Les éditions Corsaire poursuivent leur travail d’investigation historique avec le récit détaillé et documenté des deux premiers « fusillés pour l’exemple » des mutineries de 1917, Émile Buat et René-Louis Brunet, reconstitué par l’historien Georges Joumas :
En 1914, quand l’Allemagne déclare la guerre, des générations de français espèrent ce conflit depuis 44 années. Du moins les plus nationalistes : pour eux, la guerre sera une une promenade festive…
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69325713
L’historien Georges Joumas, historien, nous conduit dans les pas de deux appelés que rien ne distinguait a priori. Quelques broutilles de jeunesse, des condamnations sans gravité. Pourtant, au jour dit, elles joueront leur rôle, puisqu’il y aura une justice et un procès où toutes les apparences seront respectées.
Émile Buat, Marnais, et René-Louis Brunet, Loirétain, se retrouvent chacun dans des BCP : Bataillons de chasseurs à pied. Bataille de la Marne, bataille des Ardennes, bataille de la Somme, siège de Verdun… À chacune, les Chasseurs à Pied évoluent en position de corps francs, en avant des régiments d’infanterie, très exposés. Sur des unités comptant près de 1500 hommes, il y a autant de pertes en un an.
Émile Buat, voit des centaines de compatriotes mourir dans des conditions atroces. S’il survit à la plupart des combats, il ne se distingue ni plus ni moins qu’autrui. Parcours similaire, pour René-Louis Brunet, de la Ferté Saint-Aubin, qui se signale par un exploit : l’arrestation de 80 prisonniers qui lui vaut la « Croix de guerre avec l’étoile de Vermeil ».
En 1917, tous deux – sans se connaître – sont au Chemin des Dames : offensive menée par le général Nivelle. Les pertes sont considérables : environ 200 000 hommes côté Français, plus côté Allemand (300 000 ?). Des unités refusent de monter au front. Alors qu’on les emmène loin du front, leur passage, chantant l’Internationale, déclenche l’effervescence dans le groupe de Chasseurs : tract, réunion, où Émile Buat et René-Louis Brunet prennent parole (les témoignages concordent).
En réponse, ils s’exposent à une haine radicale des officiers dont l’un proclame : « Nous sommes tous décidés à brûler la cervelle au premier qui bronchera… ». Autant souligner, perspective historique pas inutile, que pour ces 200 000 morts, le général Nivelle sera muté à Alger… À l’opposé, ces soldats refusant la logique sacrificielle vont être l’objet de la vindicte du Commandement. Quel est leur crime ? Une prise de parole. Pour les nationalistes, la colère des soldats aurait été une bénédiction : rien de plus facile que de retourner une émotion soudaine et irréfléchie.
À l’inverse, la prise de parole suppose un recul, une pensée objective, dédouanée de la colère. La prise de parole, comme à la guerre, c’est la prise d’une position. Donc, au sein d’une armée déconfite, c’est un crime.
Fondé sur une enquête soigneusement documentée, le récit de Georges Joumas se lit en même temps avec passion. Il y a du tragique et la minutie de l’historien éclaire crûment l’injustice d’un Haut Commandement obsédé par des motifs nationalistes. Toutefois, contrairement aux cours martiales qui ont présidé jusqu’ici, Émile Buat et René-Louis bénéficient d’un procès et sont condamnés en bonne et due forme. Le livre démonte ce processus avec doigté.
En post-face, si Antoine Prost émet des doutes sur la possibilité d’une réhabilitation historique, on peut regretter son peu d’empathie pour la prise de parole, symbole de liberté.
Si le nom de René-Louis Brunet ne figure sur aucun monument aux morts, le maire d’Arzillières, prit sur lui d’inscrire sur le monument des « Morts pour la France » le nom d’Émile Buat… Prenez le temps des courtes journées hivernales pour découvrir ces actes qui forment le socle des injustices de notre Histoire de France, et qui nous donnent aussi de quoi réfléchir sur les mœurs modernes…
Bernard Henninger