Il faut avoir de l’audace pour réaliser un western à Nantes !
Pari relevé par le réalisateur Pierre-Alexandre Chauvat et son association MIST Films avec la réalisation du court-métrage « L’héritage ».
Et pari réussi.
Le film a récemment obtenu le Prix du meilleur court-métrage à Almeria Western Film Festival Oficial en Espagne. Il a été sélectionné hors compétition pour le prochain Festival Premiers Plans d’Angers, dans le cadre des Films d’ici, organisé par l’association Cinéma Parlant. Une belle récompense pour ce jeune réalisateur installé à Nantes depuis quelques années et passionné par le film de genre.
Plutôt qu’un film de western classique, avec duel au pistolet et boules de foin qui roulent au vent, Pierre-Alexandre souhaite proposer une comédie avec comme personnage principal, un antihéros alcoolique, sorte de John McClane de l’Ouest.
L’histoire : « Après plusieurs années à l’état sauvage, un trappeur endurci accepte un poste de shérif dans un bled paumé. Rendez-vous donné au Saloon avec le maire de la ville pour conclure l’affaire. Malheureusement, c’est le shérif actuel lui-même qui débarque, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’a pas l’intention de lui céder sa place. Il y a des jours où la loi est de votre côté, pas aujourd’hui. »
Rencontre avec Pierre-Alexandre, pour nous dévoiler toutes les étapes de la réalisation de son film.
Un lieu … un film
Pour faire un film, il faut avoir une idée, un propos, une réflexion…et coucher tout ça sur le papier. C’est la première étape : le scénario
Pour Pierre-Alexandre tout a commencé par un lieu : le Morning-City Saloon, situé à Thouaré-sur-Loire près de Nantes.
« Quand j’ai vu cet endroit, ça a été le déclic. Je me suis dit qu’il y avait la possibilité d’avoir de la crédibilité pour faire un film de genre, d’époque (…) ce lieu est un vrai décor de cinéma. »
Et le gros avantage pour le réalisateur, c’est que les gérants des lieux sont des passionnés de western, qui ont, non seulement le décor, mais aussi des costumes et des revolvers criants de vérité.
En avant pour l’aventure
L’idée première du jeune réalisateur est de faire un sketch, une petite vidéo tournée avec 3-4 personnes dans ce décor.
Finalement, le projet devient plus ambitieux. Pierre-Alexandre comprend qu’il va falloir qu’il fasse ses preuves pour montrer que son projet tient la route. Il se lance donc dans la réalisation d’un teaser avec l’accord des patrons des lieux, pour montrer ce qu’il a en tête.
« Ça me tenait à cœur de le faire dans les meilleurs conditions, avec les vrais costumes, les vraies balles à blanc. La réalisation de ce teaser était une première étape pour rechercher des techniciens.»
Il était une fois… un scénario
Ce lieu typique d’un western va inspirer le scénario et c’est surtout un détail qui va donner le ton du film : la table centrale
« Tout de suite je me dis, il faut que ça tourne autour de l’alcool et que ça soit léger. »
Après une 1ère version pas très aboutie, Pierre-Alexandre se tourne vers un ami, scénariste, Hugo Malpeyre, qui comprend les faiblesses de cette première version.
« Avec Hugo, on a échangé pendant 6 mois, on a les mêmes références. Globalement, j’étais décideur du truc, mais lui emmenait toute sa connaissance en dramaturgie, en scénario, des astuces pour soutenir un propos. Par exemple, le héros est un chasseur, il cherche sa proie, il faut donc que son lexique tout au long du film soutienne ça. »
Le scénario en cours de finition, il faut passer à l’étape de la production et au financement.
La bourse ou la vie
Le financement c’est le nerf de la guerre. Plusieurs solutions existent pour aider au financement d’un film :
– Les aides régionales : pour les obtenir, il faut mettre en valeur la région et/ou employer des personnes de celle-ci.
– Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) : c’est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la culture. Pour cette aide, le projet doit être extrêmement solide
– Le GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) : considéré plutôt comme un producteur, la sélection se fait là aussi sur dossier.
– Le crowd-funding ou financement participatif, c’est une bonne solution pour se lancer.
Pierre-Alexandre a choisi de déposer une demande de financement auprès de la Région Pays de la Loire. Cette partie très administrative, n’a pas été simple. Il lui a fallu tout d’abord élaborer un budget prévisionnel et remplir un dossier : « C’est déjà toute une épreuve de comprendre comment cela fonctionne ! »
La réponse se fait attendre… le couperet tombe : la Région n’accorde pas son aide : « Elle refuse sous prétexte que c’est le sujet qui doit inspirer le scénario et non le lieu. Mais moi j’ai envie de leur dire : qui aujourd’hui fait un western sur le papier et passe 4 ans à trouver le lieu? (…) pourtant le casting et l’équipe technique était pourtant à 90% des Pays de la Loire (…) mais ils ont jugé le projet trop ambitieux. »
En parallèle, le réalisateur lance une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank qui a largement atteint son objectif premier de 3 000€. Il a récolté en tout 3500 euros, pour un budget estimé à 15 000 euros.
« J’espère que c’est la première et dernière fois que je fais ça. (…). Le reste du financement, s’est fait avec de l’argent personnel, je me paye un peu mon CV, mais je préviens, c’est un one shot, je ne le referai pas à chaque fois ! »
Une fois le scénario écrit et découpé, il faut s’occuper du repérage, casting, recherche de l’équipe technique, élaboration du plan de travail, découpage technique,…
Distribution des rôles : le bon, la brute et …
Le casting s’est fait par des annonces classiques sur les réseaux sociaux et par le bureau d’accueil des tournages de la Région. « J’étais déjà passé par eux pour le tournage d’un clip. Il te demande quelques renseignements pour savoir si tu es sérieux et si ton projet tient la route ».
Pour le rôle principal, le comédien angevin Thomas Drelon s’est tout de suite imposé.
« Il a tout de suite capté ce que je voulais, un personnage des années 80. Je suis un gros fan des films style L’arme fatale ou Le dernier samaritain, des références avec lesquelles j’ai grandi. Un truc un peu, je prends une droite mais je vais tendre l’autre joue comme une blague, style Mel Gibson, Bruce Willis. »
« Pour le rôle du méchant, le shérif, je voulais un truc un peu à l’ancienne, style « Le bon la brute et le truand ». Pendant tout le tournage, je lui disais il faut que tu gueules, il faut que ça postillonne« .
« Globalement tout le monde était hyper emballé par le projet, malgré le peu de moyens. La phrase que j’entendais tout le temps c’était : j’ai toujours rêvé de faire un western. »
Une équipe prête à faire feu
Pour l’équipe technique, Pierre-Alexandre a contacté 2 chefs opérateurs Anne-Charlotte Henry et Arthur Bourdaud, qui sortent de l’école Ciné Créatis de Nantes avec qui il avait déjà travaillé. Ils se sont ensuite chargés de recruter l’équipe image : assistant caméra, chef électricien, chef machiniste.
« Pour le reste de l’équipe, j’ai présenté mon teaser et à peu près 250 photos du lieu et des costumes pour être crédible. »
2 mois avant le tournage, Pierre-Alexandre se consacre exclusivement aux préparatifs du film « je vis, je mange, je rêve du film »
Premières répétitions avec les comédiens principaux, essayage des costumes,… et mise au point avec le régisseur pour caler le transport, le catering (cantine) ou encore les différents points de sécurité.
« J’ai fait plein de tableaux : pour les horaires, les défraiements, le matériel. Quand tu tournes pendant 4 jours avec 30 personnes, tu joues ta vie. En gros les 6 mois qui se passent avant, c’est pour faire en sorte que tu ne perdes pas une seconde au tournage, que tout soit optimiser. Tu mets 6 mois à préparer 4 jours. »
Silence, on tourne !
Silence… moteur… action ! Ces 3 petits mots représentent le saint Graal pour tout réalisateur.
1er clap pour Pierre-Alexandre Chauvat avec le tournage de la scène finale, la seule séquence en extérieur du film, mais avec une belle difficulté : un cheval, quoi de plus normal pour un western !
« Ça se tourne à Châteaubriant, et heureusement mon acteur savait faire du cheval. C’était bien de commencer par une journée light. Ça m’a permis de me rendre compte que toute mon équipe était pro et que ça s’enchaînait bien »
Pour le reste du tournage, tout se passe en huis clos dans le saloon autour de la fameuse table.
« Ensuite, le tournage s’est fait dans l’ordre chronologique, car l’ouverture du film est le moment où il y a le plus de personnes, on était 32. Pour le reste, on est 25-26, ce qui est une équipe standard de court-métrage. »
La difficulté principale était de tourner une scène de dialogue de quasiment 12 minutes : « C’était très dur car même dans un long-métrage, c’est assez rare d’avoir des scènes aussi longues de dialogue. Il fallait donc bien rester toujours dans le ton, on y a veillé avec la scripte. »
Un western comme si on y était
Le décor, les accessoires, les costumes, c’est une chose, mais pour faire comme si… il y a parfois besoin d’avoir recours au numérique ou à la débrouille.
« Tourner un western, en français, c’est déjà un gros pari, il fallait donc être très crédible, c’était donc important de passer du temps sur les détails. »
Pour transformer un champ à Châteaubriant en une plaine avec montagnes dignes de la dernière scène de Lucky Luke, Pierre-Alexandre a eu recours au numérique.
Mais pour faire un duel plus vrai que nature, c’est monsieur débrouille qui est intervenu. Pour faire l’effet de recul d’un impact de balle, le comédien était accroché avec une corde que deux personnes devaient tirer en arrière. « On avait mis plusieurs couches de matelas pour amortir sa chute, mais ils ont tiré tellement fort qu’il est tombé derrière ! C’est la partie que j’adore le plus, bricoler, trouver la manière de faire. »
Le montage et Cie
C’est dans la boîte ! Place au montage. Et pour son film, Pierre-Alexandre a troqué sa casquette de réalisateur pour celle de monteur.
« Normalement on attend quelques semaines pour passer au montage, mais là j’étais trop impatient. J’ai donc commencé quasiment tout de suite (…) Financièrement le fait que ça soit moi qui monte, ça n’était pas négligeable.
Ensuite, vient le période de la post production : le son, la lumière, l’étalonnage et la musique, élément très important dans un western et ce n’est pas Ennio Morricone qui nous contredira.
« Étape super importante : la bande originale. Elle a été composée entièrement par un groupe de musique nantais qui s’appelle Moustache Museum, qui fait du folk. »
Il est maintenant temps de présenté « L’héritage » au public.
Version grand écran
« Mon équipe étant de la région, pour moi la priorité c’était diffuser le film dans un cinéma des Pays de la Loire. La première, c’est déroulée au mois de mars au cinématographe à Nantes. »
Pour de nombreux réalisateurs de courts-métrages, la solution pour voir son film projeté sur grand écran, ce sont les festivals. Il en existe plusieurs dans la région, consacrés uniquement à la mise en avant des formats courts : le Festival des 24 courts dans la Sarthe, Montre ton court à Rezé ou le Hotmilk Film Makers à Cholet.
Et partout en France : Festival Tous Courts d’Aix en Provence, Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, Short Film Corner du Festival de Cannes, Festival Coté Court de Pantin, pour ne citer qu’eux.
Là encore, il faut réussir à être sélectionné. Et « L’Héritage » n’est pas facile à placer en festival. Tout d’abord, sa durée de 20 minutes peut être un handicap « même si ton film n’est pas un chef-d’œuvre, un court-métrage de 5 minutes a plus de chance d’être présent à un festival, car les organisateurs peuvent facilement en projeter 4 ou 5 dans une soirée. »
Et le genre comme le western, est peu représenté « Il y a 2 types de festival de courts-métrages : le drame social ou les festivals de genre comme le BIFF (Brussels International Fantasy Fantastic) ou l’étrange festival. Mais si on te demande une participation de 40 euros, il vaut mieux savoir à l’avance s’ils sont intéressés par un western ! »
« En ce moment, je suis dans une phase marketing pour essayer de placer mon film, après mon prix en Espagne, j’espère que d’autres suivront »
Ce qui semble bien être le cas avec la première sélection française au Festival Premiers Plans d’Angers et bien d’autres à venir…
A suivre
Avec « L’héritage », Pierre-Alexandre Chauvat estime avoir « une belle carte de visite, qu’on aime ou qu’on n’aime pas le film, je suis fier d’avoir porté un projet aussi ambitieux. «
Son prochain projet est en cours d’écriture, « c’est un drame social, un thriller sur deux frères qui volent un scooter une nuit, et pour qui ça se passe mal. A côté de mon western, ça sera des vacances. L’idée est de déposer un dossier pour ça au parcours d’auteur de la plateforme, de trouver une production pour si possible un tournage pour 2021, c’est donc très rapide. »
Après avoir fait des pubs et des clips, Pierre-Alexandre c’était déjà lancé dans l’aventure d’un court-métrage en 2013, avec un film d’horreur comique « Guys vs Zombies ».
L’association Mist Films
Pierre-Alexandre a créé en 2017 l’association Mist Films avec des amis.
« L’idée est de créer un collectif. Tu as un projet, on le fait. Par exemple, moi je suis monteur, je peux te donner un coup de main. C’est aussi de mettre en relation des gens sur des projets qui peuvent venir d’ailleurs. Quand tu veux faire des trucs pros ça prend du temps.
Le but est d’être plus productif qu’on ne l’est, car pour le moment je suis le seul initiateur de projet. »