Alors même que les discussions continuent entre les différents partis de gauche en vue des élections régionales en Bourgogne-Franche-Comté, chaque camp se lance dans la bataille en présentant ses candidats. Après l’écologiste dijonnaise Stéphanie Modde, le Belfortain Bastien Faudot, de la Gauche républicaine et socialiste, alliée notamment à la France Insoumise, annonce sa candidature. Avec celle, attendue dans les prochains jours, de la sortante PS Marie-Guite Dufay, la gauche pourrait se présenter très divisée au premier tour. Avant de se rabibocher au second ? Etat des lieux.
Stéphanie Modde, l’écolo pressante
Les écologistes ont été les premiers à sortir du bois, quitte à paraître un peu pressés et surtout pressants pour les autres partis de gauche. Stéphanie Modde est partie en campagne mi-février.
Fort de ses bons résultats aux municipales 2020, notamment dans les grandes villes, Europe Ecologie-Les Verts voulait d’abord réunir les partis écologistes avant de discuter avec les autres partis de gauche. Résultat: une union du pôle écologiste avec Génération Ecologie (le mouvement de Delphine Batho), Cap 21 (le parti de Corinne Lepage) et l’Alliance écologiste indépendante (dont la liste avait convaincu 2,14% des électeurs de BFC en 2015), mais des discussions compliquées avec le reste de la gauche.
A EELV, certains misaient sur un retrait de Marie-Guite Dufay pour s’imposer comme la locomotive d’une gauche renouvelée et élargie. La sortante socialiste repartira sûrement. Pari perdu.
Trois options restent donc sur la table: rester entre écologistes, convaincre la gauche non socialiste de partir derrière la bannière EELV, ou rallier Marie-Guite Dufay, qui leur a fait une cour assidue, avant même le premier tour.
Bastien Faudot, un ex-chevènementiste devant les insoumis
C’est une petite surprise: La France insoumise misera sur une tête de liste qui n’appartient pas au parti de Jean-Luc Mélenchon. A un an de la présidentielle, LFI fait montre d’ouverture, une pierre dans le jardin de ceux qui régulièrement l’accusent de sectarisme.
L’heureux élu est donc Bastien Faudot, conseiller municipal et départemental d’opposition à Belfort. Passé par le Mouvement des citoyens puis le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement, il est aujourd’hui animateur national de la Gauche Républicaine et socialiste. La GRS est née de la fusion du MRC et de l’aile gauche du PS en 2019. C’est aujourd’hui le parti de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et du député européen Emmanuel Maurel.
Avec LFI et GRS, cette liste intitulée « Le temps des cerises » associe Place publique (le mouvement de Raphaël Glucksmann), Nouvelle Donne (de Pierre Larrouturou), la Gauche démocratique et sociale (de Gérard Filoche) et Ensemble ! (de Clémentine Autain).
Cette gauche-là entend « remettre les pendules à l’heure » en répondant à l’urgence sociale et écologique. Elle dénonce les « compromissions » de Marie-Guite Dufay, accusée « d’entretenir l’illusion que la gauche soit soluble dans le macronisme ». Une prise de distance qui n’empêche pas de continuer de laisser la porte ouverte, aux écologistes avant le premier tour, aux socialistes pour l’entre-deux-tours. Ici certains espèrent déjà « un rassemblement encore plus large, encore plus fort ».
Pour Marie-Guite Dufay, rien ne sert de courir…
La présidente socialiste sortante n’a pour l’instant rien dévoilé de ses intentions, en tout cas publiquement.
Depuis quelques semaines pourtant, tout indique que Marie-Guite Dufay sera à nouveau candidate. Son compte twitter, par exemple, semble déjà en campagne et vise les candidats déclarés à droite, Gilles Platret (LR) et Julien Odoul (RN). Celle qui fut élue première présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté aura 72 ans au moment du scrutin, et elle n’a toujours pas, comme l’espéraient de bienveillants partenaires, l’intention « de profiter enfin de ses petits-enfants ».
Élue en 2015 à la tête d’une liste PS-PRG, privée des écologistes et des communistes restés sous la barre des 5% au premier tour, elle dirige une majorité qui va aujourd’hui des soutiens de Jean-Luc Mélenchon à ceux d’Emmanuel Macron. On trouvera donc des conseillers régionaux de la majorité sortante sur au moins trois listes: Denis Lamard et Francis Cottet (GRS) étaient présents au lancement de campagne de Bastien Faudot, Muriel Vergès Caullet à celui de Denis Thuriot, la tête de liste de La République en marche.
Pour 2021, Marie-Guite Dufay espérait une large union, notamment avec EELV. Ce n’est pas gagné, mais ce n’est pas forcément écarté non plus. Pour l’instant, en plus du PRG, les cadres régionaux du PCF ont pris position pour rallier la liste PS.
Reste qu’en l’état actuel des choses, les troupes socialistes sont tiraillées entre leur gauche et leur droite, comme en témoigne le récent sondage commandé par le PS. L’étude d’opinion teste des alliances avec les écologistes et le reste de la gauche, mais aussi avec les marcheurs. « Marie-Guite Dufay connaît son Mitterrand par cœur, constate un observateur avisé de la politique régionale. On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ». Et quand on est sortant, on se déclare au dernier moment.
Vers une fusion de raison au second tour ?
Si ces trois forces politiques partent désunies au premier tour, le contact n’est pas rompu et elles continuent à se parler.
Depuis plusieurs semaines maintenant, l’ensemble de la gauche réunit régulièrement les missi dominici de chaque parti. Ce sera encore le cas en fin de semaine. « Une intersyndicale de la gauche », sourit l’un des participants à ces visio-conférences dominicales. On y parle bilan, projet et lignes rouges. C’est en franchissant l’une de ces lignes rouges et en refusant d’écarter un éventuel rapprochement avec LREM qu’un élu socialiste, proche de Marie-Guite Dufay, a braqué le reste de la gauche. Deux autres représentants PS ont eu beau tenter de rattraper le coup, c’était trop tard. Les insoumis et une partie de la gauche concrétisaient leur liste, unis d’abord contre les ambiguïtés d’une partie du PS.
Restent les rapports de force politiques: aucune de ces trois listes-là n’est en mesure de fermer la porte aux deux autres. Même le parti socialiste.
- Si Marie-Guite Dufay ne repartait pas, le PS n’était peut-être même plus en mesure de s’imposer au reste de la gauche. Le PS est une espèce politique menacée de disparition sur toute une partie de la grande région. En Franche-Comté, le Parti socialiste n’a plus aucun parlementaire depuis septembre 2020 (le dernier mandat de sénateur, dans le Doubs, a été perdu au profit de l’UDI). Alors il y a bien sûr Dijon et l’inamovible François Rebsamen, mais côté comtois, le PS n’a plus non plus de maire de grande ville, Besançon ayant été perdu au profit d’EELV. C’est simple: l’unique et dernière grande élue socialiste de Franche-Comté, c’est Marie-Guite Dufay. Et si les résultats du sondage commandé par le PS sont flatteurs, rendant possible une réélection, ils indiquent aussi que seul, le PS peut être 4e du premier tour. Largement devancée par le RN de Julien Odoul, près de dix points devant, Marie-Guite Dufay est testée au niveau des deux autres listes à sa droite, celle de Gilles Platret (LR) et de Denis Thuriot (LREM), autour de 17/18%. Passer de la 4e à la 1re place en une semaine reste un sacré défi, même en considérant une opportune fusion avec les listes EELV et LFI entre les deux tours.
- Pour EELV, la victoire à Besançon est difficilement transposable aux élections régionales. La « médiatique » vague verte aux municipales concerne d’abord les grandes villes, et elle n’a absolument pas touché les rivages bourguignons, où aucune municipalité de premier plan n’a été conquise. En lançant sa campagne, Stéphanie Modde évoquait d’ailleurs un rassemblement de la gauche et des écologistes, « bien évidemment », pour le second tour.
- Pour LFI et le reste de la gauche, l’objectif est de peser et de prendre date, notamment pour les échéances de l’année 2022, avec la présidentielle et les législatives. Mais au « Temps des cerises », une théorie fleurit: pour donner un coup de barre à gauche à la Région, il faudra devancer la liste PS au premier tour. Une équation impossible à résoudre avec trois listes de gauche en lice. Mais à deux listes, tout est jouable… d’où la porte laissée ouverte aux écologistes. « On continue à leur tendre la main », confirme Séverine Véziès, la porte-parole de La France Insoumise pour cette campagne.
Enfin, si la rupture semble consommée entre insoumis et socialistes pour le premier tour, personne ne signe les papiers du divorce. « On n’est pas là pour faire perdre la gauche, on est là pour la faire gagner », prévient d’ailleurs Bastien Faudot.
En politique aussi, il y a les mariages d’amour et les mariages de raison. En politique aussi, il n’y a pas d’amour, simplement des preuves d’amour.