéditions parties sur les traces de ces esclaves oubliés, sur une île hébergeant aujourd’hui une station météorologique.

Selon deux chartes distinctes, du dessin à la mise en couleurs, il raconte à la fois le quotidien des survivants et les recherches archéologiques… Mais au fil de la lecture, Savoia tisse des fils invisibles à plus de deux siècles d’écart : l’adaptation au quotidien à un environnement qui peut devenir très vite hostile, comment dompter celui-ci et comment il influence les convictions de chacun – notamment la manière dont les esclaves malgaches doivent remettre leurs traditions en cause pour survivre – l’organisation et la (re)constitution, entre fin du XVIIIe siècle et début du XXIe, d’une micro société… Ou comment l’histoire éclaire le présent… Et inversement. Une structure scénaristique qui n’est pas sans rappeler les savants allers-retours de Francis Ford Coppola dans « Le Parrain II ».

L’histoire des esclaves de Tromelin ne pouvait laisser insensible le Musée de l’Homme dans le cadre du 70e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Et l’exposition itinérante, qui a déjà accueilli 178000 personnes avant son arrivée à Paris, peut se visiter de manière totalement indépendante de la BD… Tout en offrant une troisième lecture simultanée de cette dernière, sous des aspects multiples : la géopolitique de l’esclavage dans l’Océan Indien, le quotidien des esclaves pendant leurs quinze années d’exil (habitations, repas, ustensiles divers) et aussi la mémoire intellectuelle et littéraire de l’esclavage.

De ce point de vue, l’album de Sylvain Savoia, qui bénéficie pour l’occasion d’une édition spéciale parue le 1er mars dernier, occupera désormais une place singulière dans les écrits comme dans l’imaginaire des histoires de naufragés, rejoignant Jules Verne, Daniel DeFoe, comme la réalité des écrits des opposants à l’esclavage.

©Jean-Philippe Doret

Exposition « Tromelin, l’île des esclaves oubliés »

Du 13 février au 3 juin 2019 au Musée de l’Homme à Paris

« Les Esclaves oubliés de Tromelin »

Scénario et dessins : Sylvain Savoia

Nouvelle édition en partenariat avec le Musée de l’Homme

128 pages couleurs (dont dossier spécial inédit 8 pages de dessins inédits présentant la chronologie de l’esclavage) + jaquette couverture spéciale

Aire Libre – Dupuis

25 Mar

« Sale temps pour les grenouilles », Isabelle Bourdial

Présentation de l’éditeur

Je m’appelle Hadrien Lapousterle et je dirige le département Histoire et Civilisations aux éditions Galvani. De l’avis général, je suis un type posé et pacifique. Pourtant il n’a fallu que 4 mois pour faire de moi un tueur.
Ma cible, c’est mon chef, Grégoire Delahousse. Il vient d’être nommé à la tête du pole Arts et Savoirs. un harceleur, un costkiller, un Pomme K … vous savez, le raccurci clavier qui supprime les blocs de texte sur les Mac.
Une comédie noire contre le harcèlement au travail et le burn out, un hommage aux séries télévisées et à la culture populaire.

Notre avis

Le burn-out, Isabelle Bourdial connaît bien !
Elle a choisi le mode roman pour en parler, sans tomber dans le pathos, mais plutôt sur un mode ironique, voire franchement comique.
Les grenouilles du récit sont les victimes collatérales d’un boss aussi incompétent que sournois.
« Sur le coup, je n’ai rien perçu de sa manœuvre. À la lumière des événements qui suivirent, je comprends aujourd’hui que le feu venait d’être allumé sous la casserole. Il fallait attendre que la température monte peu à peu, en occupant la grenouille, pour qu’elle ne s’aperçoive de rien. »
Et plus loin…
« En repensant à cette scène, je vois six grenouilles dans une marmite, le cerveau en ébullition. Sauteraient-elles a temps avant de cuire dans le bouillon ? »
Tout y passe : l’humiliation, la « remise en question », le doute, la culpabilisation, la peur de mal faire… pas assez… pas à temps…

L’homme a de la ressources : « Goût pour la manipulation », « cruauté gratuite », « humour au vitriol », « goût du massacre », « génie pour mentir, tricher et blesser »…
Le changement selon Delahousse est synonymes de nivellement par le bas.
Mais il ne faut pas sous-estimer l’instinct de survie des grenouilles.

Et puis un matin : « Mon instinct me disait que tout pouvait arriver : la suppression de l’open Space, la mise au placard de Gregoire, la fin des sèche-mains. Ainsi commença l’une des pires journées de mon existence… »

La solution s’impose alors : il faut tuer ce boss toxique !
La « Confrérie de l’Orient Express » attaque alors le « Clan des chacals »…
Avec une écriture vive et pleine d’humour, Isabelle Bourdial traite d’un sujet plus grave qu’il n’y parait. En fin des remerciements, elle rappelle d’ailleurs : « une page se tourne. Un dernier conseil, fuyez comme la peste les Grégoire Delahousse. Le burn-out n’est décidément pas une maladie à prendre à la légère ».
La dernier page du récit quant à elle se termine par « FIN (ou pas) », laissant entrevoir une suite possible à ce récit…
Un bon moment de lecture, et un remède efficace contre la dépression !

©Bob Garcia

 

20 Mar

« Animal », Sandrine Collette, chez Denoël

« Animal », Sandrine Collette

Présentation de l’éditeur

Dans l’obscurité dense de la forêt népalaise, Mara découvre deux très jeunes enfants ligotés à un arbre. Elle sait qu’elle ne devrait pas s’en mêler. Pourtant, elle les délivre, et fuit avec eux vers la grande ville où ils pourront se cacher.

Vingt ans plus tard, dans une autre forêt, au milieu des volcans du Kamtchatka, débarque un groupe de chasseurs. Parmi eux, Lior, une Française. Comment cette jeune femme peut-elle être aussi exaltée par la chasse, voilà un mystère que son mari, qui l’adore, n’a jamais résolu. Quand elle chasse, le regard de Lior tourne à l’étrange, son pas devient souple. Elle semble partie prenante de la nature, douée d’un flair affûté, dangereuse. Elle a quelque chose d’animal.

Cette fois, guidés par un vieil homme à la parole rare, Lior et les autres sont lancés sur les traces d’un ours. Un ours qui les a repérés, bien sûr. Et qui va entraîner Lior bien au-delà de ses limites, la forçant à affronter enfin la vérité sur elle-même.

Humain, animal, les rôles se brouillent et les idées préconçues tombent dans ce grand roman où la nature tient toute la place.

 

Notre avis

Sandrine Collette fait partie de ces auteurs qui savent embarquer le lecteur dans leur récit en quelques pages. Peu de description, pas de tergiversation, juste une mise en situation. On est instantanément dans l’action. La tension est ressentie dans les moindres phrases. Parfois trois mots suffisent  Impossible de ne pas tourner la page pour savoir ce qui va se passer. Pendant une trentaine de pages, on suit donc avec avidité le récit de Mara, qui recueille deux gamins.

Puis l’histoire bascule dans un autre univers, qui n’a apparemment aucun rapport.

Pas le temps de regretter Mara et ses déboires.

Sandrine nous embarque déjà dans une autre histoire, celle de Lior, une jeune femme fascinée par la chasse ; et son compagnon Hadrien qui tente de suivre le mouvement.

L’introduction est un modèle littéraire : « Il y avait une étrange lumière jaune au fond du ciel, qui vient après les orages, avant même que la pluie ait cessé de raviner les terres. Hadrien connaissait bien cette lumière, qui ne disait jamais vraiment si la tempête était passée ou si elle s’apprêtait à revenir, à faire demi-tour en s’arrachant au vent. A la fois cela le rassurait que le monde ne soit pas entièrement ténèbres, et à la fois le frisson persistait le long de son dos, tout n’est pas fini, pensa-t-il, c’est pour cela, il en reste encore : du vent et de la fureur.

Le malaise, sans doute, il le tirait de cette incertitude. Est-ce que la tempête s’abattrait sur eux ou non – ou au contraire, ce qui le troublait était la conviction que quelque chose allait arriver en même temps que la lumière jaune. »

Bonjour l’ambiance. Le lecteur est prévenu. C’est parti pour 282 pages de tension, de doutes, de course-poursuite effrénée. Le tout servi par une écriture subtile, où chaque mot est pesé, où chaque ambiance est calculée, chaque décor contribue à étouffer un peu plus le lecteur.

La chute arrive comme une délivrance. On retrouve Mara et ses deux gamins. Tout est tellement lié, tellement évident, que l’on s’en veut de ne pas avoir compris.

Ce livre ne se lit pas, il se dévore.

Courez l’acheter. Seul risque : vous allez devenir accro !

Sandrine Collette n’est pas seulement une formidable raconteuse d’histoire, c’est une styliste magistrale et une auteure surdouée.

Respect, Madame ! Vivement le prochain roman. Celui-ci va rafler quelques prix littéraires, sinon je n’y connais rien…

©Bob Garcia

 

08 Mar

Le combat des pères, de Raphaël Delpard

Bienvenue en misandrie !

La « justice » familiale est rendue quasiment exclusivement par des femmes.

La « justice » familiale est trèèèèès à gauche.

Le verdict est donc immuable : la mère est une victime. Le meilleur des pères du monde reste un bourreau. Les enfants sont la propriété exclusive de la mère. Le père a le privilège de payer la mère pour qu’elle puisse les élever dignement, mais n’a pas le privilège de les voir grandir.

 

Raphaël Delpard se bat contre les inégalités et les injustices. Autant dire qu’il n’est pas prêt de s’arrêter d’écrire…

Pour son dernier livre « Le combat des pères » (Le Rocher), il a enquêté pendant plus d’un an, et a rencontré des pères, des sociologues, des pédopsychiatres, des avocats, des membres d’association, des juges des Affaires familiales.

Il a mis en évidence les dysfonctionnements et les discriminations de notre système judiciaire : les pères convoqués arbitrairement au poste de police, les demandes exorbitantes de pensions alimentaires (accordées par les JAF), les mensonges et les coups tordus des mères en toute impunité, et au bout du compte la capitulation des pères devant un système pourri jusqu’à l’os.

Et un constat abjecte et inhumain : lors des jugements de divorce, la garde des enfants est attribuée à la mère dans 80 % des cas. Les pères sont systématiquement exclus et écartés de leurs enfants. 600.000 enfants ne connaissent pas leur père et grandissent sous la « protection » de la mère et sous les coups du beau-père.

Bien sûr, il y aura toujours la connasse de service pour éclairer le débat : Ah ben dans mon cas, c’est l’inverse. C’est le père que « ne veut plus voir » ses enfants et qui a refait sa vie… comme dans les bonnes fake news d’internet, où on ne te montre qu’une partie des images, et surtout pas l’historique, bien trop embarrassant.

« Le Combat des pères » ? Perdu d’avance.

Circulez, y’a rien à voir…

03 Mar

Capricorne Intégrale T1 Scénario & dessins : Andreas

Sous le(s) signe(s) du Capricorne

Ces deux dernières décennies, Andréas a développé deux grandes séries : Arq (éditions Delcourt) et Capricorne, que Le Lombard publie aujourd’hui en édition intégrale.

Les trois personnages principaux de Capricorne ont d’abord fait leur apparition dans la série Rork, dont le cinquième des sept volumes porte précisément le titre de « Capricorne ». Par un subtil jeu de miroirs, les quatre premiers volumes constituent une sorte de prologue qui connaît son premier aboutissement dans le cinquième album « Le secret » constitue le point de convergence, par un point de vue inversé par rapport à celui du cinquième tome de Rork… qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu pour plonger dans l’univers de Capricorne-la-série.

Capricorne est un astrologue qui, dès les premières pages de cette intégrale, perd son identité et ne doit surtout pas la retrouver, sous peine de plonger la ville de New York dans le chaos. Cette saga commence par une rencontre avec trois vieillardes qui ne sont pas sans rappeler Shakespeare et les trois sorcières du destin de la pièce « Macbeth ». Et la série de cartes tirées par les trois vieillardes seront autant de marqueurs des cinq histoires à venir.

Mais de ce jeu de pistes l’humour n’est pas absent. Capricorne, dont le signe zodiacal est désormais le nom, et ses compagnons d’aventures Ash Grey et Astor sont autant de personnalités complémentaires. Le flegme de Capricorne, l’impétuosité d’Ash Grey et la maniaquerie d’Astor rythment des aventures insolites où le trio croise (dans le désordre) une créature gorgée d’électricité, un gigantesque vaisseau sous-marin, un mystérieux cube, un épéiste mercenaire, une jeune femme qui perturbe la mise en scène pseudo-ésotérique de quelques charlatans… Au jeu de ces péripéties s’ajoute celui des références : Lovecraft, Jules Verne, les feuilletonistes du début du XXe siècle, les comics, sans oublier l’ennemi juré de grande tradition franco-belge, incarné dans ce premier cycle par l’inquiétant Mordor Gott.

Alors que les albums individuels étaient publiés en couleur, le choix du noir et blanc pour cette intégrale renforce l’aspect roman-feuilleton de ce premier cycle et – surtout – magnifie encore davantage l’originalité du découpage d’Andréas, qui deviendra toujours plus audacieux au fil des quatre volumes à venir de cette intégrale, dont le prochain sortira en mai prochain.

©Jean-Philippe Doret

 

Capricorne Intégrale T1

Scénario & dessins : Andreas

264 pages noir & blanc – Contient les albums « L’objet », « Electricité », « Deliah », « Le cube numérique » et « Le secret »

Le Lombard