08 Oct

Heimaey de Ian Manook

Présentation de l’éditeur:

Quand Jacques Soulniz embarque sa fille Rebecca à la découverte de l’Islande, c’est pour renouer avec elle, pas avec son passé de routard. Mais dès leur arrivée à l’aéroport de Keflavik, la trop belle mécanique des retrouvailles s’enraye. Mots anonymes sur le pare-brise de leur voiture, étrange présence d’un homme dans leur sillage, et ce vieux coupé SAAB qui les file à travers déserts de cendre et champs de lave… jusqu’à la disparition de Rebecca. Il devient dès lors impossible pour Soulniz de ne pas plonger dans ses souvenirs, lorsque, en juin 1973, il débarquait avec une bande de copains sur l’île d’Heimaey, terre de feu au milieu de l’océan.
Un trip initiatique trop vite enterré, des passions oubliées qui déchaînent des rancœurs inattendues, et un flic passionné de folklore islandais aux prises avec la mafia lituanienne.

Notre avis:

C’est en voyage que m’a transporté Ian Manook avec son dernier roman Heimaey. Un voyage dans l’Islande des légendes et des croyances, dans l’Islande aux mille et un visages, des pentes volcaniques aux landes d’herbes fraîches, des villages de pêcheurs aux pistes caillouteuses, dans l’Islande dont le feu brûle sous la glace

Très vite, dès les premières pages, je me suis sentie happée sur cette île fascinante, où la terre et la mer font jeu égal dans la vie des habitants, et que Ian décrit avec poésie:

« Le magma noir en décor à d’improbables tropiques. Un écrin calciné pour une eau lumineuse, d’un vert laiteux de jade sous un ciel d’acier brossé. Tout autour la laideur fascinante de la lave à l’odeur de pierre brûlée et, au milieu, l’attirance hypnotique d’une eu de céramique courue d’un duvet de vapeur. »

Les descriptions des lieux sont magistrales, au point d’en avoir eu parfois le souffle coupé et d’être transportée sur l’île au travers des yeux des personnages.

Il parle de la terre et de la mer comme un homme amoureux, avec tendresse ou avec fougue, mais toujours avec la force des images qu’il utilise:

« La mer est une maîtresse trompeuse qui prend les hommes et les bateaux par le ventre, même les plus solides, et les engloutit. Les autres marins du monde disent que le vent sème la tempête, mais les Islandais le savent: c’est du gouffre de la mer que surgit la tempête. De ses entrailles. Du fond vengeur que leurs chaluts raclent et pillent. Les tempêtes sont des vengeances. Des sursauts de bête qu’on assassine. »

« Les tempêtes sont des vengeances »… La vengeance… Thème en fil rouge de ce roman. Quand Soulniz se rend en Islande avec sa fille, c’est pour se rapprocher de cette enfant avec laquelle il n’avait plus aucun contact. C’est pour lui faire découvrir ces lieux où il est devenu adulte, ces lieux qui l’ont fasciné. Ce qu’il ne sait pas, c’est que dans ce passé adulé, la vengeance gronde.

Outre ce sentiment qui ronge quiconque le ressent, Ian Manook nous raconte la crise financière en Islande et son impact sur la population, y compris ceux que l’on aurait pu penser être protégés. Il évoque cette terre de légendes mais aussi de coutumes; la quasi absence d’homicides, comme dans beaucoup de pays nordiques, l’ouverture aux autres si différente de ce que l’on connaît en France. Il nous parle de l’addiction aux réseaux sociaux pour les habitants de cette île coupée du reste du monde. Il décrit le paradoxe entre la beauté de l’île, ses coutumes ancestrales et l’hyper exploitation de ses ressources naturelles ainsi que la barbarie de la pêche intensive. Enfin il nous parle des relations pères/filles qui peuvent être parfois difficiles mais aussi du sentiment de culpabilité quand, dans la mort, nous sommes celui qui reste. Tant de sujets qui sont développés, fouillés, argumentés et illustrés, démontrant ainsi à quel point Ian connaît ce pays qui semble lui être cher.

Sur la construction du roman et des chapitres, j’ai retrouvé avec plaisir la « manook touch », un titre suivi des derniers mots du chapitre. Un style original que j’avais beaucoup aimé en découvrant Yeruldelgger.

Enfin, je ne pouvais clore cette chronique sans vous parler d’un personnage: Simonis. Je ne vous dirais pas qui il est, ni son rôle dans l’intrigue pour ne pas gâcher votre découverte, toutefois, il m’aura souvent fait sourire… parce que si Simonis est lituanien, sa façon de s’exprimer en usant et abusant de proverbes, m’a laissé de lui l’image d’un Maître Yoda moderne, même si, in fine, il est loin d’en avoir la sagesse.

Heimay n’est pas un coup de cœur pour l’intrigue, qui bien que prenante et bien construite n’est pas, pour moi, la force de ce roman. Mon coup de cœur, parce qu’il existe bel et bien, va à la plume remarquable de Ian, à cette capacité qu’il a de nous faire voyager sans quitter notre canapé, à cet amour qu’il glisse dans ses mots, à la poésie qu’il distille entre ses lignes.

Paru le 26 septembre 2018 chez Albin Michel, 464 pages.

@Ophélie Cohen

BD Buc 2018 : le dessinateur Regric dédicace « La stratégie du chaos »

Guy Lefranc, un reporter toujours d’actualité

En à peine un an, la sortie du « Principe d’Heisenberg » et de « La stratégie du chaos », ainsi que le lancement par Hachette d’une collection en kiosque offre l’occasion de faire le point sur l’évolution du personnage créé en 1952 par Jacques Martin depuis la disparition du père d’Alix.

A l’origine, Jacques Martin (1921-2010) n’a dessiné que les trois premières aventures de son personnage, avant de n’en conserver que le poste de scénariste. Homme prévoyant, il avait assuré sa succession sur deux voies parallèles, avec des auteurs chargés de poursuivre après son décès les aventures de son reporter à la fois dans les années 1950 et à l’époque contemporaine.

« Le principe d’Heisenberg » et « La stratégie du chaos », les deux dernières histoires en date, parues à six mois d’intervalle à l’automne 2017 et au printemps 2018, font toutefois exception à cette règle d’alternance, avec deux intrigues ancrées dans les fifties. Dans le premier, un crime sanglant cache un complot d’Etat. Dans le second, un milliardaire cloîtré dans un gigantesque navire hig-tech, lointain cousin de l’arche de Noé et du Nautilus du Capitaine Nemo, veut provoquer un holocauste nucléaire pour assurer à la terre un avenir meilleur.

Ses successeurs poursuivent bien sûr une certaine tradition établie par Jacques Martin : l’importance du décor régional (« Le principe d’Heisenberg »), qui peut faire écho aux Vosges de « La grande menace », le premier album, la passion de Jacques Martin pour les voitures de sport, ou encore l’art de la catastrophe et du chantage à grande échelle. Mais les albums récents apportent une dimension supplémentaire, avec l’apparition de personnages ayant réellement existé.

Ainsi « La stratégie du chaos » s’achève-t-il sur une rencontre, dans le cadre des JO de Melbourne (1956), entre Guy Lefranc et le marathonien français Alain Mimoun, médaille d’or olympique cette année-là. Auparavant, le reporter avait croisé la route de Johnny Stompanato, le mari mafieux de la comédienne Lana Turner (« Le châtiment ») et même le cosmonaute Youri Gagarine (« L’homme oiseau »).

Un ancrage bienvenu qui donne un nouveau cachet à l’univers de Lefranc, qui tient autant au globe-trotter intrépide hérité de Tintin, qu’à l’héritage de Jules Verne et de James Bond. En attendant un anniversaire : celui du trentième album.

Lefranc T28 « Le principe d’Heisenberg »

Scénario : François Corteggiani

Dessin : Christophe Alvès

48 pages

 

Lefranc T29 « La stratégie du chaos »

Scénario : Roger Seiter

Dessin : Régric

48 pages

Editions Casterman

07 Oct

25ème Festival BD de Buc : Emilio Van Der Zuiden dédicace « Les Beresford »

Mr Brown: Les Beresford Album, de Emilio Van der Zuiden (Illustrations)

Mr Brown met en scène deux « vieux » amis, Prudence Cowley (dite Tuppence) et Thomas Beresford (dit Tommy), tous deux démobilisés après la Première Guerre mondiale, la première ayant participé à l’effort de guerre par son travail d’infirmière, le second après avoir combattu (et été blessé) dans les rangs britanniques. Ils sont tous deux mêlés à une affaire d’espionnage, au cours de laquelle ils seront aux prises avec un mystérieux adversaire, surnommé Mr Brown, lequel tient absolument à récupérer des documents compromettants confiés à une jeune fille, une certaine Jane Fish, rescapée du torpillage du paquebot Lusitania, et qui, consciente du risque couru, n’a cessé de se cacher depuis lors en dissimulant son identité. L’adversaire des deux héros projette en effet de renverser par une révolution l’ordre social établi au Royaume-Uni, projet qui pourrait être anéanti par la découverte de ces documents…

06 Oct

BD Buc 2018 : « Le Petit théâtre de Spirou » à l’honneur

 

Le petit théâtre de Spirou, de Doisy Jean (Auteur), Moons André (Auteur), Al Severin (Illustrations)

Présentation de l’éditeur

Par un froid mois de décembre 1942, un théâtre de marionnettes fondé par André Moons et Jean Doisy, alors rédacteur en chef du Journal Spirou, sillonne la Belgique occupée pour compenser l’interruption de la publication du journal et servir de couverture à un réseau de résistants. Les spectacles pour marionnettes à fils, espiègles et touchantes, mettaient en scène Spirou et son fidèle ami Spip dans des historiettes écrites par Jean Doisy et jouées par André Moons, entre les mains duquel les marionnettes prenaient vie de façon magique. Puis la guerre s’acheva et les saynètes s’endormirent 70 ans durant dans un grenier. Jusqu’à ce que… Des décennies plus tard, les auteurs de « La véritable histoire de Spirou » découvrent ces écrits uniques et, avec la complicité de Al, décident de les ramener à la lumière. Un pari osé, réussi avec grâce, qui nous ouvre les portes d’un voyage unique et émouvant dans le Spirou de ces années-là. Spirou, Spip, Fantasio pour sa première apparition visuelle (un an avant que Jijé ne lui confère sa célèbre silhouette), mais aussi d’autres grands oubliés du journal : les AdS, Georges Cel, le Fureteur ou les Tif et Tondu de Fernand Dineur.

02 Oct

« Il faut sauver le soldat F1 » de Jean-Luc Roy

Jean-Luc Roy et la Formule 1, un livre entre dérive et passion

Depuis le mois d’août, un gigantesque mercato secoue, comme rarement dans son histoire, le monde de la Formule 1, entre rachat d’écurie et une valse des pilotes. Des événements qui ont donné une couleur particulière, voire prémonitoire, à « Il faut sauver le soldat F1 », le livre de Jean-Luc Roy sorti deux mois et demi plus tôt. Spécialiste reconnu sur les ondes de RMC, fondateur de la chaîne spécialisée Motors TV (devenue aujourd’hui Motorsport.tv), il livre, tout en restant accessible auprès des non-spécialistes, une analyse de la perte de popularité inquiétante de la discipline reine du sport automobile, victime selon lui de règlements sportif et technique trop complexes, ainsi que de sanctions en piste qu’il juge trop castratrices pour les pilotes. Regard d’un journaliste passionné qui, malgré le constat alarmant, garde la foi.

« Il faut sauver le soldat F1 » est-il un cri d’alarme, un réflexe de passionné, l’envie d’un avenir meilleur pour la F1, ou tout cela en même temps ?

Jean-Luc Roy : Il y a plusieurs années que l’envie, et même le besoin, d’écrire ce livre me trotait dans la tête. Ce livre est donc tout à la fois un cri d’alarme, parce que je ne peux pas supporter en tant que passionné de voir la F1 défigurée et en partie vidée de tout ce qui en faisait le charme unique, c’est aussi un réflexe de passionné parce que je voudrais que la FIA, qui gère les règlements sportifs et techniques, et Liberty Media, qui gère les aspects promotionnels et commerciaux se réveillent enfin et cessent de détruire ce magnifique championnat qui était le pinacle du sport automobile. Et c’est enfin plaider pour un avenir meilleur parce que je reste toujours optimiste et je pense qu’une prise de conscience peut et doit intervenir immédiatement !

Vous avez fait appel dans ce livre à de nombreuses personnalités, et pas seulement issues du monde du sport automobile. A votre avis, que pourrait apprendre la F1 actuelle d’autres disciplines sportives au-delà des sports motorisés ?

Il ne faut pas nier le fait que tous les sports, pratiquement sans exception, ont dû se transformer et subir des mutations pour s’adapter à leur développement, à l’arrivée de nouveaux partenaires, de nouveaux média, de puissants groupes financiers. Pour rester dans les sports mécaniques je citerai les Grands Prix Moto, que beaucoup d’anciens passionnés de F1 suivent de près aujourd’hui, les rallyes de Championnat du Monde, ou encore les 24 Heures du Mans. Dans d’autres domaines on peut citer le cyclisme, le ski ou même le tennis qui ont su préserver les fondamentaux et ne pas se galvauder et perdre leur âme. La F1 doit absolument conserver ses principes de base dont font évidemment partie intégrante le risque et le danger, même si certains voudraient croire que notre époque ne tolèrerait plus ce genre de notions… Pourtant la vie se termine toujours de la même manière, mais il y a beaucoup de moments exaltants à vivre auparavant !

Le fait de voir des investisseurs entrer dans le capital de certaines écuries (parfois pour financer la carrière de leurs enfants pilotes) est-il pour les équipes concernées une bouée de sauvetage ou un danger ?

Effectivement, voir un père acheter une équipe de F1 pour faire rouler son fils est tellement caricatural qu’on peut en rire. Mais il faut savoir que sur les dix équipes présentes aujourd’hui en F1, sept d’entre elles sont en situation difficile ou même périlleuse, et les trois plus puissantes survivront tant que leurs conseils d’administrations respectifs seront disposés à voter des budgets annuels de plusieurs centaines de millions d’euros… ce qui peut être remis en question du jour au lendemain. Le sauvetage rocambolesque d’une équipe est donc une « bouée de sauvetage », mais cela ne dispense pas d’apprendre à nager, et surtout de tout faire pour « Sauver le soldat F1 » et lui permettre de quitter le champ de bataille indemne, si possible ?

Enzo Ferrari, qui nous a quittés il y a trente ans, a dit un jour que « la F1 mourra un jour d’avoir faim ou d’avoir trop mangé ». Cette formule aurait-elle été prémonitoire par rapport à votre livre ?  

Je ne me souvenais plus de cette phrase, mais je crains qu’elle ne soit prémonitoire, et que la F1 finisse par mourir à force de ne pas avoir pris les mesures draconiennes indispensables pour perdre tous ces kilos superflus et retrouver une ligne de sportive ! Aujourd’hui, les règlements techniques concernant les moteurs et l’aérodynamique notamment exigent des milliers d’heures de recherche et de développement menés par des centaines d’ingénieurs et de techniciens pour obtenir éventuellement des gains illusoires ou seulement pour ne pas être totalement dominés, comme Honda et Renault aujourd’hui face à Mercedes et Ferrari. Ce gaspillage insensé ne produit aucun spectacle sur la piste, bien au contraire. Même remarque pour les pneumatiques dont l’utilisation est tellement réglementée que cela devient incompréhensible, y compris pour les spécialistes. Pour en terminer par les règlements sportifs trop tatillons et interventionnistes qui privent les pilotes de toute possibilité d’attaque et les contraignent souvent à suivre les consignes strictes imposées par radio par leurs ingénieurs et stratèges. Cette F1-là est vouée à l’échec et au désintérêt progressif, si on ne remet pas la batte dans la bonne direction très rapidement !

©Jean-Philippe Doret

Jean-Luc Roy « Il faut sauver le soldat F1 »

176 pages + cahier couleur 16 pages

L’Autodrome Editions