11 Oct

« Au-devant de Maurice Genevoix », présentation du livre de Jacques Tassin

« Au-devant de Maurice Genevoix » de Jacques Tassin est une invitation à goûter et à réfléchir l’œuvre de Maurice Genevoix : à la lire, à la contempler dans le miroir de la nature et en regard du traumatisme de 1914-1918.

Jacques Tassin est la preuve que science, écologie et poésie peuvent faire bon ménage sans céder aux tentations de la magie, mais en se pénétrant des mystères : car si science il y a, c’est parce qu’il y a plus de mystères, de questions, que de réponses et qu’une science bien comprise gagne à s’imprégner de sensibilité et de poésie.

De par sa profession, Jacques est écologue, spécialiste des forêts tropicales. On lui doit des ouvrages sérieux, par exemple : « La Grande invasion : qui a peur des espèces invasives ? », puis, plus récemment des réflexions sur l’organisation des espèces, où une vision du monde cohérente n’empêche pas de s’aventurer sur des sentiers poétiques, voici un extrait de son passage dans la Grande librairie à propos de son livre paru en 2018 : « Penser comme un arbre ».

Interview de Jacques Tassin (JT) par François BUSNEL (FB) : (extrait)

François Busnel : Ça voudrait dire que l’arbre pense, mais l’arbre n’a pas de cerveau ? Comment penserions-nous alors ?

Jacques Tassin : Pas penser comme pensent les arbres, mais penser de la manière dont les arbres sont au monde, je pense, il y a beaucoup à s’inspirer de cette manière, dont les arbres sont formidablement présents, c’est extraordinaire, interactifs, formidablement partenariaux, avec cette souplesse, cette capacité d’ajustement, ils prennent leur temps, ils sont dans la sobriété, enfin, ils ont plein de qualités dont nous rêvons. Sans en faire des modèles, il ne s’agit pas de ça, si on commence à en faire des modèles, c’est un petit peu dangereux…

FB : Est-ce qu’on ne tombe pas un petit peu dans une espèce d’anthorpomorphisme, où on met l’homme au milieu de tout ?

JT : Surtout pas. Ce n’est pas ce que je suis en train de vous dire, c’est-à-dire retrouver notre alliance… Les arbres nous ont construits, il faut refaire ce chemin dont nous nous sommes éloignés par notre intellect qui a souvent mis la sensibilité aux oubliettes parce que c’était vu comme un obstacle… Je pense que maintenant il faut boucler la boucle, il faut retrouver un fonctionnement avec notre intellect qu’il ne faut surtout pas jeter, avec les connaissances de la science qu’il ne faut surtout pas jeter, mais dont il faut se servir en même temps que notre sensibilité

Donc de la science qui se métisse de sensibilité, de poésie. En matière de littérature, le rôle d’un maître consiste souvent à nous montrer un chemin que nous n’osions pas prendre et de nous proposer avec simplicité, presque familiarité, de les suivre à notre tour.

Contrairement à cette sotte idée reçue, l’admiration n’est pas un aveuglement fervent, pour l’un des grands auteurs de notre région, Maurice Genevoix, par exemple, mais une source de réflexion, de questions, et en l’espèce nous ne choisissons pas nos admirations, mais nous recevons tant de leurs livres, de leur pensée, ils nous aident si souvent qu’on se doit bien un jour de le rendre comme on peut, un quelque chose.

Donc se pencher sur une œuvre admirable, ne peut être qu’un exercice vivifiant pour l’esprit et la pensée. En l’occurrence, Jacques Tassin se penche ici sur l’œuvre testamentaire, Un jour, paru en 1976, quatre ans avant sa mort de Maurice Genevoix.

Reprenant les lieux où Maurice Genevoix aimait à s’aventurer, Jacques Tassin explore, jusqu’à découvrir un étang qui fut un des lieux favoris de Genevoix, et met ses pas dans les traces jusqu’à la découverte d’un lieu empli de mystères : l’étang des cyprès chauves.

L’immersion passe par la médiation, l’intercession, d’un rouge-gorge : « Du haut d’un bouleau où s’accrochaient encore quelques feuilles jaunies, la mélancolie d’un rouge-gorge se détacha, claire et sonnante. Je m’arrêtai un instant pour l’écouter. Les notes filaient dans l’air en nappes successives. Elles se répandaient au travers des houppiers, puis, comme soudainement propulsées, pleinement libres, traversaient allègrement l’étang. » (citation, page 12)

Dans une clairière où affleurent une profusion de protubérances de bois, de dures racines aériennes, évoquant l’image des champs de 14, semés de cadavres qu’il fallait piétiner, sans regarder les mains qui sortaient du sol, apparaît une ombre : Jacques Tassin entreprend alors de l’interroger, sur son œuvre, son rapport à la nature, cette idée de l’acceptation de soi et du monde… et d’organiser une rencontre imaginaire avec l’immense Maurice Genevoix.

Le livre est court, mais imprégné de pensées, de réflexions, il parcourt librement l’œuvre et la vie de Maurice Genevoix, au travers de trois chapitres dont les titres sont évocateurs :

  • Mondes sensibles
  • Temps vaincus
  • Présence vivante

Cent vingt-huit pages d’émerveillement que le lecteur curieux de mieux aborder un écrivain de l’importance de Maurice Genevoix, même – et surtout – pour des lecteurs nés à une toute autre époque, et qui découvrent que leurs interrogations excèdent l’époque qui les a vues se formuler : l’immersion dans la nature, la recherche du sens et d’une poésie qui n’exclut pas le mystère, le besoin de surmonter les horreurs et la recherche d’harmonies… des thèmes qui ont hanté Maurice Genevoix toute sa vie et dont son œuvre témoigne avec force.

Une lecture qui exige du lecteur attention, sensibilité, qui n’est pas peut-être immédiate, mais qui fournira d’intenses moments de bonheur et de littérature au curieux qui en suivra les chemins, les tours, les détours, peuplés d’arbres et de questions…

Bernard Henninger

 

20 Sep

Orléans : nouveau numéro du Cacograph, la revue de poésie et d’humour

Le dernier numéro du cacograph #39 est paru et en ces temps de records, la chaleur s’est invitée comme thème caniculaire…

Revue orléanaise, de poésie et d’humour, le cacograph se retrouve en librairie et aussi sur la toile. Constitué de deux grandes feuilles au format A3 (42 x 29.7 cm), le Cacograph se plie en six, s’imbrique pour donner un livret carré qui a l’air petit, mais qui cache bien une multitude de textes et de dessins. Quelque part, LE UN est son grand frère, et lui le petit potache.

Les textes n’ont d’autre souci que de vous faire vous désopiler. Dessins, poèmes, épigrammes, blagues, pastiches et jeux de mots, tout est mis en œuvre pour vous dérider. Précision, le Cacograph se lit aussi bien à l’envers qu’à l’endroit…

C’est également, au détour d’une page, les « Histoires de bouilloire et de frigo » :
« De sang froid un soir                               
   De canicule, Bouilloire et
   Frigo s’entretiturent »
   […]
   Il réclame sa chaleur,
   Elle ricane froidement
   Il déclame son ardeur,
   Elle suffoque séchement
   Il proclame
   L’effervescence,
   Elle siffle l’évanescence.
st

Cette revue bien pensée, plaisamment conçue, se lit à toute heure, le temps d’un trajet en tram, ou pour éclairer une fin d’après-midi désenchantée, le Cacograph #39 comme remède au pot-au-noir, aux dimanches qui n’en finissent pas, le temps de sourire et de découvrir les facettes de son humanité. On le trouve dans les bons kiosques, les librairies et sur sa page dédiée. Dépliez le Cacograph !

Bernard Henninger

 

 

16 Août

« Helstrid », un monde où survivre (Christian Léourier)

Une nouvelle remarquable, de Christian Léourier : exploité pour ses richesses minières, Helstrid est un monde inhospitalier. Un convoi constitué de trois véhicules intelligents, et d’un humain, quitte la base. Que se passera-t-il si une tempête se déclenche ?

La réponse pourrait aller de soi. Possédant une intelligence autonome, les véhicules ont été conçus pour Helstrid, et ils sont programmés pour protéger la vie humaine. Mission dont chaque robot s’acquitte avec une intransigeance pointilleuse. Au moment de passer de la base à son véhicule, l’humain – Vic – doit patienter, le temps qu’un robot effectue la check-list des vérifications de sa combinaison et ce temps excède de beaucoup le temps de traverser la cour. Bien qu’il soit pris avec le sourire, ce retard est un indice d’un climat angoissant.

Vic pourrait être le capitaine de l’expédition, or il apparaît qu’il est lui-même aux ordres, et qu’il ne possède aucune autonomie. De plus, il souffre d’une dépression passagère : sa dernière aventure amoureuse, s’est achevée avec le départ inexpliqué de sa compagne, Maï, or Vic est en mal de compagnie, et sa venue sur Helstrid semble avoir surtout répondu à un coup de tête.

Comme la vie est une source de dangers en cascade sur Helstrid, Vic se plie sans rechigner à ces contraintes sécuritaires qui semblent l’unique souci des robots et des instructions qui leur ont été données… et d’ailleurs, il ne se conçoit pas autrement que comme un exécutant, aussi consciencieux que fidèle.

L’entité dans laquelle il prend ses quartiers, se présente spontanément à lui, sous un nom féminin : Anne-Marie (pour A), les autres s’appelant Béatrice et Claudine… Dès qu’apparaît un risque de tempête, une lutte pour la domination s’instille sournoisement entre eux : Anne-Marie est censée obéir, mais elle a souvent le dessus, en alléguant son désir de servir, et protéger l’humain dont elle a « charge ». D’ailleurs, comme si elle avait analysé le besoin de sociabilité de son passager, elle lui rappelle que son nom n’a été choisi que pour apaiser l’angoissant besoin de sentiments des Humains. Pour communiquer entre véhicules, Anne-Marie n’a besoin que de matricules. Au fur et à mesure de la montée des périls, les rapports se tendent. Vic désire participer à la bonne conduite de leur mission, et Anne-Marie s’oppose à la moindre proposition : certaine de « maîtriser la situation », elle lui assure qu’elle n’a pas besoin de ses services.

Se mêle, en arrière-plan, le besoin de sentiments de Vic, qui ne se remet guère de la perte de Maï et qui tente de nouer un dialogue aimable avec ce robot qui a pris des attributs féminins : essentiellement sa voix. Mais la séduction est un leurre, et Vic tombe dans le piège de cette voix qui prétend le rassurer…

Le récit peut être abordé sous plusieurs facettes : le rapport de l’homme et la machine devient complexe du fait que les robots, entraînés à faire respecter des consignes sécuritaires extrêmes, imposent des restrictions et ne transigent sur aucun point.
Mais est-on bien sur une planète si étrange ? Le climat d’Helstrid n’entretient-il pas des similitudes avec une modernité obsédée par les angoisses sécuritaires, où une police pointilleuse multiplie les barrières, les contrôles de routine, les vérifications, et les fouilles corporelles en raison d’une volonté absolutiste de sécurité ?
Pour la génération des années cinquante, les lois d’Asimov imposaient aux robots de donner priorité à la sauvegarde de la vie Humaine. Cet impératif toutefois cédait le pas à une cohabitation ouvrière et industrieuse entre hommes et machines intelligentes visant à réaliser un objectif partagé.
Ici, c’est maintenant. En matière de sécurité, les robots n’obéissent pas ou peu, aux humains. Les rares fois, où, les ennuis croissant, Vic tente une sortie, ce sera contre la volonté d’Anne-Marie, qui le laissera faire et ne manquera pas de lui faire la morale pour n’avoir pas écouté ses ordres « conseils ».

En avant, les véhicules B et C, n’ayant pas charge humaine, continuent leur route vaillamment, peu gênés dans leur course par le déchaînement des éléments.

En arrière, Anne-Marie qui adopte un ton de plus en plus impératif, a réponse à tout : elle explique à Vic que la présence d’un humain la gêne, la retarde, mais qu’elle applique les instructions. Elle dévie donc de sa route, en assurant à Vic qu’elle fait cela pour lui, l’humain, au seul motif de sa sécurité.

Elle n’autorise à Vic aucune initiative. Mais Anne-Marie est-elle bien un robot ?  À bien des égards, elle n’est pas sans me faire penser à certains jeunes adultes que je croise quotidiennement : imbus, pénétrés de leur supériorité et fermés à l’échange. Ils pensent que tout irait pour le mieux si tout un chacun se contentait de les imiter.

Et ce qui se joue, est-ce bien un conflit homme-robot autour d’une sécurité qui va se montrer aussi fiable qu’une tartine pour résister au passage de la confiture ? Ou n’est-ce pas le fait qu’un robot n’est que la production d’êtres qui l’ont éduqué « configuré » ?

N’est-ce pas aussi la nécessité de se réfléchir en tant cheville ouvrière d’un tout, et non pas en tant qu’entité « auto-imbue » ?

Jamais Anne-Marie ne semble penser que Vic puisse participer de la solution à son problème. Pour le noyau noétique, Vic n’est qu’une charge (comme ces PDG qui se plaignent de leurs charges) et là où une coordination des individus – et une vision de la société –, serait capable de sauver le monde, le sécuritarisme se révèle le danger le plus terrifiant qui soit pour l’humain… La sécurité isole, elle sépare, elle déresponsabilise, elle est une tombe pour la pensée alors qu’une vision de groupe, une coopération, seraient seules capables d’offrir – peut-être – une solution au dilemme… Que pourra faire Vic pour échapper à l’étreinte fatale de cette entité prétendant à le déposséder de lui-même ?

C’est toute la force de la Science-fiction que l’auteur, Christian Léourier, condense dans ce court récit, car elle seule est capable – avec une telle force émotive – de raconter l’ailleurs pour mieux pointer sur le présent un regard précis mais tendre.

Bernard Henninger

Copyright : portrait de Christian Léourier à la convention de science-fiction d’Amiens en 2014 (B. Henninger)

29 Juil

« Vade retro Satanas », un polar Berruyer plein de verve

Vade Retro Satanas (chez Pavillon Noir) est le quatrième roman de Luc Fori. Amoureux de langage et de jeux de mots, il nous propose de cheminer avec son héros récurrent, William Carvault, flic atypique, viré de la police, reconverti dans l’immobilier malgré lui et en manque d’enquêtes…

Plein de verve, le récit baguenaude, mêlant observations des dérives de notre époque, tentative de mise à distance par l’humour, et les amours contrariées de Will et de Heike, sa compagne, commissaire de police et jeune maman… À la suite de son accouchement, irritée par l’attitude jalouse de Will et pour tout dire, par son complet dénuement en matière de paternité, Heike l’a mis à la porte… de sa propre maison. Pour l’heure, tout à sa colère, Will se proclame heureux. Revendiquant les vertus du célibat, il célèbre ses retrouvailles avec les vins régionaux, et avec son pote Roger (« Rodgeur » recommande Luc Fori), lui aussi abandonné par sa compagne, nettement dépressif et capable de violences…

Au commissariat, Heike visionne une vidéo postée sur Internet par un individu caché qui s’est filmé alors qu’il commettait un meurtre atroce. Quand Will arrive pour leur rendez-vous, Heike l’entraîne sur une scène de meurtre en tous points identique : dans une chambre d’hôtel, une jeune femme a été dénudée, son corps a été décapité et positionné dans une attitude hiératique. La tête gît, à part. Détail morbide : le visage a été maquillé.

Retrouvant sa maison, Will reçoit la visite d’un jeune voisin, Youssef, qui l’invite chez lui. Il lui présente sa compagne, Djamila. Ceux-ci font appel à son bon cœur pour se mettre en quête du petit-frère de Djamila, Mourad, soudainement disparu. Sans l’avouer à voix haute, Will pense immédiatement au pire : la France est le territoire qui a fourni la plus grande partie des candidats salafistes au Djihad. Bientôt, une photo vient confirmer ses craintes : Mourad et un ami au visage recouvert d’un turban, posent, un fusil-mitrailleur en main. La rigidité de son père, Farid, et la présence dans son entourage de Salafistes trop fraîchement convertis ne font qu’accroître ses craintes. Avec son ami Roger (« Rodgeur »), Will se lance sur une piste qui les mène à Bruxelles dans un quartier tenu par les Djihadistes…

Arrivé à ce point, l’enquête pourrait s’emballer, mais l’auteur nous convie à la suite de Will, et de ses sentiments toujours renaissants pour son ex- (à qui il manque également) à intercaler humour et distance dans la narration. Entre acception de la paternité, et son exercice, s’intercalent des remarques sur une époque dont la violence stupéfie autant qu’elle interroge. L’intrigue nous ballotte d’un bord à l’autre, la terreur n’est pas loin, d’autres victimes décapitées interviennent dans un climat inquiétant, toutefois Will professe un désir indéfectible de regarder le monde avec une certaine distance… empreinte d’une philosophie du quotidien, d’une assez bonne connaissance du sujet et d’un humour qui ne manque jamais de prendre place :

Quand, par exemple, Farid reproche aux militants Salafistes de commettre des fautes d’orthographe dans leurs citations du Coran,
Quand Will cite les paroles d’une chanson en caractères arabes,
Ou quand un chapitre s’intitule : « Un seul hêtre vous manque et tout est peuplier » (Alphonse de Lemartin),
il est bien évident que, tout sérieux soit-il, ce récit ne peut être abordé qu’avec un sourire de bon aloi et tandis que, petit jeu permanent, le cerveau s’agite pour retrouver la citation originelle…

Ce polar dont la manière n’est pas sans faire penser à un certain Frédéric Dard, est un hommage plein de verve et de brio, et j’avoue avoir pris un plaisir gourmand à cette lecture… vivifiante ! Quant à la fin… elle est à la hauteur du suspense.

Bernard Henninger

22 Juil

Le cinquantième anniversaire d’un pas : Science-fiction, Libération & le Huffington Post

Deux organes de presses se sont croisé sans préméditation, au gré du cinquantième anniversaire du premier pas sur la Lune, le 21 juillet 2019 en invitant dans leur colonne des écrivains de Science-Fiction…

Que faisiez-vous ce jour-là ? Moi, j’avais neuf ans et le matin, la télévision était allumée avec devant, mes frères et sœur, en pyjama, très excités. Dans le demi-sommeil du réveil, j’ai vu, plutôt deviné, le premier pas… en différé. Et cet événement là, vu au saut du lit, a continué à hanter mes rêves et ceux de millions de personnes.

Cette année, après un long silence, le cinquantième anniversaire du premier pas a été exceptionnellement fêté, avec de nombreux documentaires à la télévision, avec ce défaut de se ressembler tous un peu : tous insistent sur la communication et la mise en scène de l’événement et rien pour raconter le bond technologique immense qui a découlé de ce projet. (une série diffusée sur France 5 il y a plusieurs années le raconte très bien) ou sur la compréhension que nous avons acquise depuis sur la façon dont la Terre et la Lune se sont créés il y a plus de quatre milliards d’années.

Dans le HUFFINGTON POST : Catherine Dufour, Christian Léourier, Sabrina Calvo, Philippe Curval, Laurent Genefort… Quinze écrivains auxquels le Huffington Post a demandé leur vision de l’espace et de l’avenir dans cinquante ans, en 2069. Une belle initiative à laquelle les plumes les plus inventives de la science-fiction se sont prêtées !

LIBÉRATION est à l’origine d’une initiative plus originale, puisqu’elle a passé commande à trois auteurs : Jean-Pierre Andrevon, Sylvie Lainé et Jacques Barbéri de nouvelles, sur la Lune. Tous trois se sont lancés avec brio dans cet exercice où la presse et la littérature retrouvant des réflexes un peu rouillés, se sont associés pour redonner une saveur hors-norme à cet anniversaire. Les retardataires – les exemplaires sont partis très vite –, pourront se rattraper en lisant les nouvelles mise en ligne par Libération.

Seule la  Lune de Jean-Pierre Andrevon, évoque la possibilité d’un voyage interstellaire, reprenant une proposition du physicien Stephen Hawking qui avait imaginé le moyen d’accélérer une sonde jusqu’à 20% de la vitesse de la lumière. Mais quand les pionniers voyagent vite, ceux qui sont restés sur Terre voient filer les années, or l’Histoire est chose qui ne se prédit pas…

Rupture de Jacques Barbéri compare les rêves d’une époque et leur choc avec une modernité régressive.

Enfin, une mention toute spéciale pour le texte très poétique de Sylvie LAINÉ : Les Visiteurs, évocation très réussie, et si brève que je me garderai bien d’en dévoiler le récit tout en délicatesse et comme sur la pointe des pieds…

Bernard Henninger

Copyright : Sylvie Lainé aux Imaginales 2018 (B. Henninger)

14 Juin

« SOS Terre & Mer » : une anthologie participative au profit d’ l’ONG SOS Méditerranée

Pour cette anthologie réalisée à l’aide d’un financement participatif, les bénéfices de SOS Terre & Mer iront à l’ONG « SOS Méditerranée ». Les textes réunis pour l’occasion permettent de porter un regard neuf sur un sujet brûlant.

En tant que lecteur, je me dois d’avouer une légère méfiance devant les anthologies à thème que réalisent de courageux éditeurs et auxquelles il m’arrive parfois de participer. Si leur principale qualité – offrir au lecteur une grande variété de textes sur un même thème – est leur premier attrait, il est courant de découvrir des textes se contentant de paraphraser le thème…

Dans le montage de cette anthologie, les auteurs, illustrateurs, typographes et éditeurs se sont associés pour créer un objet sortant de l’ordinaire. Montée en pleine crise, l’opération est destinée à soutenir  l’ONG « SOS Méditerranée » à laquelle reviendront tous les bénéfices et elle est exemplaire en ce sens que le résultat final sort des sentiers battus, typographie, illustrations, tout a été mis en œuvre pour surprendre le lecteur et le résultat global est à mon goût réussi.

La couverture – signée Melchior Ascaride – fait s’envoler l’imagination. À titre personnel, je souligne l’originalité de la mise en page, signée Mérédith Debaque : chaque nouvelle débute par une illustration noir-et-blanc. On y retrouve des signatures prestigieuses : Cassandre de Delphes, Christine Luce, CAZA, Arnaud S. Maniak, Joseph Vernot… La direction littéraire est de Christine Luce.

Parmi les textes, je voudrais tout particulièrement en citer trois :

La Porte des Éléphants, de Bruno Pochesci

 Plongée au cœur de l’immigration : la porte des Éléphants sont deux montagnes entre lesquelles les éléphants passaient au cours de leur migration saisonnière. La sécheresse y a mis fin et elle a aussi projeté les héros loin de leur Terre Natale. D’origine Malienne, Hawa, la mère, parle le Bambara, le Français, langue des anciens colons, et elle l’enseigne en Italie, dont, telle une athlète d’un pentathlon particulier, elle apprend les langues et la culture.
Cette triple métamorphose n’est pas sans influencer la composition de la sauce Bolognaise qu’elle prépare… Peut-être est-ce une bonne définition de la culture ? Ces cultures multiples s’agrègent et leur dépositaire devient un étranger, non pas par son origine, mais par sa maîtrise là où les  renfrognés – les nés-quelque-part –, ne parlent qu’une langue et ne connaissent que leur culture, qu’ils vénèrent d’un culte morbide qu’ils nomment nation.
Bien que victime, Hawa et son fils Sira font montre d’une adaptabilité, qui ridiculise les replis identitaires. Là où les natifs s’aveuglent devant un mur, la frontière, pour Hawa n’est qu’un passage vers d’autres manières de rire et d’aimer… Et la migration, des hommes comme des éléphants, est le mode naturel des espèces chassées par les vicissitudes du climat et de la politique.

Les Xhyles de Julien Heylbroeck, nous montrent une migration forcée vers une planète hostile, habitée par des monstres. Les migrants n’ont d’autre choix de que de se précipiter dans la gueule du monstre… avant de se poser la question de qui a défini ces Xhyles dont ils ne savent en réalité que fort peu de choses. Le coup de théâtre n’en est que plus savoureux.

 Et enfin, mention spéciale, à la Fête à Neuneu de Dominique Douay, plongée au cœur d’une administration rancie, resserrée autour d’un groupe aux plaisanteries douteuses. Manuel, bouc émissaire permanent, affecté à la reconnaissance au faciès et à la pensée des candidats à l’immigration. Nul ordre n’a spécifié qu’il devait se montrer aussi stupide que ses chefs ou les grasses plaisanteries de ses collègues. Pendant la guerre, là où des kapos prétendaient avoir exécuté un ordre, certain gendarme, en alertant la veille les victimes d’une rafle, a sauvé des personnes…
La responsabilité n’est pas une obéissance, elle est une voie, un choix de vie, un chemin, un cadeau du destin. Et nul ne peut nous empêcher de faire usage d’humour face aux caricatures des administrations… La « Fête à Neuneu » avec son esprit décapant, démontre que l’imagination détourne la grisaille de l’oppression, toutes les oppressions !

Bernard Henninger

20 Mai

Souvenir : l’épopée des « 100 000 Chemises » à Châteauroux

Les éditions LA BOUINOTTE proposent un album de réminiscences, mémoires et témoignages consacrés à une des plus grandes enseignes de la bonneterie qui fit la fortune de Châteauroux pendant un siècle et dans lequel œuvrèrent des bataillons d’ouvrières : les « 100 000 chemises »

J’ai fait mes études à Paris, boulevard Saint-Michel. Juste en face du lycée se dressait un beau magasin tout en vitrines lumineuses surmonté de cette enseigne étrange : Les 100 000 chemises. Pourquoi 100 000 ? (surtout pour un étudiant en mathématiques). Et comme je n’avais pas le sou, cela fait quarante ans que cette question est pour moi restée dans un suspens (pas intenable) mais empli de curiosité… Et voilà qu’arrive entre mes mains cet album, déroulant une litanie de souvenirs. Depuis son fondateur, Maurice SCHWOB, alsacien exilé après la déroute de 1870, un de ces créateurs d’empires qui amenèrent en France la Révolution Industrielle. À l’origine, il y eut un document, recensant toutes les tailles, réalisé par Maurice Schwob :

Au XIXème siècle, pour les habits, il faut passer par un tailleur. L’idée de Maurice Schwob consiste à recenser et rassembler toutes les tailles possibles dans un document encyclopédique : l’acheteur n’a plus qu’à remplir une fiche (ci-dessus) et sa chemise est confectionnée en usine à partir de la fiche. Plutôt cent mille tailles mais à la bonne longueur, en fait, et Maurice Schwob, fut le précurseur de ce qui devint plus tard le prêt-à-porter.

Avec ses associés, Maurice Schwob crée des unités de confection en France, et ainsi, naît une usine de fabrication à Châteauroux qui emploie très vite plus de 500 ouvrières. Il fait partie de ces patrons paternalistes, autoritaires, mais chrétiens et sociaux, et il crée dès 1895 une « société de secours mutuels », ancêtre de ces mutuelles qui, une fois réunies après la Libération, donneront naissance à la Sécurité sociale.

La richesse du livre vient du foisonnant album photo qu’il propose, avec des vues des usines, des ateliers, des ouvrières, des blanchisseuses, et des témoignages, au rang desquels Raymonde VINCENT et Jeanne BODIN :

« On me mit aux finitions « arrêts et boutons », la place des débutantes, des femmes âgées ou des personnes peu douées. J’appris vite mon ouvrage très simple. Malheureusement, au lieu d’en faire une tâche, je le tournai en jeu. Ainsi on devait se rendre à l’autre bout du grand atelier pour recevoir l’ouvrage des mains d’une demi-surveillante, une sexagénaire du genre aigre. En principe, on rendait par douzaines les chemises finies et on en recevait d’autres à faire à la place. Mais le voyage à travers le grand atelier me plaisait beaucoup. Pour ce faire, je trouvais un moyen de rapporter le travail à moitié, m’arrangeant à embrouiller les comptes du cerbère. Elle ne tarda pas à m’avoir dans le nez. Ce fut une antipathie réciproque. Je haïssais le visage grimaçant de cette femme, ses cheveux gris relevés par des peignes sur les côtés et enroulés en un chignon plat par-dessus de la tête. Elle ne paraissait pas seulement méchante, qualité appréciée par les maîtres dans son emploi de sous-surveillante… »

A parte, mise à la porte, Raymonde VINCENT devint l’une des plus grandes autrices berrychonnes, prix Fémina 1937 pour « Campagne »


– Jeanne Bodin –

Un autre tout aussi précis vient de Jeanne BODIN, aujourd’hui un des plus anciennes ouvrières toujours en vie : «… j’entrai aux 100 000 chemises, la chemiserie la plus ancienne mais aussi la plus grande de Châteauroux. J’étais rendue au port, je devais finir là ma carrière… Les quêtes étaient assez fréquentes dans les ateliers. Elles étaient faites par Suzanne pour le Parti Communiste. Ce jour-là, elle annonça qu’elle allait faire la quête pour les enfants espagnols (c’était la guerre là-bas). Nous manquions de travail, je pensais être licenciée (…) La patronne, madame Charles me fit appeler et me dit que si je ne trouvais rien d’autre elle me gardait. Je protestai, je savais qu’une autre partirait à ma place. Mais tout était arrangé… »

Les témoignages s’entrelacent avec des photos, et font de ce livre un document passionnant que j’ai lu avec un ravissement croissant. Réalisé sur une impulsion de l’OPAC 36, de M. Pascal Longein, et de M. Thierry Desfougères, le but était de constituer en quelque sorte un « mémoire ouvrière». Par les photos, les portraits et les témoignages qu’il a recueillis, l’auteur, Yvan Bernaer, a réalisé un vivant ouvrage et un beau témoignage de la vie ouvrière en Berry au siècle précédent.

Bernard Henninger

La réhabilitation du quartier des 100 000 chemises a été largement traitée par France 3 Centre-Val-de-Loire dont la vidéo ci-dessous.

05 Mai

Amboise : « Animal Totem », un album pour l’enfance

« Quel est ton animal totem ? » Telle est la question que nous posent Agnès DOMERGUE et Clémence POLLET dans cet abum des éditions HongFei Cultures : destiné à l’enfance, il nous rappelle l’émerveillement des premiers âges, quand tout est découverte…

La lecture pour l’enfance permet d’aborder des thèmes parfois étonnants. Ainsi, le Totem peut être défini de bien des manières, et cet album nous présente l’une des plus élégantes qui soit.

  Un petit détour semble s’imposer. Je voudrais vous parler de l’amour selon Aristophane. Oh pas longtemps ! Sa conception de l’amour était que dans l’ancien temps, les hommes étaient différents, ils étaient hermaphrodites, constitués de deux êtres humains reliés en un seul, avec quatre jambes, quatre bras et deux têtes. Les dieux en ont décidé autrement et les ont séparés… Ainsi, deux êtres sont nés d’un seul hermaphrodite.
   Selon Aristophane, l’amour consiste à rechercher cet être, cet autre à la fois semblable et différent.

Cette théorie si critiquée a le pouvoir de susciter un sentiment d’évidence, et le désir. L’amour, c’est l’être qui nous manque comme une énigme qu’il faut voir de l’extérieur : chaque pièce du puzzle n’a pas de sens, pas d’utilité en soi, pas de raison d’être, mais leur réunion crée une chose nouvelle, une unité supérieure qui est plus que leur simple association.

Le Totem draîne la même idée, mais il est l’emblème de tout un groupe. Une vérité supérieure à celle d’un individu isolé qui découvre qu’il appartient à un ensemble, et que cet ensemble est doué de vie. Et comme le totem est la plupart du temps un animal, il souligne que le groupe est autre, une réalité obscure à nos sens, un instinct puissant aussi, qui balaye nos mauvaises raisons : trouver son Totem, c’est aussi définir l’humanité à laquelle nous appartenons.

Au temps où les hommes et les animaux
Parlaient le même langage…
             Au silence des tambours, ils se sont arrêtés de danser.
             Ce soir, ce sont des hommes à plumes.
             Mais moi, je sais qu’ils ne volent pas.              (citation)

   « Quel est ton animal-totem ? » la question court tout du long de ce récit souriant et empreint de gravité devant la nature et ses mystères, dans ce nouvel album des éditions HongFei Cultures.
    Le héros de cette charmante histoire, sous couvert d’un texte (moins alambiqué que mes digressions… 🙂 bref, concis, avec des mots simples et directs, poursuit cette quête, trouver l’animal totem, mais avec la sensation que le trouver sera un peu quelque chose de semblable à la quête de l’amour : trouver l’autre redonnera du sens, et ouvrira les yeux sur ce que l’on cherchait sans le savoir, quête sans cesse renouvelée et vaine jusqu’au moment où… et là tout s’éclaire. Ce qui était sombre entre en pleine lumière et la vie trouve un sens… aussi inattendu que la chute de cette charmante histoire…

Bernard Henninger

© Album d’Agnès DOMERGUE et Clémence POLLET.

 

12 Avr

Voiles sur l’Irlande (Antonio FERRANDIZ) : les éditions Corsaire lèvent les voiles de la Révolution

Après les Voiles de la République, qui reçut le prix de la Marine 2017, Antonio FERRANDIZ récidive et nous embarque à bord de l’Iphigénie, petit cotre corsaire, avec VOILES SUR L’IRLANDE

Premier extrait :

« Athanase laissa échapper un soupir. Toutes ces nuits passées à attendre l’acier de la guillotine s’abattre sur son cou au petit matin pour finalement être gracié, l’avaient laissé sans force. Certes, il avait tué Bourdier, son ennemi, en combat singulier, mais c’était ainsi : la marine ne voulait plus de lui. Son uniforme, dont il était si fier, ne lui servirait plus. De toute façon, ce n’était plus qu’une harde puante, usée par son séjour sur la paille croupie de la prison de Brest. La chute de Robespierre et la fin de la Grande Terreur l’avaient sauvé alors qu’il attendait d’être jugé par le sinistre tribunal révolutionnaire qui avait fait guillotiner soixante-dix Brestois… » 

La marine ne veut plus de lui, il est un meurtrier, gracié par la chute de Comité de Salut Public et des Jacobins, mais pas par la justice… Athanase brûle pourtant de reprendre la mer, de reprendre le combat contre l’engliche son ennemi, et aucun armateur ne veut plus de lui, sans qu’il en sache la raison. L’amour non plus ne veut plus de lui, Olympe, l’aristocrate qui l’a tant troublé est inaccessible, et le mari de la belle Mathilde lui voue une haine assez féroce pour menacer qui serait audacieux pour lui donner la moindre chance :

Second extrait :

«  Kervran hésita, tournant son café dans sa tasse. Il finit par répondre :
— Tu n’as pas que des amis dans la ville […]
L’armateur poussa un soupir avant de reprendre :
— Le Fur, le mari de Mathilde, est venu me voir ; il a des relations et fait tout pour te nuire. Il n’a pas l’air de beaucoup t’aimer.
— Ce jean-foutre !
L’armateur hocha la tête, l’air navré :
— J’ai bien peur que notre Mathilde ait commis une grosse erreur en l’épousant. […]
— Il a donc tant de pouvoir ?
— C’est l’aîné d’une vieille et puissante famille brestoise, ils ont su se ménager de nombreux appuis dans tous les milieux, de vrais serpents. La fin de la Terreur leur permet de sortir de leur tanière et de revenir peser sur la ville. Méfie-toi d’eux. […]
   Un silence pesant s’installa, chacun regardant sa tasse d’un air rêveur. Athanase n’avait plus d’arguments à avancer, il savait que la marine était un petit monde et que Le Fur et sa famille lui mettraient toujours des bâtons dans les roues. Tant pis, il quitterait Brest pour tenter sa chance ailleurs. Kervran le tira de ses pensées :
— Écoute, je ne peux pas te donner mon brick, mais je suis discrètement associé avec le citoyen Philibert à Saint-Malo ; il arme en ce moment un petit cotre, l’Iphigénie, et pour l’instant, il n’a pas encore choisi de capitaine, il ne peut rien me refuser, je l’ai renfloué après qu’il ait fait de mauvaises affaires ; de plus, c’est un ami d’enfance.
    Un large sourire vint éclairer le visage d’Athanase… »

Quand on a commandé un trois-mâts équipé de 74 canons, le cotre peut sembler limité : plus petite unité de la marine militaire, avec un mat équipé de deux voiles, des focs… Il faut se souvenir que c’est à la tête d’un cotre que le plus grand corsaire français, Surcouf, fit ses plus belles conquêtes : léger, maniable, rapide, le cotre a des avantages qui peuvent en faire une arme redoutable…

Et puis, le souffle de l’Histoire vient bousculer le héros : le Directoire prépare un débarquement en Irlande. Directement inspiré d’une authentique opération, l’expédition d’Irlande fut montée pour aider une organisation de révolutionnaires Irlandais à chasser les Anglais de leur île et exporter la Révolution au cœur du royaume de leur pire ennemi. Athanase, pour qui l’ennemi ne peut être qu’un « engliche » ne peut laisser passer l’occasion de reprendre du service dans la marine d’état.

Il y a une passion pour l’âge d’Or de la marine française, au XVIIIme siècle, et l’auteur, Antonio FERANDIZ, dont un des ancêtres fut capitaine de la marine marchande espagnole s’est lancé avec passion dans les aventures échevelées d’Athanase avec celui qui fut longtemps notre ennemi héréditaire, l’Anglais, avec un souvenir amoureux qui le tourmente. C’est un régal que de se lancer aux côtés d’Athanase, entre son amour désespéré pour Olympe, et sa fureur de capitaine corsaire…

Bernard Henninger

 Copyright : Le Renard, côtre à hunier du corsaire malouin Robert Surcouf, photographie de Rémi Jouan, Creative Commons CC-BY-SA-2.5 (Wikipedia)

 

04 Avr

Les seigneurs de Bohen d’Estelle Faye aux éditions Critic

Paru aux éditions Critic en 2017, Les Seigneurs de Bohen d’Estelle Faye est un de ces romans foisonnants qui nous entraîne tant sur les chemins de ses histoires entrecroisées, entremêlées, tragiques ou amoureuses, que sur celui d’une réflexion sur les mécanismes de l’Histoire.

Le roman Les Seigneurs de Bohen, d’Estelle Fayenous entraîne dans un empire décadent, dont la variété, véritable patchwork de peuples, de coutumes et de mœurs, témoigne de son immensité et de son instabilité, aussi. Très inspiré de la fin du Moyen-Âge, à cela près qu’il est profondément imprégné de magie, magie qui ne s’oppose pas au progrès des sciences et techniques, ce monde nous reste familier. En particulier, la trame historique nous entraîne à la découverte d’une invention historique majeure… la poudre ? Dans un récit secondaire, elle a un rôle mineur mais quand on la compare au récit principal, l’invention du papier et de l’imprimerie sont les véritables hérauts de la modernité.

Contrairement à beaucoup d’ouvrages bâtis sur le même thème, le roman se tient le plus souvent à distance de la cour impériale, où le lecteur comprend, qu’hormis les complots des grands feudataires du régime, le jeu des alliances et des trahisons ne conduisent qu’à un bouillonnement stérile, et que, comme disait Kundera, la Vie est ailleurs. (à moins que ce ne soit Fox Mulder ?)

Le premier personnage, Sainte-Étoile, du temps où il était novice dans un monastère, se nommait Valentyn. Quand le monastère a été envahi, et les moines massacrés, il a trouvé son salut dans la fuite, jusqu’à ce qu’une sorcière le recueille et lui insère dans le front un esprit, qui a la forme d’une mâchoire. Celui-ci, répond au nom de Morde et, plus sarcastique et infantile que malfaisant, il entretient un dialogue permanent avec son porteur, qui – se croyant maudit – est devenu mercenaire, et vend ses services au plus offrant.

Le temps d’une bataille, Sainte-Étoile croise Sœur Domenica, une nonne en robe civile, combattante aguerrie, avec laquelle il va collaborer le temps d’une bagarre, avant qu’elle ne reparte sur une piste mystérieuse : des adolescents, filles et garçons, disparus… que l’on retrouvera plus tard.

Un seigneur lance Sainte-Étoile sur la piste de son neveu disparu, et l’oriente vers une armée faite de bric et de broc dont la puissance ne cesse de monter. Son général, Sorenz ab Abahain, fascine Sainte-Étoile, qui s’embauche à son service…

Dans un tout autre registre, Maëve est une sorcière, une morguenne, qui vit sur les régions côtières dans un Havre – un village de pêcheurs – dont la fonction consiste à tenir à distance les vaisseaux noirs, mystérieux, qui ravagent les côtes, semant la ruine et la mort à chacune de leurs incursions. Alors que les vaisseaux sont toujours plus menaçants, Maëve est envoyée en ambassade vers la capitale afin de recevoir de l’aide.

Lors de son voyage, elle échappe à une bande errante, se perd avant de trouver refuge auprès de mariniers menés par la belle Nasha… qui se révèle cacher sous son apparence voluptueuse, la queue écailleuse d’une vouivre. Maëve, morguenne, fée des eaux océanes, est fascinée par la vouivre, être fantastique liée aux rivières et aux fleuves. Si la morguenne est une sorcière respectée dans son Havre, la Vouivre est – elle – condamnée à la clandestinité et à la dissimulation. Considérées comme néfastes, les vouivres sont traquées et mises à mort.

Ce trait reviendra : la magie et les êtres fantastiques aux formes changeantes sont indissolublement liés à une différentiation sexuelle. Moine au statut sexuel incertain, lesbienne, vouivre, changeforme, hermaphrodisme, ou relation non cataloguée acceptant l’étrangeté de l’autre… Toutes les différences, sexuelles, sorcières ou « monstres » entretiennent des cousinages, des attirances et se révèlent, chacun à son rang, porteur d’une facette de la Révolution en cours, dont nous suivons les méandres : la violence policière les extermine mais ils renaissent ailleurs tant ils appartiennent à la nature humaine qui ne se réprime pas par un oukaze fût-il impérial.

En parallèle, apparaît également un ouvrage d’un genre nouveau, un livre, un objet constitué de papier et imprimé, un objet incongru, totalement nouveau pour l’époque. Ce livre interdit circule sous le manteau jusqu’à ce qu’un être se lève, le lise à haute voix et révèle ce qui est écrit à l’égal d’un oracle. Son titre : « De la fin des empires » et son contenu alimentent les rangs nombreux des victimes du pouvoir…

Terminons l’évocation avec Janosh Schneewitch, l’homme dont la langue a été tranchée, capable de ressusciter la magie antiques des Essènes

Des personnages variés foisonnent dans cette fresque, et l’agrémentent de leur secret. La romancière tisse sa toile avec maestria glissant d’un récit à l’autre, les multipliant, les croisant, les liant, les séparant, sans parler de ceux que la camarde fauche. L’Histoire est faite de ces morts qui ont apporté leur part de nouveauté avant que la violence ne reprenne le dessus.

L’unité du récit vient de ce qu’il se tient le plus souvent à l’écart de la cour et de l’empire. Seule exception, le réseau d’espionnage de l’empereur, constitué de changeformes, dont l’une d’eux, Ioulia la Perdrix joue un rôle de conteuse. Ioulia prouve que la cour sait utiliser les déviations susceptibles de servir ses intérêts.

L’Histoire peut être vécue et racontée comme étant celle des rois, des reines et de leur cour, très marquée idéologiquement. À ce point de vue, peut être substitué, comme cela a été longtemps le cas, celui des résistants, des sociétés secrètes qui tissent leur devenir dans l’obscurité. Une troisième conception consiste à postuler que l’Histoire, ce qui change, se construit loin du pouvoir, parmi les civils, et que ce sont eux qui apportent les changements décisifs d’un pouvoir toujours empêtré dans ses contradictions, ses injustices et la rigidité qui va de pair.

Les Seigneurs de Bohen s’intéressent aux changements sociaux, aux métamorphoses de l’Histoire et à la façon dont se réalisent loin des cercles du Pouvoir, la véritable Histoire, qui s’assemble à la manière d’un buisson foisonnant.

Ce genre de Noire fantaisy, où les monstres ne sont pas associés au mal mais à la coexistence des différences dans une société, permet d’élargir largement la fantaisy traditionnelle qui se ramène souvent à un unique récit : le pouvoir et son apologie (son exégèse ?).

Donc, ici, sous couvert de la découverte d’un univers très original, le récit se double d’une réflexion sur l’Histoire. Qui sont les acteurs de l’Histoire ? Les empires, les empereurs, leur cour et leurs armées, leurs complots de palais et leurs batailles ? Ou n’est-ce pas plutôt, des gens du peuple qui œuvrent à changer la vie d’une société, indépendamment des pouvoirs en place. L’invention du papier, puis de l’imprimerie, par exemple, ont fait plus pour changer la vie des hommes que tant de batailles sans lendemain…

Bon, alors pourquoi parler – aujourd’hui – d’un roman paru en 2017 ?

Tout simplement, parce que ce roman est tout à fait neuf, et rafraîchissant par son traitement et son style, et que je ne saurais trop recommander sa découverte, est désormais associé à sa suite, les Révoltés de Bohen qui viennent paraître aux éditions Critic… À déguster chez votre libraire dans votre médiathèque, partout où la lecture est un plaisir

Bernard Henninger

Portrait d’Estelle Faye : Damdamdidilolo [CC BY-SA 4.0]