25 Oct

« Et au milieu coule une rivière »

Je crois que j’écoutais Imogen Heap « Have you got it in you ». L’air filait de chaque côté de mes roues. Un air frais, bleu et salé. La lumière, ivre des derniers rayons de l’été. La Loue avait retrouvé son calme après ce début de mois d’octobre très encombré médiatiquement. Comme « des ivrognes en excursion » disait Joyce. « Dégobillant par dessus bord pour donner à manger aux poissons. Nauséeux ». Une aire médiatique de compression. Abrégée, raccourcie, réduite, amoindrie … Une aire de l’information synthétique, syncrétique. Une aire d’agrégateurs artificiels, sans hommes, sans femmes, sans ivrognes, sans poissons, sans odeur, sans gout sans rien ! Ce nouvel ordre des communions essentielles entre nous en forme de tapage permanent. Un vacarme jetable effrayant. Le commerce d’un ennui mortel programmé sur nos écrans connectés à la multitude consentante. Mais Johnny s’était barré à temps. John venait d’accumuler quelques 30 bornes le nez dans le guidon sans penser une seule fois à cette terre nouvelle en forme de courge ogéèmisée. Le nouveau paradis des coloquintes transformées en potimarrons comestibles, comme on fait aussi pousser des hamburgers aux branches et des lasagnes sous les sabots des chevaux. C’était quand même chouette la télé non ?!

La route de Mouthier-Haute-Pierre en passant par Ornans et Lods juste après Vuillafans. Une trajectoire sélective surgissant d’un glissement de doigts sur une partoche de Brahms. L’indigestion de caméras passée, ce furent plutôt les parfums de noix et de pommes gâtées qui saturèrent l’asphalte à l’heure du changement d’heure obligatoire. Ouais c’est ça, passe moi dont l’heure à laquelle on évitera les embouteillages ce soir en rentrant de la foire ! Mais putain ! Qu’est-ce que je fous dans ce décor de merde ?! Et la musique qui s’arrête alors qu’on avait à peine commencé de se rappeler les paroles : « Have you got it in you ». Johny s’était dit qu’il en aurait bien besoin ! L’âge peut-être ? Le sentiment de s’éventer, de se « dégobiller »… L’obsolescence, la date de péremption sur le papier d’emballage. Je repris alors mon guidon par les cornes pour une grande opération de dézinguage d’idées à la con, dans l’alignement d’une paire de nuages déguisés en prêtres statistiques ou en montres suisses déglinguées. Une conduite d’ivrogne pour faire chier les bagnoles en stress, droit vers la porte d’entrée du couvent d’air post-ADSL. Une conduite d’ecclésiastique, sans soutane, sans capote (sans Truman), sans GPS, sans portable, sans Twitter, sans Facebook, sans Wifi, sans rien ! Pauvre homme !

L’insolente nudité des fleurs devant l’amertume des revêtements antidérapants. Une scène de cul par dessus la Loue. Ma Marylou en tenue de dévergondage intégral, tout fard allumé sur ses paupières mi-closes. Marylou en forme de ligne discontinue sous son marteau piqueur corrodé. Du bitume jusqu’aux genoux. Des tas d’éclats de vie qui défilent de chaque côté de la route au lieu d’une télé d’administration. Bon ! Et heureusement que Tony n’avait pas lu Beckett ce jour là, si vous imaginez le boulot. Molloy de Beckett, Soupault ou Artaud… De quoi se pendre avec le fil de flotte tendu dans le talweg comme une corde qui nous enlace, Johny, Tony, Marylou et moi depuis des kilomètres. Une sacrée bande de coureurs cyclistes… amoureux des vadrouilles entre potes comme des voyages solitaires dans la campagne franco-suisse. Une bande d’éclectiques, le maillot ouvert aux quatre vents, filant à toute allure dans le lit de la rivière au rythme effréné des matières composites.

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Je réécoutais un vieux Radiohead que j’avais fini par oublier à force de l’avoir trop entendu. « A woolf at the door », puis « Weird Fishes/Arpeggi aka Arpegg » (imprononçable) sur l’album « In Rainbow » (en téléchargement gratuit à l’époque de sa sortie / 2007). Le genre de titre hallucinant braqué dans la direction des vents d’ouest pour essayer de ralentir l’allure dans la montée des roches. Ouais… « On marche à la dynamite mon pote ! » disait un des frangins Pélissier au café de la gare de Coutance au départ du Tour de France 1924. Et qu’est-ce que ça peut bien leur foutre, à toute cette bande de cul-bénis, cette foule de bénis-oui-oui meuglant leur belle morale de compétition avec tous ces journaux propres sur eux ?! Une montée en surdose d’adrénaline. Le grand shoot ! Tout plutôt que rester là à crever comme un con.

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Johnny était passé devant, comme à son habitude lorsque tout se relevait, la route et les emmerdes. Un truc de son enfance. Une manière qu’il avait prise déjà très jeune à force de se prendre un tas de trucs dans la gueule en faisant mine de ne pas encore comprendre les jolis principes de la nature humaine. Le truc d’une compensation un peu crue à trouver sur les pédales, mais qui trouvait rapidement sa justification au sommet des cols les plus rudes et sur les lignes d’arrivées des courses les plus prestigieuses. Tony n’avait pas pu suivre, d’abord collé à la roue du grimpeur et la langue pendante sur le porte bagage de son partenaire de galère. Marylou, elle, avait préféré coucher son clou au pied de la bosse et faucher les pâquerettes pour en faire des bouquets pour sa mère. Le beau bouquet de Marylou dans la vallée de la Loue, pendant que le soleil brillait dans les roues toutes cramées de son marlou. Qu’est-ce qu’on avait pu se marrer ! Toutes les conneries qu’on s’était racontées. « Oh Mary, si tu savais !… »

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Après ça, il a fallu redescendre. Marylou en bas et nous en haut. John, Tony et moi à tombeau ouvert dans la pente descendante, pendant que Mary avait finalement décidé de se payer une séance de dénivelés toute seule la fleur au guidon. On avait retrouvé le reste du bouquet qui flottait à la surface de l’eau avec un petit mot pour sa mère : « T’auras vraiment été nulle jusqu’au bout. En commençant par me donner ce nom à la con dont un tas de gars plus ou moins déjantés s’en étaient déjà fait des tubes et des best-sellers. Marylou. Tu parles ! Des âneries de littérature beatnik ou des chansons périmées à la radio… Marylou par ci, Marylou, la pauvre fille… Marylou sous la neige et que sais-je ?… Marre d’être la Mary-chaussée de tout le monde. Je suis venu te dire que je m’en vais car tu m’en a trop fait !… » La gosse avait tout plaqué comme ça. Son nom qui en disait long sur « la joie blonde, avec ses longues boucles de cheveux pareilles à des vagues d’or… » ; son nom, ses cheveux, son bouquet, et ses potes pour partir pédaler toute seule jusqu’à la fin de l’été. Un putain de trou noir sur l’asphalte. Ouhhh ! Où es tu ma Loue ?!… le reste de la bande avait gueulé son nom pendant des heures sans succès. La plus grande séance de rappels de sa carrière, mais Marylou n’était pas redescendue. Une artiste pop-rock. Une des plus douée de sa génération. Dégommée aux cyanobactéries dans la montée de Haute-Pierre. Des jours plus tard, Tony continuait de hurler à la mort sur un morceau « sans titre » de Sigur Rós. Sa belle machine accrochée au parapet d’un balcon touristique sur les hauteurs d’une rivière dont le nom et la réputation avait d’abord fait le tour du monde avant de plonger dans les nimbes d’un tas de rapports administratifs et de consultations publiques censés protéger son lit d’un tas de saloperies qui empêchent dorénavant les ombres et les truites de reprendre leur souffle dans la lessive, le purin et la matière plastique. « Oh ma Loue, oh ma Loue, Oh ma terrible Loue… »

L’automne était passé à se fader du Gainsbourg en boucle ;  et puis l’hiver… D’abord quinze jours de coupure complète pour tenter de se nettoyer le gouvernail, les voiles, l’ancre et la chaine. Le grand décrassage annuel du moyeu jusqu’aux pneus. Les premières heures d’une longue errance hivernale à venir. 15 jours et 15 nuits à se faire chier devant la télé connectée à tout un tas de programmes débiles avant d’obtenir le feu vert de son entraineur pour renfiler le maillot. Johnny avait aussi profité de son temps de recharge pour se replonger dans la lecture de cette grande expérience radicale de la contre culture américaine des années 50. Dans cette prose là… où dans l’écriture souffreteuse, hypocondriaque et arthritique de quelques auteurs français du début du siècle dernier qui passaient encore aujourd’hui pour la substantifique moelle de notre identité nationale. Pour comparer. Pour mesurer une bonne fois pour toutes de quelle manière ce foutu pays avait commencé de sévèrement pédaler dans la semoule depuis au moins… Pollock, Rauschenberg, Jasper Johns ou Lichtenstein en peinture, et Bernard Hinault pour ce qui est du cyclisme… « Bon, t’accélères ou bien t’attends qu’on te pousse ?! » avait lancé le nouveau coéquipier de Johnny… Un certain Dean, ou Neal quelque chose, enfin je ne me souviens plus exactement… « faudrait aussi penser un jour à te mettre dans le rythme pour éviter qu’on nous prenne définitivement pour des cyclotouristes ! ».
JL Gantner

 

 

19 Sep

La « Degri » montée en épingle !

UN FAUX-PLAT MONTANT. L’ASCENSION DE « L’ÉPINGLE » JUSTE APRÈS LE PONT. ET LA CÔTE QUI CONTINUE JUSTE APRÈS SANS QU’ON AIT JAMAIS EU LE TEMPS DE REPRENDRE SA RESPIRATION ! UNE MONTÉE CHRONOMÉTRÉE DE LA RUE DEGRIBALDY. ET FRANCHEMENT C’ÉTAIT VRAIMENT DUR !!!

Chrono dans la Degribaldy/ Photo © Anne Gounand

La « Degribaldy » (du nom de la rue où se déroule la course depuis 19 éditions, et de celui d’une des figures incontournables du cyclisme français originaire de la capitale Comtoise). La « Degri » devenue cette attraction pour bête de somme s’arrachant les boyaux en plein centre ville de Besançon. (Son tramway presque terminé au moment où son maire aurait bien voulu donner le départ de la course lui même ce samedi 14 septembre, et puis finalement non ! Son adjoint aux sports qui a fait tout le boulot à sa place en bravant la pluie froide et la bise de miss « Chaudanne ». Du monde bien mis pour applaudir les cadors du cyclisme régional dans « la montée de l’année », et une ambiance de fête foraine pour réussir à supporter le spectacle d’une débauche d’énergie « inutile » du point de vue d’un hammâm ou d’une centrale  électrique solaire. Un effort de deux kilomètres cinq cent. Pas un mètre de plus ! Mais sur une pente, à peu près tout le contraire d’un replat néerlandais… Ou alors un replat quand même ! Mais qu’on aurait dessiné à l’équerre pour se faire remarquer dans les cours de géométrie. C’est-à-dire qu’après un effort pareil, vous me pardonnerez aussi de ne plus trop savoir où j’en suis : Les plats, le cuisinier qui nous l’a servi, et les remontées d’estomac juste après ! Une montée… la sensation d’avoir le cœur qui fait le boulot à la place des intestins restés noués autour d’une paire de poumons complètement grillés… Une brûlure générale depuis les mollets jusqu’aux yeux en passant par le sternum et l’ensemble du système sanguin. Juste deux kilomètres et demie… Tout de même pas l’Izoard ?! Mais la mer à boire quand même, à l’allure d’une compétition aussi réputée ! Un dénivelé dont la tradition veut qu’il soit avalé en oubliant ses fondamentaux philosophiques épicuriens. Le temps de rien je vous dit ! Le chronomètre à la place du maître d’hôtel et du petit salon de réception en velours pour accueillir la belle clientèle.  Le genre d’établissement où l’on pratique le menu unique. Juste ces satanées aiguilles qui tournent toujours dans le même sens, et pas le moindre « laquais » pour faire le sale boulot sur les pédales à votre place, bon dieu de chien ! De quoi régler l’addition sans même se rendre compte du prix au sommet.

Chrono dans la Degribaldy/ Photo © JM Picard

LE CÔTÉ « J’AI TESTÉ POUR VOUS » UNE MONTÉE QU’ON NE VERRA MÊME PAS À LA TÉLÉ… ET JE VOUS JURE QUE C’EST PAS FAUTE D’AVOIR VRAIMENT TOUT ESSAYÉ !

« T’étais vraiment bien dans l’épingle… » me dit le gars qui me rappelle vaguement quelqu’un qui s’occupe un peu de sport cycliste à la télé. « Vraiment bien ! » qu’il se répète en passant la ligne d’arrivée au sommet de Chaudanne sans s’apercevoir qu’il continue de se parler à lui même au rythme d’une respiration inquiétante du point de vue du corps médical. Non ?! Si, je vous assure…  Aussi vrai que je n’y connait rien en médecine, mais qu’on a pas non plus besoin de stéthoscope pour voir que le type est carrément dans le rouge et qu’à ce train là il passera pas Noël. Non ?!… Parce qu’en plus le type picole dans le wagon du fond ?! Putain c’est moche ! Bein c’est-à-dire que le type se dit que s’il ne se lâche pas sous les boules du sapin, c’est pas au premier janvier qu’il se rattrapera avec les guirlandes enroulées autour des huîtres… « Vraiment moche ! Effectivement ». Je crois que le barman a mis « Climbing up the wall » de Radiohead à ce moment là. Une montée, face à soi même, et face à sa détresse respiratoire. Une escalade volontaire dans le déficit de matière respirable, sans parler des déchirures musculaires… Pour ma part, plus de sept minutes en apnée pour venir à bout de cet « Annapurna » bisontin. De quoi me reconvertir dans la psalmodie de mantras sur les hauteurs de l’Himalaya. Le remake de « 7 minutes au Tibet » à l’altitude de la rue Gabriel Plançon, et sans masque à oxygène.

Cette sacrée épingle au milieu du parcours au bout de laquelle le vide l’emporte enfin sur l’effet de profondeur. Le ponctum de la « Degri » aurait dit Roland Barthe. Tony fonce, Tony sort du virage à bloc les yeux vitreux, fissuré à l’endroit de la cage Thoracique, et son cerveau vidangé de sa matière principale. Quelques dizaines de mètres à peu près plats pour se remettre les idées en place (le postmodernisme dans la purée Mousseline et les problèmes de masse dans les calculs de relativité restreinte appliquée aux boites de petits pois fabriquées au Pérou). Dix petites secondes de répit intellectuel avant de reprendre le combat d’idées sur le comptoir où toute une bande de structuralistes de l’Amicale Bisontine ont pris l’habitude de nous le servir. Une pente terminale de cinq cent mètres à 8, 9 et jusqu’à 10%… le paradigme de la « Degri. » Pour rester sur le terrain philosophique de notre étrange conversation. Le dernier effort pour essayer de tirer son épingle du jeu. Comme qui dirait le largage du 3e et denier étage de la fusée avant d’en finir avec Baudelaire, Tchekhov ou Stefan Zweig restés collés sous mes roues…  Mais tu ne m’avais pas dit que tu préférais Jonathan Coe ?! Si. Jonathan Coe, Joye Carol Oates ou Philippe Sollers. Comme Nabokov ou Kundera aussi… De la littérature tirée à quatre épingles sur les rayons d’une librairie Cosmic™. Des rayons… taillés dans le carbone de la jante jusqu’à la flasque du moyeu pour dupliquer la fibre essentielle malgré tout le boucan des grandes enseignes commerciales. Des rayons, la selle et les sacoches avec. Un kit complet avec le dossard et les épingles pour accrocher le numéro au maillot. Ouais, bein t’es arrivé là mon gars !… Quoi ? La ligne… Tu l’a passé la ligne. Et en tête en plus. Alors les épingles, tu peux les rendre maintenant. John the Rider

28 Août

LA ROUTE/ Une montée de « l’Alpe » pour mettre un orteil dans l’histoire… et le passage à la caisse au sommet !

La montée de l’Alpe d’Huez en à peine moins d’une heure… au lieu d’un peu plus de 37 pour Marco Pantani en 1995 ou 38 minutes tout juste pour Lance Armtrong en 2001. (Pantani qui lors de ce tour de France 1995 avait littéralement déposé Virenque et Jalabert à une dizaines de kilomètres de l’arrivée, avant d’exploser le record de l’ascension à une moyenne inimaginable de 466 watts !…) Virenque, de retour en 1997 en 38 minutes et 11 secondes…

On pourrait ainsi continuer la liste des aberrations chronométriques enregistrées dans la plus célèbre des grimpées cyclistes sans pour autant réussir à flinguer le fabuleux monument. Un peu plus de 1000m de dénivelés qui ont tout supporté déjà de la vindicte des meilleures cours intellectuelles comme de toutes les formes de nausées populaires. Au final, de vaines tentatives pour abattre le titan médiatique. Voyez encore cette année, ce 18 juillet sur le Tour du centenaire : Du monde comme on en avait encore jamais vu pour assister au triomphe de Christophe Riblon à l’issue d’un match fabuleux contre l’américain Van Garderen.  21 virages mythiques qui font l’unanimité dans les rangs des millions de supporters de la Grande Boucle, et 14 km d’ascension depuis le Bourg d’Oisans comme moyen de se frayer soi-même un chemin, ou plutôt une modeste sente de chèvres dans la légende. L’Alpe, l’illustre grimpée qui fait aussi rêver des milliers d’amateurs. l’objectif ultime pour 6000 cyclistes passionnés embarqués dans la pente chaque année. La récompense d’un hiver entier d’une préparation rigoureuse, ou pas ! Car  on trouve de tout dans l’Alpe !… Un « Mont Blanc » cycliste où toutes sortes d’objets vélocipédiques se suivent, se dépassent, trainent la jambe, moulinent, dansent où fument la pipe devant des pendus photographiant le paysage baigné de sueur, d’huile de camphre, de Gaultherie et d’arnica. La montée de l’Alpe… Un spectacle d’un genre… « anthropologique ». Pour ma part, la clé de voute d’une semaine de vacances à chasser les grands cols alpins.

Dans l’Alpe d’Huez/ PHOTO Lili & Elvis 2013

Une matinée idéale de la fin de ce mois de juillet 2013. La température parfaite après une nuit d’orage apocalyptique propre à la contrée. Les dernières heures de repos calfeutrées dans une belle chambre anglaise plantée au sommet de l’objectif. Le temps de récupérer d’un enchainement effectué la veille du col de la Colombière (1613 m) et du passage des Aravis (1486 m) avant de rejoindre les gorges de l’Arly. Une première ascension de 16 km depuis Cluses en arrivant de Genève, pour vérifier l’état de forme et la qualité du matériel embarqué. Une glissade ensuite vers le Grand-Bornand avant de remettre la gomme vers la Clusaz puis dans les ombres acérées et sous les abruptes du Mont Charvin. 6 épingles dans des pâturages sauvages avant une descente à tombeau ouvert vers Albertville. Une petite centaine de kilomètres en tout. Une séance d’affutage parfaite pour attaquer les virages de cette Alpe dont on fait si grand cas, avec la condition physique des grands jours.

La montée n’est pas la plus raide, ni la plus difficile du secteur à quelques distances du Lautaret et du Galibier. Plus loin l’Izoard… De quoi rapidement avoir des fourmis dans le jambes et tenter d’emmener « gros » dès les premiers lacets au risque d’exploser le joint de culasse avant le sommet. Tenter de jouer les stars du peloton, les « purito », les « Aigle de Tolède » ou les « Pistolero »…  (Oui ! Et si ça me fait plaisir à moi… de pédaler le temps d’une montée, dans la peau d’un costaud des pentes raides ; un champion des ascensions mythiques ; un abonné au maillot à pois…) Mais l’âge venant est un bon conseil pour mener l’expédition à bon port sur le rythme qu’il convient. Une allure de « montagnard » plutôt qu’une succession de dépenses inutiles loin des caméras de télé pour enregistrer « le record du siècle »… Une montée, tout à « l’économie » (et j’y viens tout de suite justement !)…

Dans l’Alpe d’Huez/ PHOTO Lili & Elvis 2013

Voilà pour le côté tactique, avant de tout lâcher chez Rapha™ (la nouvelle boutique de la marque britannique sponsor de la Sky, installée depuis cette année juste au sommet de la rampe alpine réputée mondialement). la visée précise du jour pour tout avouer. Une bonne montée pour justifier l’achat de beaux maillots de corps et d’une paire de chaussettes également signées de la jeune maison anglaise pour transpirer des pieds avec classe ! Une montée sèche de 14 km pour se payer le luxe d’un passage à la caisse sans avoir à culpabiliser. « Et si vous pouviez me remettre aussi une petite veste imperméable qui va bien et un slip en laine mérino pour passer l’hiver au chaud avec la petite bande blanche sur le côté pour rester discret dans les grandes occasions !… »

Une montée de l’Alpe, pour passer le reste de ses vacances fauché après s’être laissé faire les poches par une bande de professionnels du marketing dont j’avoue avoir réussi à me laisser berner comme il m’arrivera certainement encore de le faire à l’avenir malgré toutes les précautions pour me prémunir définitivement de ces petites faiblesses humaines. La passion, comme l’amour, que voulez-vous ?!… Comme on ne compte pas sa propension au labeur pour vivre ses rêves quels qu’ils soient. « De la béatitude malgré soit ! » pensait Nietzsche à « l’heur » de son « grand midi ». Et j’eusse dû mieux me méfier de toute cette « beauté rusée » comme le fit avantageusement ce « surhomme » cher au philosophe de Leipzig, qui « comme l’amant à qui trop velouté sourire donne méfiance ». « Ainsi parlait Zarathoustra » alors que pour ma part je continuais ma route sans fin et ma « fol » échappée dans les rayons des grands magasins.
JL Gantner

29 Juin

LA SUITE DES AVENTURES DE « JOHN THE RIDER » / 2

Un profil parfait pour viser le bol de glaçons dans le réfrigérateur

C’était presque le soir. Après une journée caniculaire et quelques heures de boulot un peu laborieuses au sein d’une station « météo » régionale télévisée… (la fabrication d’une grande enquête filmée sur le climat de la journée suite au même temps qu’il avait fait la veille et celui qu’il allait faire encore le lendemain… Un grand reportage en trois épisodes de trente secondes chacun, sur le degré d’hygrométrie mesuré dans les cerveaux respectivement « rincés » puis « cramés » des spectateurs de ma chaine préférée. Bon, passons !)

John « the rider »/ PHOTO © JL Gantner

J’hésitais entre mettre tout à droite pour redescendre les pentes du Lomont à pleine vitesse après un chrono contre le vent depuis Besançon, ou bien tout à gauche pour me hisser encore un peu plus haut, juste au dessus d’une paire de pensées qui me taraudaient l’esprit depuis la fin de l’hiver. Cette question par exemple… fondamentale… de savoir si l’on pouvait conjuguer le partage d’une bonne bouteille de rosé entre amis après une grande virée à vélo à l’impératif présent. heuh !!! : « Débouche donc la bouteille qu’on la boive ! »… Bein quoi ?!… C’est pas de l’impératif présent ça ? Bref ! J’avais alors choisi de filer dans le sens de cette notion élémentaire de grammaire par la voie du chemin le plus court dans la perspective de ne pas finir la journée les lèvres toutes gercées. Un profil parfait pour viser le bol de glaçons dans le réfrigérateur avant que tout ne finisse par me fondre sous le nez (mon record sur Strava, et la bouteille de Bandol). C’est comme ça ! Y’a des jours où on préfère foncer droit dans le tas de glace sans se poser de questions, au lieu de pédaler à poil dans la cheminée en essayant de retenir par cœur ses règles de français. Raymond, remets donc une tournée à la bande de pédaleurs qui me colle au train depuis qu’on a ouvert le Bescherelle à la page des assoiffés du Tourmalet !

ALI BABA ET LES 40 TRICHEURS…
Tiens ! en parlant de Tourmalet… Pas loin d’où je vous cause de ce cas de conscience qui m’est tombé dessus, au moment de choisir mon développement pour franchir le col de la Ferrière ou bien de tailler à tombeau ouvert en direction de Cusance et de Baume-les-Dames… Oui… à ce moment là précis où ce baroudeur de Bernard Mougey terminait son Tour de France en solitaire après 30 jours d’effort insensé. 5000 km d’une incroyable aventure humaine autour d’un hexagone qui s’était plié en six pour lui mettre des bâtons dans les roues autant qu’il pouvait. Il m’était passé par l’idée que je croiserais forcément une escouade de journalistes affutés et caméra au poing, fous de joie d’avoir pu rapporter la belle histoire du jour, sinon de l’année ! Quelque gars d’un grand quotidien sportif par exemple ?! mais autrement préoccupé à ce moment là dans la recherche d’une de ces extraordinaires façons d’investiguer dans les mœurs du cyclisme actuel par la voie de l’élaboration d’un catalogue de vieilleries usées jusqu’au squelette. La grande brocante des années 90. Allons-y m’ssieurs dames. Rien que de la bonne…. (L’ostie et la soutane du curé avec !)  Y’en aura pour tout le monde ! Du « d’avant », au meilleur moment du calendrier ! Du désuet ; du vieillot, de l’éculé !… Du « qui va vous en mettre plein les mirettes » le 18 juillet prochain au pied de la grande journée de l’Alpes. Du Jaja à l’EPO, de l’Ullrich et de l’Armstrong aux transfusions sanguines, et du Virenque « à l’insu de mon plein gré ! » en veux-tu, en voilà !… Une pleine liste de 40 types prêts à être jetés en pâture aux bonnes mœurs acheteuses de journaux, et à l’heure de l’apéro. Un vrai tabac en perspective même pour les non fumeurs… La grande foire estivale aux bonnes formules prêtes à l’impression.  « Ali baba et les 40 tricheurs »…  Allons-y faut surtout pas se gêner  ! « Après Ali… ils finiront tous par l’avoir dans le baba »…

UNE BELLE BÉCANE À L’ITALIENNE
Loin de là, Bernard Mougey. Le monsieur, raccordé à aucune sorte d’appareils enregistreurs médiatiques de circonstance, mais toujours arc-bouté sur son guidon de compétition alors qu’il terminait le plus beau voyage de sa vie, m’avait raconté dans les grandes lignes, son passage au sommet du col mythique. Le Tourmalet, dans la neige, vélo sur le dos et…  raquettes aux pieds. Ses difficultés à récupérer dans les étapes de montagne après une lutte à mort contre les éléments. Ce bonheur d’être allé au bout de ce truc de dingue. Toutes ces anecdotes qu’il avait rapportées dans ses yeux pétillants, et dont le public aurait pu savourer chaque détails croustillants dans les journaux du lendemain). Raymond avait débouché une autre bouteille de Bandol et rajouter des glaçons à tout le peloton sans demander l’avis de Tony qui réglait l’addition. (Tony… Le coéquipier du Johnny be good des aventures de « John the rider » dans le Blog Cycliste…  Le Tony qu’on avait oublié dans le vire-vire de la rue Soufflot à quelques centaines de mètres de l’entrée de la Sorbonne, avant qu’il ne retrouve tout seul le chemin du bar d’où on se parle maintenant. Tony, le reporter quelquefois obligé de faire le présentateur météo dans l’espoir de pouvoir se payer un jour le clou de ses rêves. Une belle bécane à l’italienne et son manche chromé Cinelli™ vissé par dessus. Le genre d’outil de compétition capable de choisir son camp entre Sartre et Camus les soirs de « Nausée » après les apéros au bistrot.

TOUTE UNE SAISON A TIRER UNE BRAQUASSE DU DIABLE !
Un beau cadre de travail pensé pour fendre ce manque d’air assommant pendant les heures de bureau. Bref ! j’avais les boyaux en coton et le guidon dans les chaussettes ce jour là. Comment vous dire mieux ? J’essayais aussi d’imaginer à quel genre de lecteur je pouvais bien avoir à faire, qui avait poursuivi sa lecture jusqu’à ce point où il commençait enfin de se rendre compte du traquenard dans lequel on l’avait trainé malgré lui. Une virée à vélo sans une goutte d’huile sur la chaine. Des kilomètres à pédaler contre le vent sur un bitume décapé à la strychnine des romans de William Burroughs ou de James Ellroy…  Une de ces compressions de clichés, sanctifiés, et gravés sur la route de nos pittoresques distractions mentales ;  une de ces vastes supercheries des corps transis sous l’autel… Tout ce joyeux bordel céleste pétrifié, sans bien savoir où tout ça nous mènerait…
C’est à ce moment là que Johnny est entré dans le champ de la caméra. Le Johnny des mauvais jours ! Le « Johnny la loose » qu’en avait pas claqué une de l’année malgré tout le cœur qu’il avait mis à l’entrainement pendant les longs mois d’hiver pourri. Toute une saison à tirer une braquasse du diable sur des faux plats et une autre encore à s’esquinter le cœur dans des bosses longues comme des cols de légende avant d’accepter de s’aligner au départ du moindre tourniquet de printemps. Un dur au mal, mais le chef de file des raseurs lorsqu’il s’agissait de ressasser pour la énième fois les huit montées victorieuses de « l’Alpes » par le hollandais Zoetemelk, ou la sombre histoire du maillot jaune perdu par Ocaña lors de sa chute terrible quatre dans un virage du col de Menté alors que le coureur espagnol avait battu Eddy Merckx dans le Puy de Dôme sur le Tour 1971… Cette étape cauchemardesque entre Revel et Luchon dans les Pyrénées…

LE JJ CALE AUTOMATIQUE DE LA RUE GRANVELLE
Le Johnny Wilkinson à cinq lames du rabâchage d’oreilles !…. et qui ne sortait jamais sans ses pompes en carbone. Le JJ Cale automatique de la rue Granvelle, mais qui préférait les disques de Kurt Cobain pour aller avec ses nuits noires à regarder défiler les bruits de couloirs sur Twitter. Kurt Cobain, Jim Morison… ou n’importe quel chanteur mort en route de dépression. Tony invita Johnny à s’asseoir devant le cubi réchauffé par les ambitions du peloton, et fit mine d’expliquer son air accablé par la faute d’un KOM paumé sur Strava. Tony, Tony ?!… Ce mec jouait dans quel film déjà ? Tony… Rominger, Tony Doyle… ou Tony… Ah oui ! Le type dont Nathalie Wood tombe raide folle dingue amoureuse sur la musique de Leonard Bernstein bien sûr !  Bon, le mec et toutes ses notes récompensées aux oscars de 1962, n’aident pas forcément à envoyer du lourd dans un final d’étape ! Mais l’idée que la belle Maria pourrait être conviée à faire la bise au vainqueur sur le car podium, si !
Une belle histoire d’amour balnéaire pour passer l’été à se lancer du sable entre les roues, au lieu de cette forme de déblatérage météorologique qui commence à me sortir par les trous de nez.
Comme cette « 100e » du Tour de France qu’on veut nous faire bouffer à toutes les sauces. « Cent cinquante emails par jour sur ma boite depuis des semaines » explose Johnny. « Tu parles d’une connerie !… (« Votre été en jaune avec les cachous Lajaunie™ par ici » ; « Bougez avec les couleurs de la Poste™ en attendant votre Tour au guichet » par là !) À force, on va finir par oublier qu’il y a quand même aussi des coureurs sous ce foutoir publicitaire… »
Il se faisait tard et Raymond n’avait plus la moindre bouteille au frais. Tony régla la note comme il avait été prévu, pendant qu’il songeait aussi à cette petite phrase de Winston Churchill : « La vie, c’est comme une bicyclette, disait l’ancien premier ministre britannique qui préférait le whisky au rosé. Il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre». A moins que ce ne fut Albert Einstein à propos du bonheur de pédaler dans les étoiles… rétorqua Marylou dans un français impeccable.   Johnny, qui aurait plutôt penché pour Raymond Poulidor… Mais on peut dire tellement de sottises après quelques verres. Allez, salut. Bravo encore à Bernard, et Bon Tour de France à tous.
JL Gantner

JOHN THE RIDER / 1

16 Juin

Bernard Mougey/ Le « tour de France » à 60 ans

Il est rentré au port comme ces grands voiliers sont accompagnés par toute une foule d’embarcations joyeuses après leurs périples autour des océans. Une nuée de bicyclettes pour accompagner le navigateur solitaire dans son ultime effort à travers les Montagnes du Lomont dans le Doubs. le Blog cycliste de France 3 n’aurait raté ça pour rien au monde. Un peu plus de cent bornes à vélo aller retour depuis Besançon, pour retrouver notre Moby Dick du bitume et saisir sur le vif ses toutes premières impressions après son tour de France intégral en moins de 30 jours. Quelques heures d’effort sous la cagnard pour avoir l’immense privilège de rouler quelques kilomètres avec ce « géant » de la route et de cueillir le sourire d’un homme comblé d’avoir réussi un des plus grands paris de sa vie.

Bernard Mougey accompagné par l’école cycliste de Chazot pour terminer son tour de France
PHOTOS © JL Gantner

Des tas d’amis du pédaleur, la famille bien-sûr ! l’école de cyclisme de Chazot… personne n’aurait coupé à la tradition d’accueillir comme il se doit la performance, l’exploit d’un de ces « Ulysse » modernes ! La fin d’un périple encensé. 5000 bornes au total depuis le 17 mai. 150, 200 quelquefois près de 300 km par jour, comme lors de cette 14e étape entre Suzur dans le Morbihan et Marans en Charente-Maritime où après 282km, Nanard trouve encore le moyen de remettre le nez dans le guidon pour faire un peu de tourisme pour digérer les crêpes…

Bernard Mougey a quelques kilomètres du but/ PHOTOS © JL Gantner

Parti  sa bicyclette et un sac de 12 kg sur le dos, le maçon en retraite depuis quelques mois, l’ancien para… est arrivé chez lui ce dimanche 16 juin 2013 après avoir réalisé un rêve qui le tenaillait depuis longtemps : Effectuer un tour de France (intégral) comme avait déjà tenter de le faire son oncle il y a quelques années ratant l’exploit pour quelques heures seulement.  (30 jours maximum en longeant les frontières au plus près.) Un tour de l’hexagone dans l’esprit du tracé de la grande boucle de 1924. (Paris, le Havre, Cherboug, Brest… Bayonne, Luchon Perpignan, Nice… avant de voir Ottavio Bottecchia franchir les Alpes sans concéder une étape à la concurrence depuis le premier jour de l’épreuve. Un record inédit dans l’histoire de la course la plus populaire du monde. Briançon, Gex, Strasbourg… Un Tour du pays selon le dessin le plus esthétique et le plus rigoureux. Une moyenne de 24,250 KM/H à l’époque pour le vainqueur). Bernard a même réussi à faire un peu mieux !

PLUS DE 5000 KM ET 51 COLS. LE TOUT EN MOINS DE 30 JOURS !
Le règlement de cette bambée infernale est homologué par « l’US Métro Transport » qui encadre l’épreuve depuis la fin des années cinquante. 60 villes réparties sur le parcours au choix du cycliste sont obligatoires pour faire viser son carnet de route. Une folie où l’on répertorie 51 cols dont 7 de plus de 2000 m. 30 jours maximum pour les « randonneurs » et 60 pour les « cyclotouristes ». Avis aux amateurs !

Bernard Mougey sur les routes e son Tour de France/ PHOTO © Collection B. Mougey

« LE PLUS DIFFICILE : LA BRETAGNE ! »
Le 3 juin dernier, on pouvait encore voir ce fada du dérailleur s’élever dans l’Aubisque avant d’être obligé de « déchausser » dans les premiers mètres du col du Soulor recouvert de neige. Le Tourmalet le lendemain. Pas de quoi faire le malin avec déjà plus de 3000 km au compteur !… « J’ai vraiment souffert à ce moment là » avouait Bernard dimanche en descendant le col de Ferrière en tête du peloton venu lui faire une haie d’honneur. Une traversée des Pyrénées en mode hivernal, et sans les caméras de France Télévisions pour revoir les images le soir à l’hôtel. Bernard termine l’ascension les raquettes au pied et son clou… sur le dos. 1H30 de grimpée arnaché comme un alpiniste pour réussir à passer le machin. Vietto, Robic ou la Brambille flingués par le maçon de Chazot dans la grande bagarre des Pyrénées. Voilà pour l »histoire d’un Tour de 1947 (Que Jacques Godet me pardonne !) revu et corrigé par opiniâtreté et l’abnégation du secrétaire du club cycliste du village natal de Francis Mourey. Les crevaisons qu’il faut réparer soi-même, le vent, la pluie, ses grimpées à enchainer… Bernard a quitté les bords de la Méditerranée, Marseille, la Ciotat, la côte d’Azur… par le col de Vence. Le retour des températures polaires malgré la date sur le calendrier. Mais aussi, saucisses et merguez dans l’Izoard. Un barbecue surprise préparé par son ami Dominique et sa femme Nicole, venus le réconforter dans les Alpes. Le Glandon, la Madeleine… Rien que des monuments avant d’en voir enfin le bout après 30 jours d’une vie de forçat ! « Le plus difficile : La Bretagne… » me lâche Bernard en esquissant machinalement une expression douloureuse qui en dit long sur la difficulté de son aventure. « Le vent et la pluie glacée sans discontinuer. je me disais qu’il fallait s’accrocher juste en envisageant une difficulté après l’autre. Un virage après un autre, une pente après une autre. pas plus ! »

La dernière « blague » sur la route, à quelques kilomètres de l’arrivée/ PHOTOS © JL Gantner

Ce dimanche soir 16 juin 2013, C’est tout un pays qui attendait le valeureux navigateur. Bernard Mougey, qui annonce déjà vouloir bientôt reprendre sa bécane pour d’autres aventures… Une salle des fêtes pleine à craquer qui ressemblait à ses longues soirées dont Chazot a le secret lorsque le patron du cyclo-cross français, Francis Mourey revient chez lui pour partager ses maillots tricolores avec ses proches. Un pays pétri dans la culture vélocipédique depuis longtemps, et qui connait parfaitement la valeur et l’intransigeance d’une telle performance. Une grande boucle intégrale, Un tour de France en solitaire, conclu le jour de ses 60 ans. Chapeau bas Monsieur Mougey.
JL Gantner

08 Mai

LE BLOG CYCLISTE MET LA FLÈCHE LE TEMPS DE GRAISSER LA CHAINE ET DE REVENIR EN COURSE SUR UN NOUVEAU BRAQUET

Pour tout vous dire, ce « Blog Cycliste » que vous tenez peut-être en ce moment même au bout de votre doigt posé sur l’écran, est un peu à la peine ces temps-ci. La conséquence d’une accumulation de raids solitaires menés sans relever la tête du guidon depuis plus d’un an au moment où j’écris ces lignes.

Pendant la rédaction du Blog Cycliste de France 3 sur le Tour de France-Comté 2012

L’actualisation quasi quotidienne d’une page entièrement consacrée au cyclisme en Franche-Comté. « Une drôle de bonne idée » si je vous entends bien et à voir les scores d’audience qui s’y rapportent ! En réalité un terrain d’investigation immense. Plusieurs centaines de courses organisées dans la région dans toutes les disciplines de la Route du VTT, du BMX et de la Piste. Sans compter tous ces rendez-vous auxquels participent les coureurs régionaux ailleurs en France ou à l’étranger. Des pros, et des amateurs dont j’ai tenté de suivre la trace dans un flou artistique il faut bien l’avouer, digne d’une échappée solitaire en plein brouillard sur les pentes rugueuses d’un de ces affreux cols alpins. Plusieurs compétitions chaque semaine dans toutes les catégories d’âges, de niveau ou de spécialités… Une tâche colossale si vous comptez bien ! pour espérer suivre le rythme effréné du calendrier, seul, et sans autre forme d’aide extérieure.

Car oui, ce Blog cycliste au bout de votre mulot ne tient qu’à la force du coup de pédale d’un seul journaliste, amateur de bicyclette certes, mais oui, parti seul pour une bombée sans fin il y a 13 mois ! Une échappée sans coéquipier sur qui se reposer pour espérer prendre de bons relais bien appuyés. Le tout, autrement occupé par l’actualité quotidienne au sein de la rédaction de France 3. Un boulot de reporter généraliste à plein temps difficile à conjuguer avec cette activité de forçat de la route. (Quelque chose comme 600 articles rédigés malgré tout, et un bon millier de photographies choisies parmi des centaines d’autres milliers enregistrées par vos soins pour les illustrer). De quoi faire l’élastique toutes les semaines ! Le bilan de bientôt 400 jours passés ensemble sans réussir à couper l’antenne sans cesse rattrapée par l’actualité liée à notre sport favori. Tellement d’émotions sur les lignes d’arrivées régionales ou plus prestigieuses encore… qu’il m’aurait semblé très difficile de passer sous silence dans ces colonnes, comme on disait du temps des journaux en papier avec le goût de l’encre qui restait encore imprégné aux nouvelles de la veille.

Avec Francis Mourey (FDJ) lors des championnats de Franche-Comté 2013 de cyclo-cross, à Montbéliard.
Et avec Thomas Dietsch (Team Bull) à Ornans avant les championnats du monde de VTT Marathon 2012.

Ces trois belles journées d’un Tour de France « historique » sur les routes comtoises, après l’enchainement des grandes dates du Jura, de la Haute-Saône et du territoire de Belfort. Un Tour de Franche-Comté qui a fait « le buzz » à la Planche-des-Belles-Filles. Sans oublier la grande affiche du Tour du Doubs professionnel. Le tout encadré par les caméras de France 3 Franche-Comté et du pôle nord-est de France Télévisions. Le tout… avant d’enchaîner avec la saison de cyclo-cross. Un championnat de France à Nommay bien sûr ! En réalité, tout un hiver de batailles magnifiques, en attendant ce grand coup de soleil de Morgan Kneisky sur la piste des championnats du monde à l’Américaine en Biélorussie. Juste avant… que tout ne recommence, des courses, des pronostics et des classements ; des hurlements de joie et des pleurs sur les lignes d’arrivées ; les assemblées, la politique parisienne et tout ce qu’on doit faire avec dans les clubs locaux ; cette affaire d’un vélodrome qui se mord la queue depuis bientôt 15 ans dans les bureaux de la municipalité de Besançon… Tant de choses à dire, à commenter…

Tant d’événements déjà, depuis la mise en ligne du Blog Cycliste au début du mois de mars 2012… Des centaines de beaux souvenirs partagés avec vous. Cette route sportive, fabuleuse entre nous. Mais je vous le disais… La tâche est un peu rude depuis mon belvédère télévisuel et forcément déconnecté des événements sportifs qui se déroulent de l’autre côté de l’écran. L’impossibilité de me couper en quatre vous l’aurez compris !


En Direct sur France 3 pendant le Tour de Franche-Comté 2011

Mille excuses alors ! Mille excuses d’avoir tenter d’apporter de l’eau au moulin du cyclisme Franc-Comtois, pour finalement devoir « bâcher » au pied d’une série de nouvelles difficultés dont je mesure dorénavant toute l’ampleur. On ne peut pas sans cesse repousser son pic de forme sans risquer le surentrainement. Tous les sportifs le savent bien !

UN « NOUVEAU » BLOG CYCLISTE…
Fin du service comptable dans ces pages, donc ! Faute de ne disposer d’assez de temps pour affronter seul la marée d’annonces et de résultats qu’il conviendrait de diffuser sur une page d’informations digne de ce nom sous le titre d’un grand média de service public. Voilà donc pour ce chapitre d’une tentative de diffusion d’une masse de relevés chronométriques dont vous aurez compris qu’il faudra dorénavant chercher ailleurs la joyeuse compilation. Pour le reste, pas de panique. Le Blog Cycliste ne décide pas pour autant de mettre la flèche définitivement au beau milieu du parcours et restera j’espère, un lieu de partage de beaucoup de nos émotions engrangées sur nos machines.

Un nouveau Blog Cycliste… moins accro à l’actualité. (Quelques points de repères tout de même pour nous situer dans la saison. Les grandes victoires évidemment !) Mais le prétexte à de nouvelles investigations à partir de notre passion pour la bicyclette. Des grands reportages et des portraits. Un espace de digressions vélocipédiques dont j’espère qu’il continuera de nous rassembler sous le bandeau de votre chaîne préférée…

Sportivement.
Jean-Luc Gantner

30 Mar

PRIX DE VALENTIN/ « Dans la course » 2012

« Un tour pour voir, un deuxième pour se rendre compte vraiment… Et tout à remettre sur le métier une nouvelle fois au cas où personne n’aurait encore parfaitement compris la règle du jeu. Des dizaines de kilomètres à parcourir dans la géométrie d’une boucle. Le tout pour revenir plus facilement au point exact d’où l’on était parti deux heures plus tôt. L’attraction dominicale pourrait en faire sourire beaucoup, qui préfèrent généralement les promenades au musée où les séances de dilettantes aux terrasses des cafés. Ce beau tableau sur le ton flamand ou d’une rigoureuse école des « Flandres », peint la veille d’un jour historique sur Paris-Roubaix. Le tableau d’un bon « Prix » pour parler d’un sport qu’on aime jusqu’à s’en barbouiller de couleurs les yeux et ses plus beaux souvenirs de l’année ». JLG

Le récit d’une épreuve 2012 où le Blog Cycliste de France 3 découvrait l’ambiance de 400 coureurs embarqués dans la course de l’agglomération Bisontine :

REVOIR LE RÉCIT

24 Mar

PISTE/ Les pistards comtois… sous les ailes de « l’Aigle »

Aigle (Suisse), jeudi 21 mars 2013. J’avais tout d’abord prévu de vous communiquer quelques résultats sportifs propres à vous renseigner sur la hiérarchie, la position ponctuelle de chaque coureur ce jour donné d’une « Réunion » de distributions de points UCI sur la piste d’Aigle en Suisse.

Dans l’ordre : Une victoire du suisse Théry SCHIR au « SCRATCH » devant le Bisontin Morgan KNEISKY, et la 3e place d’Olivier BEER pour refermer le paragraphe de ce premier podium. Une course où l’on retrouvait également plusieurs autres Franc-Comtois habitués des lieux : Philemon MARCEL MILLET, Maxime FROIDEVAUX, Alexis NOEL et Thomas GRECO. Les mêmes coureurs de l’Amicale Cycliste Bisontine, mais dans un ordre différent à l’issue de la « COURSE AUX POINTS » de la soirée… Chez les juniors encore, et cette fois dans l’ordre établi par le chronométreur officiel : La deuxième place de Joseph BERLIN SEMON intercalé entre Rémy SERRURIER et Steeve PANNATIER. Un comtois coincé entre 2 Suisses, et j’aurais soldé l’essentiel de cette comptabilité avec la 8e place de Vincent GERARD, la 15e de Rémy JARROT, la 18e enfin pour Corentin CHARBONNET.  Pour vous dire mon intérêt pour la chose chiffrée, l’ordre numérique et le principe de grandeur posé entre les gens qu’on apprécie vraiment… Cette sorte d’arithmétique soutenue par un mode de calcul sans équivoque qui sied tellement aux pages sportives des journaux.

Voilà donc, comme je vous l’ai dit qu’il m’était d’abord passé par la tête de l’écrire ici, et pour conclure sur ce sujet de quelques classements d’importance rapportés de Suisse en Franche-Comté au petit matin du 22 mars 2013. Une heure forcément très avancée au bout d’une après-midi de transport en camion depuis Besançon pour rejoindre la partie la plus orientale du canton de Vaud, et d’une grande soirée cycliste terminée par le voyage de retour. Plus de cinq heures de route en tout pour prendre part à cet étonnant match « vélocipédique » selon le terme consacré à l’époque parisienne de la « piste de la Seine », du « stade Buffalo » ou du « vélodrome des Arts Libéraux au Champ de Mars ». Cette époque où Tristan Bernard, Toulouse Lautrec et même Émile Zola venaient applaudir des ZIMMERMAN, BOURRILLON, MORIN, et autre PIOU PIOU (Edmond JACQUELIN, né en côte d’or). « Le champion cycliste le plus populaire de tous les temps » avait écrit Pascal Sergent dans un ouvrage qu’il lui avait entièrement consacré. Edmond JACQUELIN dit aussi « le boulanger » pour le pétrin duquel le vélo l’avait sorti, débarqué sans le sou de son village de Santenay sans savoir encore qu’il pétrirait le cœur des foules de son incroyable coup de pédale pendant plus de vingt ans. Le Bourguignon, champion du monde de vitesse en… 1900 ; recordman du monde du kilomètre départ lancé sans entraîneur en 1’13 » (les connaisseurs apprécieront l’exploit pour l’époque !) Une consécration sur piste, quelques mois avant le départ du tout premier Tour de France de l’histoire lancé au mois de juillet 1903 sous les fenêtres du « Réveil matin » à Montgeron. Juste avant que ne s’en mêlent les Petit Breton, Pélissier, Charly Gaul, Géminiani, Bobet ou Van Impe…  Pour vous rassurez sur l’état d’esprit dans lequel j’avais décidé de me mêler des hostilités ce soir là dans l’arène du centre mondial du cyclisme à quelques coups de pédales des rives bien mises du Léman. Un panthéon de héros gravés dans les mémoires de la légende des « forçats de la route ». Ce temps des « cracks », ces « démarreurs » capables de faire hurler des foules de 15 à 20 000 personnes dans les tribunes de Paris, Roubaix, Reims, Turin ou Berlin ; celles du Madison Square Garden à New-York où fut inventée cette « Américaine » dont Morgan KNEISKY s’est fait aujourd’hui une spécialité. Le coureur Bisontin et son compatriote Vivien BRISSE devenus champion du monde de l’illustre compétition d’endurance, à Minsk le 24 février 2013.

Un anneau (en pin de Sibérie indique la plaquette publicitaire) d’une longueur de 200m, et des montagnes escarpées par dessus un toit en forme de roue « Max Wheel™ »… Un bijou technique où les pistards Comtois ont pris leurs habitudes depuis qu’ils sont privés de leur propre stade détruit au début de l’année 2000 à Besançon. Une structure de rêve où les athlètes Français sont accueillis en hôtes estimés, mais si loin de chez eux !… Des coureurs de l’Amicale Bisontine, ceux de la Roue d’or de Vesoul et puis des Dijonnais… Tous en ordre de bataille derrière Pierre Yves Bordy. Le « Belge » qui prodigue ses conseils de vieux briscard sous son bonnet Festina, et une roue lenticulaire dans chaque main lorsqu’il ne conduit pas le camion avec toute la tribu de « Hobbits » endormie derrière lui. Ce Gandalf dont je vous ai déjà parlé, le gardien depuis des lustres de tous les secrets de l’anneau. Les détails du « Scratch », du « Kerin » ou de la « Course aux points ».  « Allez mon p’tit ! » répète-t-il au pied de la piste sans jamais un mot de travers. Le vieux sage est philosophe et voit tout dans la meute à l’approche des coups décisifs. « Celui là a mis trop gros, regarde comme il est collé maintenant… » L’expérience. Celle qui a fait décoller les performances de Morgan KNEISKY il y a quelques années (déjà 4 médailles mondiales), ou récemment les prouesses de Soline LAMBOLEY championne de France cadette, et Bisontine elle aussi. La piste, à peine une demie page de rendez-vous imprimés dans le calendrier fédéral qui en contient soixante la majorité dédiée à la route. Des immenses champions qui prouvent leurs talents à chaque réunion, mais sans aucuns moyens à disposition. Rien. L’artisanat le plus complet. Juste des belles paroles prononcées sur les tribunes officielles par les dirigeants du cyclisme français. En Franche-Comté c’est encore pire. Pas un traitre mot de Jean-Louis Fousseret sur le sujet qui préoccupe les pistards de la Comté le jour d’une réception organisée en l’honneur du Bisontin Champion du monde en Biélorussie le mois dernier. Un maire enroué dés lors qu’il s’agit d’évoquer le projet d’un équipement dédié au cyclisme dans la capitale comtoise, fut-ce-t-il seulement pour réparer quelques erreurs commises par ses prédécesseurs dont il est pourtant facile aujourd’hui d’estimer les dégâts. Mais est-il encore besoin de hurler ses arguments devant une école de sourds ?…

Une piste, et je vous jure que le spectacle était à son comble entre les deux virages relevés de l’anneau helvétique ce 21 mars. Des allures folles dans un vacarme vrombissant au passage du peloton écrasé dans les courbes. Quelques dizaines de machines bourdonnantes, lancées à toute berzingue sur le parquet et mues par la seule force humaine. Ce déferlement d’adrénaline au passage de la « cloche ». Des coureurs étirés sur leurs cadres en carbone, allongés de tous leurs muscles et bandés vers la ligne décisive. Les poignets du champion Bisontin dans cette position si particulière, cassée vers l’extérieur à l’avant de son guidon. Ce travail de souplesse ultime qui lui donne l’allure d’un oiseau de proie à l’instant d’un retour en force à l’arrière du groupe de tête. L’élégance d’un mouvement réglé au millimètre et dénué de la moindre oscillation afin de concentrer toute la puissance dans le seul coup de pédale. La majesté naturelle de « l’aigle » lorsqu’il fond sur sa proie. Ce jeu d’une attaque, tactique et foudroyante pour prendre de court ses adversaires déjà lancés à plus de 60 km/h au bout du dernier virage. L’image dont on se lasse pas d’un « faucon Comtois » en action, et toujours prêt à emmener les gamins de son club sous son aile…

Des matchs palpitants qui ne demanderaient qu’à retrouver leur public comme je me souviens avoir lu ces stades remplis, ces tribunes de ciment bondées lors des grands matchs de la folle époque. Ce 16 mai 1901, jeudi de l’ascension, où le monde entier semblait s’être donné rendez-vous dans l’enceinte du parc des Princes pour assister à ce qui resterait dans l’histoire comme le plus grand choc sportif du début du siècle. D’un côté Ce Piou Piou d’Edmond JACQUELIN, le Français ; de l’autre Major TAYLOR « le nègre yankee ». Une confrontation entre deux continents qui fait les choux gras de tous les journaux de l’époque. « La vie Au Grand Air », « L’Auto-Vélo », « le Figaro », « Le Français », « L’Éclair »… La presse qui enregistre alors ses meilleurs records de vente à l’endroit de ce fantastique concours de vitesse sur piste. Il fait froid ce jour là. Un désavantage dit-on pour l’illustre challenger du Français. À 14H30, le coup de revolver lance la première manche. Le silence dans l’arène n’a d’égal que l’émotion indescriptible qui règne sur l’immense stade parisien découvert. Les deux coureurs les meilleurs du monde au coude à coude, roue dans roue dans les deux cents derniers mètres avant l’explosion de joie et les chapeaux jetés sur la piste. « Le Boulanger », de peu, mais premier au poteau, comme JACQUELIN remportera aussi la deuxième manche et entrera pour toujours dans la légende.

PHOTOS © 2013 JL Gantner

Un « Scratch », un « Kerin » et une « Course aux points » plus tard, Toute la petite bande de guerriers de la piste s’est rassise dans le camion jaune derrière son pilote. Le « Belge » toujours fidèle au poste malgré cet horaire professionnel peu académique. Aux côtés de Morgan KNEISKY : NOEL, GRECO, FROIDEVAUX,  MARCEL-MILLET,   BERLIN-SEMON, GERARD, JARROT, CHARBONNET. Leurs projets de leçons à réviser pour le lendemain les uns au lycée, les autres à la Fac. Toute une saison de route qui commence aussi, et ce doux rêve enfoui d’avoir un jour la possibilité de réussir à s’entrainer chez eux sans avoir à se taper des milliers de kilomètres en camion.
(Texte et photographies) JL Gantner

05 Mar

MORGAN KNEISKY/ Le champion du monde accueilli à Besançon après son titre sur la piste de Minsk

Une sacrée fête attendait Morgan KNEISKY à Besançon ce lundi 4 mars ! De retour de Minsk en Biélorussie, le coureur devenu champion du monde de cyclisme sur piste à l’Américaine ce mois de février 2013. L’athlète Franc-Comtois, dorénavant un des plus titrés de la région à ce niveau, avec 5 médailles mondiales dont deux en or (2009 et 2013). Un palmarès qui tient juste du « miracle » lorsque l’on sait que le jeune Bisontin n’a jamais pu bénéficier d’une piste à demeure pour progresser depuis la destruction de l’ouvrage historique qui avait fait quelques unes des belles heures sportives de l’avenue Léo Lagrange dans la capitale Comtoise… Un sujet dont Jean Louis Fousseret n’avait vraisemblablement pas envie du tout de parler, ce grand jour d’une réception officielle organisée place du 8 septembre. Ce grand jour d’une victoire Française sur la première étape de Paris Nice et où le printemps dans la région semblait enfin montrer le bout de son nez depuis le début de l’après-midi… Monsieur le maire, qui nous avait fait promettre de ne rien dire pendant la jolie réception à ce propos d’un projet d’équipement dont pas le moindre premier coup de crayon n’existe sur le moindre début de plan sur son bureau… « Chaque chose en son temps » avait failli dire le patron de l’agglomération Bisontine avant de finalement renoncer à lire son discours comme il avait été d’abord rédigé. Pour nous montrer sûrement, de quel talent d’improvisateur il pouvait user dans les grandes occasions et y compris pour épater les pratiquants de cyclisme. Son sport « préféré » avec le football, le basket, le hand-ball…  Excusez moi de ne pas avoir tout retenu.

(de G à D) Pascal Orlandi, le maire de Besançon, Morgan Kneisky, Martial (son papa) et Gisèle (sa maman)
PHOTO © JL Gantner

Patrick Bontemps, Morgan Kneisky et Jean-Louis Fousseret
PHOTO © JL Gantner

Un maire, heureux de rappeler qu’il fut un temps, mais alors il y a vraiment longtemps… où il avait lui même « enfiler le maillot de l’Amicale Cycliste ». Non ?!!!… Si Monsieur le Maire vous le dit ! Pour vous planter un peu le décor d’une jolie messe municipale en faveur d’un immense champion né à Besançon et qui y demeure toujours licencié, malgré tout.

Patrick Bontemps, Morgan Kneisky et Jean-Louis Fousseret posent avec le maillot de champion du monde
PHOTO © JL Gantner

Morgan KNEISKY, un peu intimidé devant tant d’éloges et qui ne s’attendait pas un instant à la fête qui devait suivre après avoir été présenté et très applaudi au conseil municipal qui tenait sa séance ce lundi 4 mars. « Momo » en train d’expliquer à la droite du maire et devant tout un peloton d’élus, la spécificité de sa discipline. « L’Américaine ». La course reine des spécialistes de demi fond. La course dont il rêvait depuis toujours, depuis qu’il avait commencé à 12 ans avec son copain Mickaël JEANNIN qui lui piquait toutes les grandes victoires à l ‘époque… (le coureur, ancien de l’Amicale Bisontine et retraité d’Étupes à la fin de la saison dernière, autant intimidé dans la salle que son ex coéquipier installé au micro…)

Morgan Kneisky au conseil municipal de Besançon à la droite du Maire Jean-Louis Fousseret
PHOTO © JL Gantner

Le conseil municipal applaudit Morgan Kneisky, champion du monde de cyclisme sur piste à Minsk
PHOTO © JL Gantner

Sa médaille, son maillot… mais ses « heures de travail » aussi, et les problèmes que poseront les nouvelles réglementations internationales. Les kilomètres qui deviendront indispensables de parcourir entre les différents stades d’entrainements et les compétitions —lui et les autres pistards Bisontins et Franc-Comtois— laissés à leur vie de nomades, ne disposant d’aucun équipement chez eux. Le constat posé en toute simplicité d’un grand champion cycliste applaudi par toute une salle, debout. Un conseil municipal qui réagissait —faut-il le préciser— à la belle tunique du médaillé plutôt qu’à l’envie ferme et définitive de souscrire au projet d’un « anneau cycliste » sur les rives du Doubs, même modeste. Le débat est pourtant maintenant ouvert et inéluctable ! Un choix politique qu’il faudra bien délibérer et assumer le jour venu.

La presse et la TV au moment du discours officiel à la mairie de Besançon pour accueillir Morgan Kneisky
PHOTO © JL Gantner

Le temps pour la caméra de France 3 de s’installer à l’intérieur du palais des sports décoré aux couleurs de l’UCI, et aux centaines d’amis cyclistes venus de toute la région, mais aussi de Bourgogne, des Vosges ou de l’Ain… de prendre place face à la porte d’entrée principale. Le temps que la surprise préparée par Gisèle (la maman du champion Franc-Comtois) soit « presque » totale à l’arrivée de Monsieur Morgan KNEISKY dans la grande salle omnisports Bisontine… et les dizaines de flash de saisir l’image du héros de la soirée au milieu de ses proches. Martial (son papa dans sa chemise des grands événements), sa sœur Marine, sa grand-mère et sa petite amie. Tout le monde était là ou presque. Pas seulement les Bisontins. Pas seulement les pistards… les amis et concurrents de toujours comme Mickaël, ou la relève… La championne de France cadette, Mademoiselle Soline LAMBOLEY, ou Vincent GÉRARD en argent cette année sur l’épreuve fédérale la plus importante de l’année… Des jeunes coureurs de talent toujours encadrés par Pierre Yves BORDY qui avait formé Morgan KNEISKY à fondre du haut des virages sur le vieux ciment du vélodrome Comtois. « Le Belge »  et dont c’était l’anniversaire ce soir là. 68 ans. Un cadeau tout désigné pour celui qui a fait de la piste et de la formation des jeunes, sa vocation depuis bientôt 40 ans au sein de l’Amicale Cycliste Bisontine. Son épouse qui me confiait qu’elle fût certaine que son homme penserait moins au vélo l’âge venu, mais que « c’est encore pire aujourd’hui ».

Morgan Kneisky pose pour la presse avec son maillot et ses proches
PHOTO © JL Gantner

300 cyclistes réunis à Besançon… Pas seulement cette petite « communauté de l’anneau » qui visserait pour leur seule et unique chapelle. Mais des représentants de la grande famille Franc-Comtoise, venus des quatre départements pour fêter l’immense performance d’un gamin de la région comme il se doit. Pour dire s’il en était besoin : l’intérêt pour la discipline qui déborde bien au delà de l’adresse des Prés-de-Vaux !

Au Palais des sports de Besançon, 300 personnes attendaient le pistard et sa médaille d’or obtenue à Minsk
PHOTO © JL Gantner

Tout un comité de cyclistes amateurs issus de tous les clubs de la région, des directeurs sportifs et des entraineurs comme Jérôme GANNAT du CC Étupes, débarqué au buffet préparé par Arlette, Thérèse, Roger et les autres, avec au moins 15 000 km au compteur depuis 6 mois.  Gégé, recordman de la montée d’Abbans sur Strava™ « mais au volant de la voiture d’équipe ! » Vas-y Gégé… fait péter les watts ! Fred GRAPPE à la veille de son départ à Magny-Cours pour une étude approfondie en soufflerie sur « l’optimisation de l’interface homme-machine ». Fred, toujours à fond, intarissable sur son sujet de prédilection d’un cyclisme nouveau, « crédible », et qui ne décroche plus de twitter™ depuis le début de la saison pour tout expliquer. Le Docteur en optimisation de la performance était venu saluer Le champion du monde avec Jacques DECRION sans son scooter, ni Arthur VICHOT accroché derrière (le puncheur de Colombier-Fontaine, vainqueur du Tour du Haut Var le 17 février, sur le départ pour « Tirreno Adriatico » où seront engagés mercredi 6 mars les principaux leaders du peloton mondial).

Morgan Kneisky avec Pascal Orlandi (PDT de son club L’Amicale Bisontine) et Pierre-Yves Bordy « le Belge »
PHOTO © JL Gantner

Deux hommes de la « Française des jeux » et puis Patrick MAUVILLY, un ancien pro de chez De Gribaldy ; le Jurassien Laurent MONROLIN, en pleine préparation de son grand Tour du Jura (26 avril) juste avant que Romuald LEFÈVRE n’enchaine les derniers réglages de la Grande boucle Franc-Comtoise (16 mai). Roland VERY, ou encore Alain BOUTONNET… Le motard Vincent PHILIPPE (un champion du monde lui aussi, 6 fois titré en endurance), pour vous dire le beau monde, la belle famille. Et parmi les convives la gouaille inégalable d’un Gérard DESBOUYS, le speaker des beaux rendez-vous du cyclisme amateur partout en France. L’homme aux 12 000 fiches signalétiques de coureurs, et papa d’une Séverine DESBOUYS, deux fois vainqueur d’étape sur le Tour de France féminin 2000. (Si c’est pas une vraie famille d’amoureux du cycliste ça ?!) Mais je ne saurais citer tout le monde, ni le nombre de coupes vidées en l’honneur du quintuple médaillé mondial de cyclisme sur piste. Une grande soirée dont va se souvenir Morgan KNEISKY avant de se remettre en selle pour sa saison de route professionnelle sous les couleurs « Roubaisiennes ».
Jean-Luc Gantner

11 Fév

SKI/ RECIT/ Un sénateur dans la « Transju »

(en 2012), la rédaction de France 3 m’avait confié la mission d’embarquer une caméra sur le parcours de la grande épreuve nordique Jurassienne pour suivre Pascal BEZIN, un habitué de la « Transju ». Ensemble, nous avions couvert les 76km de la course après nous être seulement rencontrés la veille à son domicile où j’avais passé la nuit avec mon coéquipier. Un souvenir professionnel, mais d’abord sportif et humain dont je ne résiste pas à vous restituer le texte intégral écrit de la main de Pascal à la suite de notre aventure. JLG

TRANSJURASSIENNE : UN « SÉNATEUR » DANS LA COURSE

Pascal Bezin avait déjà participé 19 fois à la Transjurassienne quand il a accepté que France 3 le suive lors de l’édition 2012. De Lamoura à Mouthe, 6 heures d’effort pour venir à bout de la plus grande épopée nordique organisée sur le sol Français.

Avant la course : Où il est déjà question de températures polaires
Tout avait commencé par un coup de fil d’Elsa (NDLR : Elsa Bezin est journaliste à France 3) : « Pascal, tu m’as bien dit que tu faisais la Transjurassienne cette année. Est-ce que tu serais partant pour être filmé par une équipe de France 3 ? »

Banco. C’est parti. Mais voilà le stress qui commence. Est-ce que je vais pouvoir finir ? Ne pas abandonner… Et qu’est-ce que ça signifie : « Être le fil rouge de l’émission » ? « Les journalistes t’intervieweront au départ et à l’arrivée » m’avait dit Elsa… « Enfin, tu verras. Ils t’expliqueront tout ». De toute façon, on verra bien.
Il reste 15 jours avant la course. La température ne décroche pas des moins 15, moins 20 degrés ! Les conditions seront sûrement difficiles. Je m’oblige à un test, la semaine précédente, au Marathon de Prénovel. Température ce matin là : moins 28 degrés. Le départ est repoussé d’une demie heure tant les conditions sont extrêmes. Les gants 3 doigts achetés la veille font merveille. Je teste sans problème un habillement type « arctique ». Ça va le faire ! Quelques jours avant, j’avais reçu un coup de fil de Matthias, un des deux journalistes qui conduirait cette aventure. Un garçon très sympathique (NDLR : comme presque tous les journalistes de France 3 !). Il m’expose le projet. C’est beaucoup plus lourd que ce que je pensais. Mais tant mieux, l’idée m’excite beaucoup. Matthias m’explique qu’avec Jean-Luc (NDLR : Jean-Luc Gantner, il est l’auteur du Blog Cyclisme de France 3) ils coucheront à la maison pour tourner des images dès le petit déjeuner. Rendez-vous est pris pour le samedi dans la matinée où nous avons prévu une séance fartage. Je reste malgré tout inquiet : comment ça va se passer avec la température annoncée (-20°) ?!…

Samedi : premier jour de tournage
Samedi matin à 10 heures, l’équipe de tournage arrive à la maison pour les premières prises de vues. Nous nous rendons au garage pour filmer la séance de fartage avant de rejoindre Morez où nous attendent nos dossards. J’ai profité d’un moment de répit dans l’après-midi pour préparer les skis de Jean-Luc avec un seul passage de LF BLEU -10/-30. J’espère  que ça tiendra ! Les reporters filment tous mes faits et gestes jusque dans la soirée en famille lors de la traditionnelle pasta party. Une bonne façon de découvrir un peu mieux qui sont ces deux journalistes. D’abord Matthias chargé de me poser des questions, et Jean-Luc qui doit prendre le départ avec moi le lendemain équipé d’une caméra miniaturisée. Autant Matthias a de la réserve, quoique fin et très cultivé (NDLR : le texte est bien de Pascal Bezin), autant Jean-Luc est volubile avec un entrain et une passion incommensurables. Il parle, il parle et je découvre un personnage hors norme. Reporter, photographe, alpiniste, réalisateur de films… Il est de plus champion de France des journalistes cyclistes. Autant dire qu’il ne devrait pas avoir de problème pour boucler la Transju. Il nous raconte son accident, une chute d’escalade qui lui a laissé des séquelles à une jambe. En tout cas, ce personnage me plaît avec son petit rire qui ponctue chaque fin de phrase. On devrait bien s’entendre.

Alors que nous continuons de nous échanger nos expériences sportives autour du repas, une autre journaliste de France 3, Aude (NDLR : Aude Sillans est journaliste à France 3. Elle couvrait en 2012 sa première Transju, elle vient de Saint-Pierre-et-Miquelon), nous prévient par téléphone d’un rendez-vous pour le lendemain sur la course. La journaliste souhaite que, Marie-Aude (ma femme) et Andréa (ma fille) se trouvent à Bois d’Amont pour attendre notre passage et nous encourager devant une caméra de direct reliée par satellite. Il faut nous débrouiller pour passer les premiers lacets du Risoux vers 11 heures.


Pascal Bezin au petit déjeuner avant de rejoindre le départ de la Transju/ PHOTO © France TV

Dimanche : 4 heures du matin… et beaucoup de degrés en dessous de zéro !
Dimanche, 4 heures du matin. Je me réveille pour réanimer le feu dans la maison et préparer le petit déjeuner. Matthias et Jean-Luc enregistrent encore quelques images avant d’aller prendre notre bus prévu à 5h30 au Bois Gourmand. Mais catastrophe ! Lorsqu’on arrive à 5h35, le bus est déjà parti. Après une course contre la montre avec la voiture de reportage, tout rentre finalement dans l’ordre sur la route des Rousses. Jean-Luc filme le reste du voyage à bord de l’autocar spécialement mis à disposition des coureurs et nous arrivons à Lamoura au petit jour.
Matthias nous a rejoint avec la voiture dans laquelle tous les trois, nous tentons de nous réchauffer avant l’heure du départ. 8h15. Il faut quitter la chaleur de l’habitacle et nous rendre sur la ligne. Nous commençons l’interview 10 minutes avant le départ, mais la caméra est gelée. Le temps de remédier au problème technique et de reprendre la petite séance de questions, nous nous apercevons que la deuxième ligne s’est déjà envolée. Cette place qui nous était attribuée pour prendre part à cette Transjurassienne 2012. « La seule fois où j’aurais eu le privilège de voir le départ depuis un autre point de vue que celui du coureur, après 19 participations ! » Nous partons donc 2 à 3 minutes derrière, ce qui nous permet d’être seuls sur la piste, d’éviter la casse et de mieux gérer l’effort. Jean-Luc a du mal à enfiler ses gants. Il a du mérite parce que tenir la caméra à mains nues avec cette température de moins 20 degrés, puis ensuite chausser les skis, c’est fort.


Pascal Bezin à quelques minutes du départ de la Transjurassienne 2012/ PHOTO © France TV

Pendant 2 kilomètres, la piste est à nous, puis nous remontons vite sur la fin du paquet. Jean-Luc a l’air de bien skier, ça devrait être bon. Les derniers du peloton sont d’un niveau technique catastrophique. C’est impossible qu’ils puissent faire 76 kilomètres. On a l’impression qu’ils commencent le ski réellement ce matin.
Au pied de la Serra, nous attaquons la première pente. Jean-Luc est bien dans mes skis. On double les concurrents par dizaines. Première petite descente pour s’apercevoir que le fartage est excellent et qu’on glisse mieux que tout le monde. C’est bon pour le moral. J’en oublie complètement la caméra portée par Jean-Luc. J’en oublie aussi complètement le froid.

Rencontre avec la bise… celle qui ne réconforte pas !
On sort légèrement de la forêt pour se retrouver en prise directe avec la bise. Elle souffle puissamment en soulevant la neige fine par tourbillon. Les coureurs cherchent à s’abriter les uns derrière les autres. Je commence à comprendre que ça risque d’être dur entre les Rousses et la Suisse. Mais cette bise rend le paysage féerique. Les arbres givrés disparaissent et réapparaissent selon les rafales de vent. Le soleil n’est pas encore là. Nous sommes à l’ombre de la forêt du Massacre.
J’essaie de respirer par le nez en fermant la bouche, pour ne pas brûler les poumons. Utopie. C’est impossible ! On s’arrête au dessus de la Darbella avant la descente sur le tunnel pour discuter de la prise de vue. La descente fait environ 1 kilomètre. C’est la première partie de plaisir de la Transju : 2 minutes à 40/50 km/h. Nous doublons les concurrents par paquets, mais ce n’est pas significatif. Nous sommes encore à l’arrière de la course, les skieurs sont moins bons techniquement et je pense que beaucoup ne savent pas farter. Le peloton est très dense et je viens buter sur d’autres skieurs, à l’attaque du tunnel de la Darbella.
Jean-Luc m’a bien suivi et on attaque ensemble la longue montée qui nous fera ensuite basculer sur Prémanon. Le rythme est lent et je me dis que c’est la première fois de toutes mes Transju que je ne souffre pas dans cette côte. Grâce peut-être à notre départ relax…
De nouveau, une descente plaisir sur le village de Prémanon. Et là, le soleil pointe son nez. Que du bonheur, je vous dis…
C’est le premier ravitaillement, celui auquel il ne faut pas s’arrêter, car ça permet de doubler un grand nombre de concurrents. Malheureusement, aujourd’hui mon bidon est gelé. Impossible d’en tirer la moindre gorgée, il y a un bloc de glace à l’intérieur. Par conséquent, il vaut mieux boire deux thés bouillants qui auront leur importance pour la suite. Je regarde mes voisins autour de moi. Tout le monde a l’air marqué par le froid.
« Ca va, Jean-Luc? »
« Impeccable, mais ça va vite dans les descentes ! »

Vers la montée de l’opticien
On sort de Prémanon par un raidard (NDLR : pente très raide), et on sent tout de suite que l’arrêt a fait du bien. Direction Les Rousses, par les montagnes russes du Bief de la Chaille. Jean-Luc, après avoir vainement essayé de remettre en marche la caméra toujours gelée, décide de ne plus insister. Je m’aperçois qu’il est vraiment très fort dans les bosses. On voit le cycliste bien entraîné. C’est en arrivant dans la plaine avant le fort des Rousses que nous commençons tous à comprendre ce que seront les conditions dans la plaine de Bois d’Amont : l’enfer. La piste disparaît par endroits sous la neige soufflée par le vent, la vitesse des skieurs diminue de moitié. On voit les têtes rentrées dans les épaules. Les bâtons se soulèvent sous l’effet du vent, ce qui casse la régularité du geste. Il va y avoir de l’abandon aujourd’hui. J’entends Jean-Luc se faire gronder (le mot est faible !) par un skieur à qui il vient de faire innocemment une queue de poisson en essayant de me coller. A l’entrée des Rousses, 1 concurrente remonte la file en slalomant ; c’est Corinne Niogret, médaillée olympique. Je la suis pendant 3 ou 4 minutes, mais le rythme est trop élevé. Oups, danger de surrégime ! Vite lever le pied…
Les Rousses, déjà 20 kilomètres d’effectués, pas vu le temps passer. Au ravitaillement, difficile d’approcher. J’entends un britannique qui essaie de se faire comprendre afin de trouver une voiture pour rallier Mouthe.


Pascal Bezin dans la Montée de l’Opticien aux Rousses avec le dossard 2045/ PHOTO © France TV

Du ravitaillement à la côte de l’opticien, ce sont des centaines de personnes sur plusieurs rangs avec les clarines et les cris d’encouragement : impression toujours aussi fantastique d’être un champion pendant quelques secondes. Au pied de la côte, nous nous arrêtons pour faire une prise de vue. Jean-Luc doit rejoindre comme prévu une des équipes de télévision installée derrière le public pour remettre sa cassette vidéo. Nous perdons encore beaucoup de temps pour retrouver un technicien et communiquer avec lui dans toute cette foule et ce bruit. Je finis par attendre mon coéquipier du jour au dessus de la côte, protégé du vent, bien au soleil en regardant les coureurs défiler. Je vois passer beaucoup de dossards dont les numéros tournent tous autour des 3000… ce qui veut dire qu’on est largement rattrapé par la vague suivante. Jean-Luc revenu, nous partons dans la descente sur le golf des Rousses.

L’enfer de la plaine…
Et là, la guerre commence, la guerre contre la bise. Des groupes se forment, mais la piste se remplit avec la dernière ligne du 50 km partie des Rousses quelques minutes avant. Il y en a partout. C’est compliqué de slalomer entre ces skieurs qui vont très doucement. Les groupes sont fortement ralentis par la neige froide « sucre en poudre » et un blizzard sibérien. La traversée Les Rousses – Bois d’Amont restera un grand moment. Je ne me souviens pas d’avoir connu de telles conditions en ski de fond. On ne parle plus de bise, mais de blizzard et même de blizzard sibérien. Je pense que tous les skieurs qui finiront cette Transju s’en souviendront toute leur vie.
Pendant cette longue traversée, toute cette horde de skieurs en rangs dispersés, résignés, frigorifiés, me fait irrésistiblement penser à la retraite de Russie des armées de Napoléon, mon livre de chevet actuel. Je me dis que s’ils ont connu des conditions pareilles, des jours durant, ce fut une tragédie épouvantable. En tout cas, je ne regrette pas d’avoir mis des lunettes en protection, moi qui n’en mets jamais.
Mais ce qui surprend le plus, c’est de voir des groupes de spectateurs ça et là, disséminés le long du parcours. Quelle ferveur et quel courage ! C’est sûrement pour combattre le froid qu’ils secouent aussi vigoureusement les clarines.
« Chapeau bas, Rousselands et Bois d’Amoniers ». Le Jura, c’est un environnement austère et difficile (c’est le moins qu’on puisse dire aujourd’hui !) qui oblige l’homme à se dépasser. En voici encore une preuve.

La grande étendue blanche continue de défiler. Même les rares épicéas ont l’air de souffrir, courbés sous la tempête. C’est du Jack London en live, le Grand Nord sans Croc Blanc.
« Ça va Jean-Luc ? »
Je sais qu’il est derrière et qu’il suit mon slalom entre les skieurs, à entendre les jurons de certains, lorsqu’il crayonne leurs skis.
« Je suis en train de me geler (à un endroit délicat) »
« Méfie-toi de pas la perdre, Jean-Luc, elle peut encore servir ».
Heureusement, on approche de Bois d’Amont, où on a la bonne surprise d’apprendre que la boucle de 8 km en Suisse a été annulée ce matin, pour des raisons de sécurité. Le blizzard recouvrait la trace en permanence. Merci l’organisation. Paradoxalement, je n’ai pas froid. En tout cas, je n’y pense pas. Penser à bien se ravitailler à Bois d’Amont est important, puisqu’on attaque directement la fameuse montée du Risoux. Le demi tour qui permet d’avoir la bise dans le dos est le bienvenu. Dès les premiers pourcentages, on retrouve également un soleil franc. Je laisse mon bidon à Charly, un ami retrouvé dans le début de la montée qui encourage les skieurs. Il n’aura pas dégelé depuis le départ. La montée est un véritable plaisir : soleil, bonne glisse, piste pas trop encombrée, rythme moyen qui nous permet malgré tout de continuer à doubler. Et, surprise ! Dans un virage, nous retrouvons Aude. La journaliste de France 3 est accompagnée de Marie-Aude et d’Andréa pour réaliser l’interview prévue sur le direct. Il est 11 heures précises. Je dois d’abord essayer de dégivrer la bouche pour pouvoir parler devant la caméra sans avoir l’air trop bête : compliqué ! En tout cas, ces sourires créent un intermède fort agréable.
Le Risoux, c’est mon jardin. Je me retrouve sur les pistes que je fréquente depuis 30 ans.


Pascal Bezin au ravitaillement de la Chapelle des bois / PHOTO © France TV

Risoux : Un sénateur dans la montée du Ministre
Le Risoux, c’est mon jardin. Je me retrouve sur les pistes que je fréquente depuis 30 ans. Je connais par cœur tous les virages et toutes les bosses et je me sens pousser des ailes. Saint Exupéry disait, dans la bouche du Petit Prince : « J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien et cependant, quelque chose rayonne en silence ».  C’est exactement ce que je ressens, presque chaque fois que je suis seul dans le Risoux. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui…
« A quelle heure doit-on être à Bellefontaine pour la prochaine interview Jean-Luc ? »
« Pas avant midi et demi. »
« C’est pas possible, on y sera au pire à midi ! »
Et voilà comment on se retrouve au ravitaillement des Ministres (le sommet du Risoux), bien tranquille au soleil, à l’abri de la bise, moi en train de bâfrer en blaguant avec mon vieux pote Bruno, et Jean-Luc essayant désespérément de joindre son coéquipier Matthias avec son téléphone portable. Après 20 minutes de repos forcé, le redémarrage est difficile. Encore un tout petit effort. Nous atteignons le point culminant de la course. Altitude 1400 mètres.
La grande descente du Chemin Blanc permet de voir quelques concurrents les pattes en l’air, puis c’est la petite remontée sur le ravitaillement de Bellefontaine. Celle là, je ne m’y ferai jamais. Un calvaire, et tous les ans c’est pareil. Le cœur redescend très bas dans la descente, et la relance violente ne lui permet pas de repartir correctement.
Nous enchaînons encore une interview avec Matthias, Andréa et Marie Aude, puis c’est la longue succession des creux et des bosses le long des lacs des Mortes. La bise reste soutenue, mais ça n’a rien à voir avec Bois d’Amont. Il n’y a plus de peloton. On double des concurrents isolés. On voit moins de spectateurs. C’est la partie monotone du parcours. Encore trois thés bouillants au ravitaillement de Chapelle des Bois. Peut être en ais-je bu plus de vingt déjà depuis le début de la course. Mais c’est vrai qu’avec les gants et les attaches bâtons, il en part déjà la moitié sur les chaussures. Les Rousses, Bois d’Amont, Bellefontaine, Chapelle des Bois : des noms pleins de vie ; pleins d’images, qui résonnent d’une consonance rustique, qui chantent dans l’oreille comme une litanie de Pagnol. Ça sent bon la forêt, ça sent bon le sapin, la résine que tous les Jurassiens ont déjà essayé de nettoyer pendant des heures en râlant.
On repart dans la si fameuse Combe des Cives, l’enfer du dévers, l’instant de vérité, le début de la fin pour certains. En tout cas, on se rapproche du bout, et ça a l’air d’aller plutôt bien pour Jean-Luc et moi.


Pascal Bezin & JL Gantner sur la Transjurassienne 2012/ PHOTO © France TV

Une aventure intérieure…
Reste la Célestine, la dernière grosse bosse, le dernier raidard, le Cauberg de la Transju. « Tout à gauche », comme on dit dans le jargon cycliste.
Nous doublons des concurrents arrêtés, un autre qui monte les skis à la main, la souffrance se sent, se voit, se devine. J’imagine ce que certains pensent : « Mais bon dieu, pourquoi je me suis lancé dans cette galère ? » Ou bien : « Dire que je pourrais être au lit avec 1 café, 2  croissants et ma blonde… »
Le dépassement de soi prend ici toute sa valeur. Chacun à sa propre histoire, vit sa propre aventure, qu’il racontera 100 fois dans les semaines suivantes. Certains, dans la tête, commence à osciller entre l’envie de tout arrêter et la volonté irrépressible d’aller jusqu’au bout. Curieuse dualité de l’esprit humain qui se nourrit de tout et son contraire, qui, dans le paroxysme, entretient la lutte entre la volonté exacerbée et le muscle épuisé. La lutte sera intense, mais la victoire sera souvent au bout. Ils iront même jusqu’à paraphraser Guillaumet : « Ce que j’ai fait, jamais aucune bête ne l’aurait fait. » Il s’était écrasé dans la Cordillère des Andes en avion et avait marché cinq jours. Il avait avoué que son ultime effort était juste pour que l’on puisse retrouver son corps afin que sa femme touche l’assurance vie.
Je vous l’avais bien dit : « Mais où va donc se nicher la motivation ? »
De toute façon, impossible de doubler. Nous sommes à la queue leu leu. La montée est finalement assez courte. On bascule directement sur le refuge de la Perruque et le ravitaillement du Pré Poncet. Nous prenons notre temps au ravitaillement, contents tous les deux de savourer cette belle journée qui va se terminer dans une heure. Cinq heures que nous skions ensembles, et nous sommes comme deux vieux amis, deux vieux complices, amusés par cette aventure, mi loisir, mi professionnelle. Nous sommes parfaitement au diapason, désireux de partager cette passion de l’effort, enthousiastes et volontaires. On prend même le temps de faire un petit cours de ski, sous le regard surpris de certains skieurs, qui n’ont, eux, même plus envie de parler (ou plus la force, ils se reconnaîtront).

Sur les traces de…. Woody Allen
Encore 12 km pour finir en dénivelé négatif, mais il reste les deux bosses du coté du Cernois, courtes mais raides. Invariablement, comme chaque année, elles me font penser à l’arête des Bosses dans la montée classique du Mont Blanc.
C’est le même combat, facile, mais rendu ardu par la durée de la course, par la fatigue qui commence largement à se faire sentir. Les derniers kilomètres qui imposent les ultimes  stigmates, qu’on appelle ici les crampes.

L’heure est venue de la descente sur Chaux Neuve, le fameux goulet, certainement ravagé par plus de 1000 passages. Trois ou quatre skieurs, bloqués en haut, attendent pour s’élancer. J’arrive à pleine vitesse en hurlant, évitant de justesse la canne d’une concurrente tétanisée. A mes yeux, ce goulet, il n’y a pas d’autres solutions que de le prendre en trace directe, en passant dans le bourrelet de poudreuse qui s’accumule sur l’extérieur. Dieu merci, personne en travers…
Jean-Luc arrive quelques secondes derrière moi au ravitaillement du tremplin de Chaux Neuve. Encore deux thés et on emprunte la piste ou l’Italien Pittin a fait bien des misères à Lamy-Chappuis quelques semaines auparavant.
Chaux-Neuve, Petite Chaux… Les kilomètres défilent, la conclusion approche. Les jambes ne sont pas lourdes, mais la lassitude s’est installée. Dans le Sentier des Pensées du Risoux, on peut lire : « L’éternité, c’est long, surtout sur la fin » (Woody Allen). La Transju, c’est pareil, surtout sur la fin.
Dans les quelques bosses qui restent, Jean-Luc me double facilement à la glisse. Avec ses vieux skis rayés et le fartage rapide que je lui ai fait hier, il me dépasse facilement, mais dépasse également tous les autres concurrents : « Si tes skis font des petits, tu m’en garderas une paire ».
La disparité est forte entre les rythmes des concurrents. Les uns, qui ont bien géré leur course, finissent comme des avions, d’autres au ralenti, luttent désespérément pour avancer. Et toujours une foule de spectateurs présente, alors qu’il est déjà 14 heures et que le froid est toujours aussi vif. Merci à eux.
Le ravitaillement de Petite Chaux brûlé, le parcours bifurque à droite, traverse un petit pont et repart dans la forêt au dessus de Mouthe. La surprise est totale.


Pascal Bezin & JL Gantner sur la ligne d’arrivée de la Transjurassienne/ PHOTO © France TV

L’arrivée à Mouthe
Jamais la Transju n’a emprunté ce parcours. J’ai l’impression d’être ce bachelier content de lui, à qui on dit « vous allez repasser l’épreuve des maths, on a perdu les copies ». Heureusement, la pente est douce. Mais la neige est pleine de gravillons. Les skis s’en souviendront.
C’est le dernier kilomètre. Devant moi, un skieur fait un vol plané, tout seul, dans une bordée de jurons. Fatigue, quand tu nous tiens…
Par contre, Jean-Luc m’étonne par la pêche qu’il a encore. Et dire qu’après la course, il doit encore reprendre la caméra, réaliser des interviews pour le journal télévisé du soir. Total respect…


Pascal Bezin interviewé sur la ligne d’arrivée de la Transju/ PHOTO © France TV

Passage de la ligne, la vingtième pour moi. Ambiance chaleureuse, sourire de Marie Aude et Andréa, interview de Matthias, difficultés pour enlever les skis, médaille autour du cou. On est venu pour ça, après tout. Jean-Luc et moi, nous nous offrons une accolade appuyée. Quelle étrange sensation que celle d’avoir fait la course sans la faire, en jouant l’acteur, le cameraman, l’intervieweur, l’interviewé. Manifestement, une complicité forte s’est installée entre nous, doublée d’une profonde estime. On s’est surpris tous les deux, entendus comme larrons en foire et pris du plaisir à skier ensemble toute la journée. Il n’y a que le sport pour lier de tels liens. On a parcouru cette Transju, comme on le fait à l’Envolée Nordique, en binômes, solidaires. On n’a jamais été éloigné de plus de 10 mètres l’un de l’autre.
Jean-Luc, on repart quand tu veux pour une autre aventure : la Vasaloppet, l’Himalaya, la Marmotte ou Paris-Brest-Paris, qui sait….
Le rideau tombe sur l’épreuve.

Le bilan est impressionnant : plusieurs centaines d’abandons, des gelures aux nez, aux yeux, aux doigts et autres. Pour ce qui nous concerne, 6 heures et 9 minutes, pas si mal que ça, avec tous ces arrêts, une place vers les 1250 et une quantité de grands souvenirs…
Pascal Bezin, 2012