Aire Libre met les gants
En deux albums sortis à quelques mois d’intervalle, entre l’automne 2019 et l’été 2020, le label de prestige des éditions Dupuis évoque deux moments hors norme de l’histoire de mla boxe. Nous les réunissons ici sous la forme d’un « combat » imaginaire… qui finalement n’en est pas un, compte tenu de la richesse de ces deux romans graphiques.
Après lecture, libre à chacun de désigner son « vainqueur », ou tout simplement de déclarer un match nul, pour un plaisir de lecture partagé au fil de la singularité de ces deux albums. Ami lecteur, voici donc quelques données qui vous permettront d’arbitrer vous-même ce match bédéphile dédié à deux moments intemporels du noble art !
Premier round : deux icônes de la boxe – Avec Jack Johnson dans Il était deux fois Arthur et Mohamed Ali, ces deux albums mettent en scène deux fortes personnalités alliant talent sportif (ils ont tous les deux été champions du monde), sens du spectacle, et engagement. Entre Belle Epoque et années 1970, Jack Johnson et Mohamed Ali ont défié les conventions de leurs temps.
Deuxième round : deux combats pas comme les autres – Dans Il était deux fois Arthur, John Arthur (dit Jack) Johnson, premier boxeur noir champion du monde, affronte le 23 avril 1919 à Barcelone Arthur Cravan, dandy et neveu de l’écrivain Oscar Wilde, dans un combat qui pourrait être le précurseur, en termes de sport-spectacle, de celui de Mohamed Ali face à George Foreman à Kinshasa le 30 octobre 1971.
Troisième round : deux narrations singulières – Dans Il était deux fois Arthur, Nine Antico fait du combat Johnson/Cravan le point scénaristique central de l’album, construisant avant et après des chapitres pouvant se lire soit de manière indépendante, soit comme un tout… soit comme un palindrome. Pour Mohamed Ali Kinshasa 1974, Jean-David Morvan offre une nouvelle variation sur la collection spéciale de Aire Libre en partenariat avec l’agence Magnum, dont il est le scénariste attitré, mélangeant les images du photographe Abbas et les dessins de Rafael Ortiz. Images, dessins, narration et flashbacks constituent ainsi plusieurs niveaux de lecture, d’une richesse égale à celle de Il était deux fois Arthur.
Quatrième round : deux approches graphiques atypiques – Dans Il était deux fois Arthur, Grégoire Carlé fait le choix du noir et blanc intégral, dans une atmosphère rappelant le cinéma expressionniste allemand d’un Murnau ou d’un Fritz Lang. Dans Mohamed Ali Kinshasa 1974, les dessins de Rafael Ortiz multiplient les partis-pris visuels (sépia, noir et blanc, couleur) selon le niveau de narration. Sa mise en scène des combats est ultradynamique, avec des effets de vitesses sur les coups et une puissance visuelle qui n’est pas sans rappeler les gros plans de Martin Scorsese dans le film Raging Bull.
Cinquième round : des postfaces éclairantes – Celle de Il était deux fois Arthur revient sur l’histoire de Jack Johnson, tandis que Mohamed Ali Kinshasa 1974 propose une chronologie de Mohamed Ali, raconte par le détail le travail de préparation avec Abbas, et offre un magnifique bonus : les premières planches dessinées par Horacio Altuna, avant que celui-ci… ne jette l’éponge.
©Jean-Philippe Doret
Il était deux fois Arthur
Scénario : Nine Antico
Dessins : Grégoire Carlé
180 pages
Mohamed Ali, Kinshasa 1974
Scénario : Jean-David Morvan, avec Séverine Tréfouhel
Photographie : Abbas
Dessins : Rafael Ortiz
136 pages
Magnum Photos/Aire Libre