Jean-Luc Roy et la Formule 1, un livre entre dérive et passion
Depuis le mois d’août, un gigantesque mercato secoue, comme rarement dans son histoire, le monde de la Formule 1, entre rachat d’écurie et une valse des pilotes. Des événements qui ont donné une couleur particulière, voire prémonitoire, à « Il faut sauver le soldat F1 », le livre de Jean-Luc Roy sorti deux mois et demi plus tôt. Spécialiste reconnu sur les ondes de RMC, fondateur de la chaîne spécialisée Motors TV (devenue aujourd’hui Motorsport.tv), il livre, tout en restant accessible auprès des non-spécialistes, une analyse de la perte de popularité inquiétante de la discipline reine du sport automobile, victime selon lui de règlements sportif et technique trop complexes, ainsi que de sanctions en piste qu’il juge trop castratrices pour les pilotes. Regard d’un journaliste passionné qui, malgré le constat alarmant, garde la foi.
« Il faut sauver le soldat F1 » est-il un cri d’alarme, un réflexe de passionné, l’envie d’un avenir meilleur pour la F1, ou tout cela en même temps ?
Jean-Luc Roy : Il y a plusieurs années que l’envie, et même le besoin, d’écrire ce livre me trotait dans la tête. Ce livre est donc tout à la fois un cri d’alarme, parce que je ne peux pas supporter en tant que passionné de voir la F1 défigurée et en partie vidée de tout ce qui en faisait le charme unique, c’est aussi un réflexe de passionné parce que je voudrais que la FIA, qui gère les règlements sportifs et techniques, et Liberty Media, qui gère les aspects promotionnels et commerciaux se réveillent enfin et cessent de détruire ce magnifique championnat qui était le pinacle du sport automobile. Et c’est enfin plaider pour un avenir meilleur parce que je reste toujours optimiste et je pense qu’une prise de conscience peut et doit intervenir immédiatement !
Vous avez fait appel dans ce livre à de nombreuses personnalités, et pas seulement issues du monde du sport automobile. A votre avis, que pourrait apprendre la F1 actuelle d’autres disciplines sportives au-delà des sports motorisés ?
Il ne faut pas nier le fait que tous les sports, pratiquement sans exception, ont dû se transformer et subir des mutations pour s’adapter à leur développement, à l’arrivée de nouveaux partenaires, de nouveaux média, de puissants groupes financiers. Pour rester dans les sports mécaniques je citerai les Grands Prix Moto, que beaucoup d’anciens passionnés de F1 suivent de près aujourd’hui, les rallyes de Championnat du Monde, ou encore les 24 Heures du Mans. Dans d’autres domaines on peut citer le cyclisme, le ski ou même le tennis qui ont su préserver les fondamentaux et ne pas se galvauder et perdre leur âme. La F1 doit absolument conserver ses principes de base dont font évidemment partie intégrante le risque et le danger, même si certains voudraient croire que notre époque ne tolèrerait plus ce genre de notions… Pourtant la vie se termine toujours de la même manière, mais il y a beaucoup de moments exaltants à vivre auparavant !
Le fait de voir des investisseurs entrer dans le capital de certaines écuries (parfois pour financer la carrière de leurs enfants pilotes) est-il pour les équipes concernées une bouée de sauvetage ou un danger ?
Effectivement, voir un père acheter une équipe de F1 pour faire rouler son fils est tellement caricatural qu’on peut en rire. Mais il faut savoir que sur les dix équipes présentes aujourd’hui en F1, sept d’entre elles sont en situation difficile ou même périlleuse, et les trois plus puissantes survivront tant que leurs conseils d’administrations respectifs seront disposés à voter des budgets annuels de plusieurs centaines de millions d’euros… ce qui peut être remis en question du jour au lendemain. Le sauvetage rocambolesque d’une équipe est donc une « bouée de sauvetage », mais cela ne dispense pas d’apprendre à nager, et surtout de tout faire pour « Sauver le soldat F1 » et lui permettre de quitter le champ de bataille indemne, si possible ?
Enzo Ferrari, qui nous a quittés il y a trente ans, a dit un jour que « la F1 mourra un jour d’avoir faim ou d’avoir trop mangé ». Cette formule aurait-elle été prémonitoire par rapport à votre livre ?
Je ne me souvenais plus de cette phrase, mais je crains qu’elle ne soit prémonitoire, et que la F1 finisse par mourir à force de ne pas avoir pris les mesures draconiennes indispensables pour perdre tous ces kilos superflus et retrouver une ligne de sportive ! Aujourd’hui, les règlements techniques concernant les moteurs et l’aérodynamique notamment exigent des milliers d’heures de recherche et de développement menés par des centaines d’ingénieurs et de techniciens pour obtenir éventuellement des gains illusoires ou seulement pour ne pas être totalement dominés, comme Honda et Renault aujourd’hui face à Mercedes et Ferrari. Ce gaspillage insensé ne produit aucun spectacle sur la piste, bien au contraire. Même remarque pour les pneumatiques dont l’utilisation est tellement réglementée que cela devient incompréhensible, y compris pour les spécialistes. Pour en terminer par les règlements sportifs trop tatillons et interventionnistes qui privent les pilotes de toute possibilité d’attaque et les contraignent souvent à suivre les consignes strictes imposées par radio par leurs ingénieurs et stratèges. Cette F1-là est vouée à l’échec et au désintérêt progressif, si on ne remet pas la batte dans la bonne direction très rapidement !
©Jean-Philippe Doret
Jean-Luc Roy « Il faut sauver le soldat F1 »
176 pages + cahier couleur 16 pages
L’Autodrome Editions