L’effet d’une bombe…
Il y a 75 ans, les 6 et 9 août 1945, explosaient des deux premières bombes atomiques, respectivement sur Hiroshima et Nagasaki. La genèse de la première arme nucléaire est au coeur de La Bombe, sorti en mars dernier, et incontestablement l’un des grands événements de l’année 2020 de la bande dessinée.
Depuis qu’il s’est lancé en tant que scénariste BD voici quatre décennies alors qu’il venait de passer la cinquantaine, Alejandro Jodorowsky a aimé dire qu’à l’inverse du cinéma, la bande dessinée n’était pas soumise à la moindre limite de budget. Une réflexion qui ne manque pas de revenir à l’esprit à la lecture de La Bombe…
Revisitant douze années d’histoire, de 1933 à la date fatidique du 6 août 1945, ces 472 pages sont portées par un souffle comparable à celui des grandes fresques cinématographiques consacrées à la Deuxième Guerre mondiale pendant les années 1960 : Le Jour Le Plus Long, La Grande Evasion, Patton… Ce que partagent entre autres ces films et La Bombe, c’est une fantastique galerie de portraits, dont aucun n’est banal. Figures réelles et fictives s’entrelacent ainsi dans le monde entier, et même l’uranium est traité comme un personnage à part entière ! Démontrant ainsi, s’il en était encore besoin, que le contexte guerrier constitue une source inépuisable pour sonder le meilleur comme le pire de l’âme humaine.
La Bombe, c’est aussi un défi nourri du vécu de ses auteurs. L’histoire japonaise personnelle de Didier Alcante croise l’art du roman graphique en grand large de Laurent-Frédéric Bollée, dont le magnifique Terra Australis, déjà pour la collection 1000 Feuilles, avait fait date en 2013. Le duo signe une fresque d’une profonde humanité : alternant l’héroïque et l’intime, harmonisant les différents points de vue (allemand, américain, japonais), rendant quasi palpables les doutes nés d’une éventuelle utilisation d’une telle arme, et rêvant même l’histoire de la fameuse ombre de cette victime demeurée inconnue, imprimée à jamais dans la pierre près de l’hypocentre de l’explosion d’Hiroshima.
Le dessin du Québécois Denis Rodier est à la frontière de l’Europe et de l’Amérique, de la bande dessinée franco-belge et des comics, qu’il a d’ailleurs assidument fréquentés, entre autres sur Superman. Une impression renforcée par le format même des albums de la collection 1000 Feuilles des éditions Glénat, très proche de celui des grands graphic novels de Marvel ou DC Comics. L’art du découpage est au diapason, et les cadrages accentuent l’aspect cinématographique et universel de cette épopée, tout en étant pour l’œil une source ininterrompue d’un émerveillement renforcé par choix du noir et blanc.
Après le climax de l’explosion d’Hiroshima, La Bombe s’achève sur le destin de certains protagonistes après la Guerre… Une manière de générique de fin pour un album hors norme, qui sait subtilement s’adresser aussi bien au profane qu’au passionné de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier saura peut-être y trouver le film de référence jamais réalisé sur la genèse de l’arme qui a fait basculer l’histoire d’une guerre, mais aussi du monde et du XXe siècle…
© Jean-Philippe Doret
La Bombe
Scénario : Didier Alcante & Laurent-Frédéric Bollée
Dessins : Denis Rodier
472 pages noir & blanc
Glénat BD, collection 1000 Feuilles