Elle a écrit cet ouvrage, dit-elle, « comme un dernier compte-rendu de mandat ». Députée du Doubs de 2012 à 2017, la socialiste Barbara Romagnan a vécu le quinquennat de François Hollande de l’intérieur. Dans « Mon Pays me manque » (en librairie le 12 septembre), la frondeuse décrit « un moment particulièrement douloureux et triste de l’histoire du pays et de la gauche ».
« Ce qui faisait la spécificité de la France, dont il y a lieu d’être fier, c’était qu’elle était le pays des droits de l’Homme et des libertés. Ce que j’aimais dans mon pays, c’est l’idéal qu’il offrait en partage aux autres peuples, aux autres humains (…) J’ai reconnu mon pays quand il n’était plus le pays des droits de l’Homme et des libertés ».
Dans « Mon pays me manque », Barbara Romagnan souhaite partager son retour d’expérience pour « tirer quelques leçons pour l’avenir ». Son récit débute le 19 novembre 2015, quand est prolongé, pour la première fois, l’état d’urgence.
« Les idées de la droite populiste »
« Mon pays me manque et, dans ce pays que j’ai l’impression de perdre en même temps qu’il se perd, me manque aussi cette gauche humaniste, ouverte au monde et aux autres, respectueuse de l’humanité dans sa diversité, respectueuse aussi de la planète et du vivant qui l’habite, une gauche indissociablement démocratique, sociale et écologiste qu’il nous incombe de reconstruire », écrit l’ancienne socialiste, qui a rejoint le mouvement Génération(s) de Benoît Hamon.
« La gauche au pouvoir, incapable de répondre aux angoisses et aux interrogations des citoyens, s’est alignée sur le terrain et les idées de la droite populiste », dénonce l’ex-élue, qui a refusé de soutenir un grand nombre de textes de loi emblématiques du quinquennat de François Hollande.
« Notre cause n’est pas l’homme blanc français »
L’enseignante fustige les « compromis inacceptables » qu’a accepté la majorité socialiste de l’époque à l’Assemblée nationale, alors qu’elle « aurait eu l’impression de perdre [sa] propre humanité » en approuvant ces lois. « Comment ne pas voir que ces renoncements, souvent faits au nom du pragmatisme et du réalisme, participent dans les faits au discrédit de la parole publique et au mépris des citoyens ? », s’interroge-t-elle.
Militante des droits de l’homme, elle prône « des politiques d’accueil indifférentes à la nationalité »: « Notre cause n’est pas l’homme français blanc, mais les femmes et les hommes d’où qu’ils viennent. L’humanisme ne veut rien dire si l’on considère que certaines vies sont plus précieuses que d’autres ».
« Avec Emmanuel Macron, on continue en pire »
Surtout, Barbara Romagnan note une « continuité » entre ce qu’elle nomme « les renoncements d’hier et les mesures néfastes d’aujourd’hui ».
« Avec François Hollande, on instaure l’état d’urgence, qu’on revote six fois de suite, on installe une société de surveillance, on débat de la déchéance de nationalité, on renie l’engagement du droit de vote des étrangers, on stigmatise Roms et musulmans, on ne prend pas à bras le corps la crise de l’accueil… Avec Emmanuel Macron on continue en pire: l’état d’urgence entre dans le droit commun, les migrants sont traqués, les libertés d’expression et de manifester sont bafouer, la liberté de la presse est attaquée ».
Celle qui fut la dernière des frondeuses en refusant d’accorder sa confiance au gouvernement de Bernard Cazeneuve n’hésite plus à tacler l’ancien président socialiste: « François Hollande peut jouer les sages et critiquer Emmanuel Macron, mais les politiques conduites aujourd’hui en matière de libertés publiques et d’accueil des exilés sont dans la droite – on pourrait même dire extrême droite – ligne de celles qu’il a proposées et promues ».
« Quand elle est au pouvoir, la gauche doit défendre les plus fragiles »
———————- Interview ———————-
La rédaction de « Mon pays me manque » vous a-t-elle permis d’exorciser ce quinquennat, que vous semblez avoir eu tant de mal à supporter ?
« Ce fut un long moment au cours duquel je représentais des citoyens. J’ai eu envie de rendre compte, d’autant plus que juste après ce mandat, l’extrême-droite a fait son score le plus élevé à la présidentielle. Pour tourner la page et en écrire une nouvelle, encore faut-il l’avoir lue correctement. Je voulais apporter un autre témoignage après le livre de François Hollande, sur ce moment qui n’est pas anodin pour l’Histoire de la France, raconter comment se fait concrètement la politique. Je ne dis pas que j’ai raison sur tout, je comprends qu’on puisse critiquer mes votes, mais ce n’est pas parce qu’on appartient à une majorité qu’on doit en être toujours solidaire. Chacun a sa sensibilité, ses convictions. Pour moi, être de gauche et faire de la politique, c’est avant tout défendre les gens pauvres, fragiles, ceux qu’on n’écoute jamais. C’est d’abord avec eux que je me sens solidaire. Il y a des choses qui ne se font pas: c’est grave de remettre en cause à ce point les engagements que l’on prend devant les citoyens, de flirter avec ces politiques qui encouragent le racisme, les discriminations, et qui ébranlent les libertés publiques. Je suis encore choquée de tout cela. »
Vous vous êtes sentie trahie ?
« Moi on s’en fiche… Le constat, c’est qu’on a vraiment failli. Quand elle est au pouvoir, la gauche doit défendre les plus fragiles, les plus pauvres, ceux qui fuient la guerre… Sinon ce n’est pas la peine. Si les politiques de gauche ne le font pas, qui va porter la voix de ceux qui n’en ont pas? »
A qui en voulez-vous le plus ? à François Hollande ou à vos collègues députés socialistes ?
« Plutôt à moi, à nous, de ne pas avoir réussi à faire changer les choses pendant longtemps, on n’a fait que s’abstenir… Finalement, nous avons préparé le terrain, on s’est habitué à une espèce de menace venue de l’extérieur. Pourtant, c’est impressionnant le nombre de personnes qui donnent de leur temps, qui hébergent chez eux des personnes sans solution. Elles ont un courage fou, c’est effroyable. Au pays des droits de l’Homme, on se retrouve encore à la rue. C’est irresponsable car ce phénomène ne va faire que s’amplifier avec le réchauffement climatique, avec les guerres… »
La gauche, aujourd’hui, est divisée comme jamais, éclatée en diverses chapelles. Peut-elle croire raisonnablement en un avenir meilleur ?
« Je ne sais pas forcément ce qui faut faire mais je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas plus simple. Yannick Jadot, Benoît Hamon… Ce n’est pas pour rien que la campagne présidentielle, on l’a faite ensemble. Avec les communistes, bien sûr, il y a encore des divergences mais bon. Quand on pense qu’en 1997, on avait Dominique Voynet et Jean-Pierre Chevènement dans le même gouvernement. Aujourd’hui, tout le monde donne la primauté à la question écologiste, tout le monde porte l’accueil des personnes migrantes, même au parti socialiste avec Olivier Faure. Franchement, à part des questions d’egos, je ne comprends pas pourquoi nos organisations ne fonctionnent pas ensemble. Il n’y a aucune raison que ces gens-là ne se rassemblent pas. »
Mon pays me manque de Barbara Romagnan. Editions Libre & Solidaire. 16 euros.
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