« Une désolation nommée Paix, Teixcalaan-2 » d’Arkady Martine prend la suite du premier tome paru début 2021. À la suite de la lutte pour la succession, la guerre contre les aliens a été déclarée, aux frontières de l’empire, à un saut de puce de la station Lsel. Or cette guerre débute mal, l’ennemi est invisible et il décime escarmouche après escarmouche, les vaisseaux légers, les « Échardes », de l’armée Teixcalaanlitzim.
Une nouvelle impératrice, Dix-neuf Herminette occupe le trône. Elle a aussi pris sous son aile le rejeton de l’ancien empereur, son « clone à 90 % », Huit Antidote, qui se révèle un garçon fragile et curieux qui arpente les couloirs des ministères et des souterrains du palais en guise de terrain de jeu.
Non loin de la zone de conflit, Mahit Dzmare, l’ambassadrice auprès de Teixcalaan, a rejoint Lsel – sa station natale – où elle subit les foudres des factions politiques rivales. Amnardbat, la responsable qui avait endommagé son imago – la copie du cerveau de l’ancien ambassadeur – ignore que Mahit a récupéré à Teixcalaan la copie non détériorée, et mise à jour, sur le cadavre de l’ambassadeur. Consciente que l’initiative politique lui a échappé, Amnardbat exige que Mahit se soumette à un contrôle et qu’elle s’étende sur une table d’opération, afin de récupérer l’imago soupçonnée, au risque qu’un « accident » ait raison de cette envoyée trop admirative de Teixcalaan.
L’idée féconde du récit vient de Neuf Hibiscus, la commandante des légions. Alors que le conflit fait rage et que les aliens prennent l’avantage, elle court-circuite le ministère de la guerre pour faire appel à celui de l’information, plus proche de l’impératrice, où officie Trois Posidonie, l’amie de Mahit Dzmare.
Talleyrand disait : « Méfiez-vous du premier geste, c’est le bon. » La première décision de Trois Posidonie consiste à s’autodésigner émissaire impériale et à se rendre en personne dans la flotte Teixcalaanlitzim. Passant par la station Lsel, elle réclame l’assistance de l’ambassadrice, dont le talent pour les langues étrangères est reconnu et l’extirpe des griffes de ceux qui voulaient la charcuter.
Le motif officiel : à elles deux, elles tenteront une médiation avant que le conflit ne dégénère. Le motif officieux, inavouable, est l’histoire d’amour que les deux jeunes femmes ont nouée…
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Au niveau du sens règne cette belle idée que l’émotion/l’instinct/l’intuition – choisissez le concept qui vous convient –, le sentiment de l’immédiat est un guide plus sûr et moins menteur que la raison que politiques et officiers brandissent avec force cris et insultes pour réduire au silence cette étrangère et cette émissaire, une espionne « qui ne connaît rien à la guerre » (« La barbouze et son toutou »).
En toute logique, les officiers développent des démonstrations pleines d’une logique implacable, mais faussées par des argumentaires « byzantins », pour ne pas dire entachés d’une vision politique étroite, sectaire visant juste à assouvir leur idéologie.
Cette thématique plonge « Une désolation nommée paix » au cœur de notre actualité, où des personnages arc-boutés sur leur idéologie pervertissent la raison, multiplient les boucs émissaires et clivent les êtres, plutôt que de se vouer à ce qui rassemble, à cette paix qui, pour advenir, se doit de considérer l’autre comme un égal respectable.
À l’inverse, les sentiments, pour suspects qu’ils soient, car ils sont du domaine de l’irréflexion, vont se révéler un ciment solide : ce qui réunit les êtres est aussi ce qui permet à une communauté de s’unir, et de commencer à réfléchir. Trois Posidonie, l’émissaire impériale et Mahit, la Barbare, perturbent l’ordre figé des militaires et des factions. Leur intelligence commune se révèle inventive et elle ouvre les bases d’une rencontre avec les aliens, alors que le conflit dégénère au détriment de Teixcalaan dont les Échardes sont dissoutes par une matière qui semble dévorer les vaisseaux…
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J’ai pris un plaisir renouvelé avec ce second opus de Teixcalaan. Si la trame de découverte de l’empire est moins riche, l’approche de ces aliens nous amène à appréhender ce concept curieux : l’étrangeté. Cette curiosité du monde, et le développement sentimental sont des guides pleins de verve, d’humour et aussi un facteur de réflexion sur la différence, le gâchis du repli sur soi et l’art de voir — ou de dialoguer – avec l’autre, qu’il soit un alien, ou un dirigeant hanté par le désir de tout réduire en poussière à l’aide d’une bombe…
Bernard Henninger