01 Mar

« La Part du Loup » un nouveau polar de William Carvault, par Luc Fori

La Part du Loup est le dernier opus des aventures de William Carvault, la grande saga de Luc Fori, tout juste paru dans la collection Black Berry à La Bouinotte.

Voici un opus qui sort des chemins rebattus de l’enquête, et c’est un bonheur réjouissant que de baguenauder en compagnie de William Carvault, de sa compagne, la commissaire Heike et de Jan, leur petit garçon. L’histoire commence avec son pote Roger (on dit Rodgeur) qui débarque de Belgique où il avait migré dans le précédent opus pour lier son destin à l’opulente Leslie. Inquiet pour une santé qu’il a malmenée, Rodgeur désire réaliser un Ketch’Up à l’hôpital de Bourges…

En vérité, j’ai sauté le début : de furieux faits divers se percutent dès les premières pages sans que le fil qui les relie ne soit visible : un chasseur kidnappe un loup dans une meute du Mercantour ; dans son grenier, William tombe sur les carnets du précédent locataire (un homme qu’il a aidé à fuir à l’étranger en toute impunité) et ces carnets font de lui, au choix, un écrivain sadique et torturé, ou un tueur en série méthodique, générant chez William des questions et une trouble culpabilité ; et Mickey, un zonard, tue un rhinocéros dans un célèbre zoo parce qu’un chinois payera une fortune pour sa corne, or ce chinois finit massacré dans un étang de Sologne…

Je n’en dis pas plus… les enquêtes vont commencer et les coups de théâtre rebondissent et se cognent les uns aux autres. De jeux de mots en réflexions gouailleuses, Luc Fori vagabonde dans les bois et les étangs de Sologne : il ne reste qu’à suivre ses déambulations souvent rêveuses, avec sa petite famille, dans ces fourrés où se multiplient les rebondissements, entre poudre de rhinocéros, tueur sadique, chasseurs compulsifs et ce loup qui attend son heure…
c’est-à-dire la vôtre.

Bernard Henninger

02 Jan

« Lire au Centre » vous souhaite pour 2020 de belles lectures

Lire au Centre ouvre sa troisième année de chroniques, de romans, de témoignages et de livres d’histoire et je voulais remercier les auteurs et les éditeurs de la confiance qu’ils ont bien voulu me témoigner… et si une magicienne me donnait le pouvoir de faire trois vœux, je dirais : lisez plus, lisez mieux, lisez comme un fleuve emporte une crue !

Meilleurs vœux 2020 aux auteurs, aux éditeurs, aux lecteurs et à tous les autres.

« Les livres ouvrent des voies pour mieux comprendre le monde… » Souvent l’information nous surcharge de nouvelles, où l’accumulation et la répétition finissent par nous étouffer sous une masses de faits mis bout à bout sans discernement. Trop d’informations et aucune de pertinente, souvent.

Mieux qu’un maître-à-penser, la fiction — et l’imaginaire plus que tout autre — nous propose, quand elle est réussie, une piste de réflexion singulière, et à un certain point de lecture, nous nous disons : « Tiens ! Cet auteur me parle de… » sans que cela soit explicite, ni surchargé ou cadenassé par une sur-interprétation : quelques pas légers où la distraction arrive à nous prendre au sérieux et nous glisse que l’essentiel est souvent ailleurs… Là où l’information est débordée par une communication qui s’essaie à noyer les poissons — c’est-à-dire-nous —, le roman est une distraction qui ouvre des pistes sur le monde… C’est dire si nous avons besoin de littérature.

Bernard Henninger

27 Déc

« Balade en Vallée noire » célèbre l’invention d’un pays par George Sand

Les éditions La Bouinotte nous proposent avec « Balade en Vallée noire » un album évoquant la fantastique Vallée Noire, région imaginaire, devenue terroir véritable…

Cette admirable région que nous avons le bonheur d’habiter, ce n’en est pas moins après un examen raisonné que j’ai fait, de ce coin du Berry, un point particulier ayant sa physionomie, ses usages, son costume, sa langue, ses mœurs et ses traditions. Je pensais devoir garder pour moi-même cette découverte innocente. Il me plaisait seulement de ramener l’action de mes romans dans ce cadre de prédilection. Mais puisqu’on veut que la Vallée-Noire n’existe que dans ma cervelle… George Sand

C’est le privilège d’une grande dame, que d’être capable de passer la Géographie au crible de son regard : la Vallée Noire aurait donc Nohant, comme centre. Si vous tracez une ligne qui, partie d’Ardentes, gagne Chateaumeillant, Saint-Priest La Marche et les sources de l’Indre, Aigurande, Eguzon, Cluis et Neuvy-Saint-Sépulchre, vous êtes dans la vallée Noire, qui se calque sans peine sur la haute vallée de l’Indre.

Aujourd’hui, plus de paysans madré prétendant donner leçon à l’écrivain, juste la fantaisie de George Sand, son humour et son intelligence qui lui ont fait créer une Comté, qui n’existe que dans son œuvre. Théâtre du sabbat des sorcières, apparitions fantastiques, paysans sortis d’une toile de Millet, luttes entre créatures fantastiques issues du folklore et courageux berrychons, impossibilité de la raison à circonscrire la géographique fantastique… Deux cents ans plus tard, la fantaisie de George Sand a su si bien se fondre dans le paysage que c’est la Vallée Noire tout entière qui, remodelée à son image, de carte devint territoire…

Les éditions La Bouinotte se sont attachées à l’illustrer avec ce beau livre, avec les photos d’Yvan Bernaer et les textes de Gérard Guillaume. Le format horizontal, « à l’italienne », permet de feuilleter l’album, avec la flemme du flâneur, de se promener dans le Berry, bien au chaud dans un fauteuil, il serait dommage de passer à côté de ce plaisir hivernal…

Bernard Henninger

21 Déc

Ma vie de femme de garde-chasse, un témoignage émouvant

Les éditions LA BOUINOTTE publient un témoignage étonnant, un court opuscule intitulé : « Ma vie de femme de garde-chasse »

Issu d’une rencontre entre l’anthropologue Geneviève Bédoucha et l’autrice, Bernadette Aucuy, son récit ressemble à une idée saisie au vol, et Geneviève Bédoucha avoue sa surprise le jour où Bernadette Aucuy lui donna à lire son cahier… Nous sommes ici devant un témoignage, dont la vigueur sans détour nous touche : la vie dans une maison au milieu des bois, loin du village, où la maladie d’un enfant est un problème complexe, quitter la maison, marcher plusieurs kilomètres pour trouver un téléphone et revenir, l’angoisse au ventre, la pudeur aussi…

Si l’autrice professe une tendresse pour les chevreuils qui sont comme des voisins quand ils viennent brouter l’herbe dans la prairie attenante, les élevages de faisans dont s’occupe son mari, elle raconte son peu de goût pour les chasses, et surtout son quotidien, l’eau à puiser au puits, l’effort à fournir pour remonter un litre d’eau, et ce qu’il fallait pour une lessive… Comment leur premier propriétaire, monsieur le Comte, leur amena l’eau courante.

Et aussi les différents propriétaires qu’elle a subis…

Le style de l’autrice n’a visiblement pas été retouché, et c’est une qualité, car une langue « gourmée » aurait affadi le propos, nous lisons ce que B. Aucuy a écrit, avec sa ponctuation, sa syntaxe… un style directement inspiré d’une parole retranscrite : la franchise sans détour du propos donne de la profondeur à son expression, nous lisons aussi ce qu’elle ne dit pas et on s’émerveille de la fraîcheur du ton, racontant sans détour sa solitude, l’ennui, et sa timidité.

Un témoignage précieux sur les grands domaines solognots et sur une époque où une épouse sans métier ne recevait guère de considération. Très touchant, et à recommander avec chaleur pour une soirée d’hiver !

Bernard Henninger

01 Nov

La Messagère de l’espoir : la seconde guerre mondiale vue de la Creuse

La Messagère de l’espoir, le nouveau roman de Jeanine Berducat est dédié à ses grands-parents. Évocation sensible du climat qui régnait en France, en 1944, entre Libération tant espérée et massacres perpétrés par les miliciens et les nazis…

La Messagère de l’espoir est la dernière parution de Jeanine Berducat : il s’agit d’une évocation historique de la fin de la seconde guerre mondiale, vue depuis la vallée de la Creuse, depuis le village de Cuzion… et du barrage d’Eguzon, nœud stratégique, car il alimentait en électricité le Nord de la France et il était gardé par une garnison d’occupants allemands.

Si on se souvient que c’est dans ce climat incertain, violent, où se multipliaient traîtrises, dénonciations et actes de courage, de résistance à l’occupation allemande (effective depuis 1942) qu’ont été forgées les fondamentaux du monde moderne, les échos de ce temps passé nous parlent encore…

Le roman commence en juin 1944, à Cuzion, en plein conseil municipal : paradoxe, la dernière figure de l’état est (le parallèle avec l’actualité récente est frappant) le conseil municipal, ersatz de démocratie ! Quand rien ne va plus, le maire et le conseil municipal semblent être les dernières instances capables d’incarner la démocratie, une démocratie concrète, fort peu idéale, mais reconnue… Le Dr Jansen lance un appel pour deux petites filles envoyées par la Croix Rouge pour lesquelles il cherche un foyer d’accueil. Le silence qui suit sa demande est éloquent.

Ici comme partout règne un climat de guerre civile : absence d’autorité, une résistance qui s’organise autour de petits maquis, et à Cuzion, les Français se partagent entre résignés, passifs, et les rares actifs, comme Marie qui accepte de servir de messagère entre la résistance et le maquis, où elle tombe amoureuse de Boris, un Russe au parcours héroïque…

Le Dr Jansen poursuit sa quête dans la village, au marché, au café de Cuzion… Alors que tous les villageois se défilent, c’est un immigré, Igor, un Russe chassé par la révolution de 1917, qui accepte d’accueillir les deux petites, avec son épouse…

La chronique se déroule, alternant les points de vue, résistants, conseillers municipaux, jeunes femmes qui font le lien entre le monde caché du maquis et la vie au grand jour, bardée d’interdits, marquée par la répression avec la milice qui fait régner la terreur.

Le silence est la règle, car, hormis le mouchard que tous connaissent, nul ne sait ce que fait son voisin…

Nous retrouvons la thématique chère au cœur de l’écrivain sur l’opposition entre vie moderne et une campagne qui a déjà commencé sa désertification, mais replacée dans le contexte de la guerre. Le style est attachant et les relations humaines décrites avec cœur, les pages défilent sous nos doigts sans peine…

Bernard Henninger