Une fondation laïque et une association cultuelle garanties sans financements étrangers: l’Etat et les représentants musulmans ont relancé lundi le chantier de construction d’un « islam de France », dans un climat rendu électrique par les attentats et les polémiques. Comme prévu, une fondation d’utilité publique, laïque, sera créée à l’automne et présidée par l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, 77 ans. A ses côtés siègeront notamment le Prix Goncourt Tahar Ben Jelloun, l’islamologue réformateur Ghaleb Bencheikh, le recteur de la mosquée de Lyon Kamel Kabtane, un acteur de terrain reconnu, et l’entrepreneure Najoua Arduini-Elatfani, figure de la société civile musulmane. « C’est une oeuvre de longue haleine », a prévenu Jean-Pierre Chevènement à son arrivée à l’hôtel de Beauvau, en rappelant qu’il avait travaillé à la construction d’un « islam de France » dès 1997.
Cette fondation doit permettre de lever des financements pour des projets en matière profane (thèses de recherche sur l’islam, bourses d’études…). Laïcité oblige, le volet religieux de la recherche de financements (formation théologique des imams, construction de mosquées…) sera entre les mains d’une association cultuelle (loi de 1905) administrée par des représentants musulmans, et dans laquelle l’Etat ne sera pas partie prenante.
Ni la fondation laïque ni l’association cultuelle qui lui sera adossée ne seront autorisées à recevoir des financements étrangers (hors Union européenne), souvent critiqués même s’ils sont minoritaires (environ 15%, selon l’Intérieur) car jugés peu transparents et difficilement compatibles avec le projet d’un islam républicain.
« Cette interdiction sera inscrite dans leurs statuts », a-t-on souligné place Beauvau.
Contribution sur le halal
Des financements étrangers, ne transitant pas par ces deux structures, seront toujours possibles – pas question par exemple de se priver des deux millions d’euros alloués par l’Algérie chaque année à la grande mosquée de Paris -, mais l’Intérieur parie sur leur recul global à la faveur de la mise en place de ce meccano complexe.
« En suscitant de nouvelles ressources en France, on doit avoir un effet sur le tarissement des financements étrangers », prédit-t-on dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Un groupe de travail doit être mis en place prochainement pour déterminer les statuts et la composition de l’association cultuelle. Ce groupe devra aussi engager une négociation avec la filière halal pour établir une « contribution volontaire » sur ce marché juteux – estimé par certaines sources professionnelles à cinq milliards d’euros par an -, et dont les représentants musulmans espèrent faire une source de financement durable.
En outre, l’Intérieur veut avancer sur la formation des imams, en créant une formation complète en islamologie dans une ou plusieurs universités françaises, avec à la clé un statut d’étudiant qui n’existe pas, actuellement, dans les instituts de théologie privés. Une mission a été confiée en ce sens à un spécialiste de la laïcité, un théologien et un juriste qui remettront un rapport en décembre.
« Faire un islam de France, c’est une cause nationale qui devrait réunir la gauche et la droite » L’interview de Jean-Pierre Chevènement à l’AFP
Comment va fonctionner cette nouvelle Fondation pour l’islam de France, dont les principes seront présentés lundi par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ?
« Globalement, cette fondation, qu’il faudra reconnaître d’utilité publique, doit respecter le principe de la laïcité, donc son objet est profane: elle sera en charge de questions sociales, culturelles et éducatives. Dans la formation des imams, elle ne traitera que des aspects civiques, juridiques. Tout ce qui est religieux est hors de son champ. C’est pourquoi on va lui adosser une association cultuelle – loi de 1905 – qui aura pour mission ce qui a trait à la formation religieuse ou au financement de la construction de lieux de culte. J’ai fait connaître ma position vis-à-vis des financements étrangers: j’y suis opposé. Il y a des ressources en France. Les musulmans sont 4,1 millions selon l’Ined (Institut national d’études démographiques), leur pratique est notablement supérieure à celle d’autres croyants. Faisons confiance à l’imagination de ceux qui auront en charge ce dossier. »
Votre conviction, c’est qu’il faut rester dans les rails de la loi de 1905 séparant l’Etat et les cultes ?
« Ma conviction c’est qu’il faut préserver la laïcité, mais pour cela il faut bien la faire comprendre. La laïcité n’est pas dirigée contre la religion. Elle recommande à chacun, et c’est le sens de ce que j’ai dit en évoquant une certaine discrétion, de faire l’effort, dans les lieux publics de débat, de s’exprimer avec des arguments raisonnés, et pas à la lumière d’une révélation, d’un dogme. Cela concerne toutes les religions. Le défi, c’est de faire en sorte qu’il y ait un islam républicain. Ce n’est pas évident, je crois que c’est possible, et toutes les sensibilités de l’islam ont signé un engagement dans ce sens le 28 janvier 2000, alors que j’étais ministre
de l’Intérieur. C’est l’intérêt de la France qui est en jeu. Ces 4 millions de musulmans, quelle est leur place dans la société française ? Il est évident que l’enjeu de l’islam de France est majeur pour l’unité de la République et l’avenir du pays. »
Vos conseils de « discrétion » donnés aux musulmans, et le fait même que vous ayez été pressenti, alors que vous n’êtes pas musulman, à la tête de cette fondation, ont été très critiqués. Qu’en dites-vous ?
« J’ai vu. Mais si vous trouvez une personnalité musulmane qui est acceptée par toutes les autres sensibilités, je vous prie de bien vouloir me l’indiquer. J’accomplis
cette démarche à la demande du ministre de l’Intérieur, à titre bénévole. Je pense que comme ancien ministre de l’Intérieur moi-même, je ne pouvais pas refuser de
contribuer à cette oeuvre d’intérêt public. Tout sera mal perçu, quoi que je dise dans un sens ou dans un autre. Le débat est piégé. Il y a une passion incandescente dans la plupart des camps, il n’y a que des coups à prendre, aucun bénéfice personnel à escompter. Mais en même temps cette mission est nécessaire: faire un islam de France, c’est une cause nationale qui devrait réunir la gauche et la droite. Et c’est une affaire de longue haleine, qui ne va pas durer trois ou quatre ans. Il y a 17 ans que j’ai lancé la « consultation des musulmans de France » ! Et combien de temps a-t-il fallu à la religion catholique pour trouver son équilibre ? »
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