Martin Milan, les premiers vols
Sous la houlette de son rédacteur en chef de l’époque Michel Greg, l’inoubliable créateur d’Achille Talon, de nombreuses nouvelles séries fleurissent dans le Journal de Tintin à la fin des années 1960. Parmi elles, Martin Milan, sous la plume de Christian Godard en 1967, est l’une des plus atypiques.
Premier anti-héros de l’école franco-belge ? Voire… Toujours est-il que Martin Milan détonne effectivement dans la production de cette période. Il ne combat pas le mal la fleur au fusil, ne sauve pas le monde… Il vit plutôt au jour le jour ses aventures en gagnant tant bien que mal sa croûte de pilote d’avion-taxi avec le Vieux Pélican, un coucou qui perd ses boulons plus souvent qu’à son tour… Le tout avec un art proverbial de la distanciation et un sens de la réplique qui fait mouche. Lointain cousin de Corto Maltese, le mythique marin d’Hugo Pratt, le cynisme en moins peut-être…
Outre le fait de remettre en lumière ce personnage pour le moins singulier, l’autre mérite de cette intégrale est de présenter les aventures de Martin Milan dans leur ordre chronologique, après des parutions en albums pour le moins aléatoires. Et si certaines des histoires courtes présentées dans le premier volume de cette intégrale offrent un burlesque réjouissant jusque dans leurs titres (« Le maboul du boulon », « Hélice au pays des merveilles »), on sent poindre au fil de la lecture – et notamment de trois histoires – un rapport très singulier à l’enfance, qui fera par la suite l’originalité du personnage et de son créateur.
Dans « Martin Milan, pilote d’avion-taxi », qui ouvre cette intégrale, il raconte à un adolescent son rêve de devenir pilote. Dans « Les clochards de la jungle », il vient en aide, presque malgré lui, à Petit Pierre dans la recherche de son père (« Vous n’auriez pas vu mon papa ? »). Et dans « Eglantine de ma jeunesse », il est confronté à Benji, un adolescent plus que réticent à se séparer d’Eglantine… une lionne qu’il a élevée dès le biberon, et qui tient plus du chat d’appartement douillet (oxymore ?) que du grand fauve ! L’ombre bienveillante d’Antoine de Saint-Exupéry, Rudyard Kipling et Joseph Kessel plane sur ces trois aventures… Tout comme celle du mythe d’Orphée, voire de Jean Cocteau, dans « Le chemin de nulle part », surprenante incursion dans le fantastique.
Par la suite, Martin Milan poursuivra sa route au fil d’histoires aux titres aussi poétiques qu’énigmatiques : citons entre autres « L’émir aux sept bédouins », « Les hommes de la boue », « Mille ans pour une agonie », « Adeline du bout de la nuit », « L’ange et le surdoué » ou encore « L’enfant à la horde »… A redécouvrir dans les trois prochains tomes de cette intégrale prévue en quatre volumes.
©Jean-Philippe Doret
Martin Milan pilote d’avion-taxi Intégrale T1
Scénario et dessins : Christian Godard
200 pages – Contient onze histoires de 1967 à 1970
Le Lombard