24 Mar

Suggestions de lectures ou comment rendre fécond le confinement…

Quelques suggestions pour musarder dans les livres et fortifier votre esprit dans la perspective de la fin du confinement. Portez-vous bien, enroulez vous dans votre couette et prenez du temps pour rêver…

Ce jour, en rangeant ma bibliothèque, je suis tombé sur des titres qui sont des mines de lecture, des explosions d’émotion ou de ravissement et je me suis dit que je pouvais moi aussi consacrer quelques lignes aux lectures que vous pourriez reprendre, relire, ou découvrir, car s’il y a une utilité à la vie en confinement, la lecture calme, elle alerte l’esprit, stimule le cerveau et active vos émotions. Lire, c’est ouvrir une fenêtre sur de grands espaces où vous pouvez vous ébattre en toute tranquillité loin des miasmes et tapages politiques et médiatiques…

Si vous n’avez pas de bibliothèque, la première chose consiste à trouver les livres, et plutôt que de vous rendre dans une enseigne tapageuse, je vous suggère plutôt d’aller fouiner dans les livres d’occasion : Rakuten-Priceminister, eBay, Le Bon Coin, mais aussi chez nos amis belges : Delcampe. Enseignes spécialisées dans l’occasion, vous y trouverez de tout, et surtout des livres, à petits prix auprès de particuliers… et des plus jolis si vous aimez les livres reliés ou les éditions anciennes.

Pour commencer, en remontant dans les livres anciens, je commencerai avec les Histoires de monsieur Keuner : de très courtes histoires, d’une à deux pages, chacune est un condensé d’intelligence et de perspicacité. Parfois, il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour en percer le / les sens. A lire lentement, pas plus d’une par jour, et méditer après :

Monsieur K. dit un jour : « Celui qui pense ne prend pas une lumière de trop, pas un morceau de pain de trop, pas une pensée de trop. »
ou encore :
Tous les jours, je me rends
Au marché des vendeurs
De mensonges, et plein d’espoir,
Je me range à leurs côtés.

Si vous êtes en guerre, il y a La Peste de Camus, toujours le bon moment de la découvrir, ou redécouvrir. La peste du livre, est plutôt la peste brune qui sévit de 1939 à 1945 mais elle en dit beaucoup sur les exigences des peuples après guerre quant à ceux qui les avaient conduits à la catastrophe : 

Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arrivé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d’insolite…

Moins tapageur, mais écrit lui aussi dans des temps de couvre-feu et des ravages de la guerre (Prix Renaudot 1945), Le Mas Théotime d’Henri Bosco est un roman qui brûle encore d’un sombre feu :

En août, dans nos pays, un peu avant le soir, une puissante chaleur embrase les champs. Il n’y a rien de mieux à faire que de rester chez soi, au fond de la pénombre, en attendant l’heure du dîner. Ces métairies que tourmentent les vents d’hiver et que l’été accable, ont été bâties en refuges, et, sous leurs murailles massives, on s’abrite tant bien que mal de la fureur des saisons…

La magie d’un été et loin des tourments de la plaine, un amour qui sera comme un incendie…

Plus surprenant, un petit opuscule d’Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, écrit en 1942, Saint-Exupéry s’adresse à un ami resté « otage » dans une France occupée, persécuté dans son pays qu’il ne peut quitter. À travers un signe d’amitié envoyé à l’ami qui souffre, son texte rend hommage à la France. Je l’ai trouvé au marché aux livres, mais on le trouve partout, sa brièveté est l’égale de sa sensibilité : 

  Quand, en décembre 1940, j’ai traversé le Portugal pour me rendre aux Etats-Unis, Lisbonne m’est apparue comme une sorte de paradis clair et triste. On y parlait alors beaucoup d’une invasion imminente et le Portugal se cramponnait à l’illusion de son bonheur […]
  Lisbonne devait aussi son climat de tristesse à la présence de certains réfugiés. Je ne parle pas des proscrits à la recherche d’un asile. Je ne parle pas d’immigrants en quête d’une terre à féconder par leur travail. Je parle de ceux qui s’expatriaient loin de la misère pour mettre à l’abri leur argent…

Si vous  préférez les contrées de l’imaginaire, il faut toujours garder une pensée préférée pour Les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, ou les aventures d’un esprit en quête de poésie qui se confronte à un monde que des humains brutaux et maladroits ont ravagé : exterminant la vie rare et fragile de la planète, imposant leurs mœurs, pour finalement disparaître jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les ruines d’une somptueuse villa où tout est automatisé : le réveil-matin, la radio, le petit-déjeuner automatique… (Usher II)

Il y a aussi Le Monde perdu de Conan Doyle, un plateau au milieu de l’Amazonie, une région dont ni le président Bolsonaro ni le président Trump ne savent rien et où a survécu une faune fabuleuse… il vaut mieux d’ailleurs, ils seraient capables d’y allumer des incendies et d’accuser la terre entière des destructions.

Si ces références, que vous pouvez trouver à petits prix, vous semblent trop anciennes, je peux aussi vous ramener à un auteur de polar maison, puisqu’Orléanais, Philippe Georget est un auteur de polars haletants… L’été, tous les chats s’ennuient, le Paradoxe du Cerf Volant, ou plus récemment : Amère Méditerranée.

Plus récents encore, Histoire naturelle des Dragons de Marie Brennan vous mènera dans une contrée inconnue, ce qu’on appelle du Steampunk, une contrée inventée de toutes pièces mais qui a évolué selon les technologies du XIXème siècle, dans une Terre peuplée de dragons sauvages, qu’une jeune femme, pionnière du féminisme, part étudier dans des voyages au long cours (Mémoires par Lady Trent)(traduit par Sylvie Denis). Cinq tomes sont parus, l’occasion de parcourir le monde et de se demander pourquoi et comment le monde peut fonctionne avec des mœurs aberrantes… 

et enfin, une saga dont le dernier opus vient  de clore un cycle magique : La Passe-Miroir de Christelle Dabos, est un ensemble, qui avait été écrit pour les adolescents, et qui a connu un immense succès tous publics. Le premier tome est en poche et a pour titre Les fiancés de l’hiver :

  Ophélie resta immobile un moment dans l’encadrement de la porte. Elle observa les fils de soleil qui glissaient lentement sur le parquet au fur et à mesure que le jour se levait. Elle respira profondément le parfum des vieux meubles et du papier froid.
  Cette odeur, dans laquelle son enfance avait baigné, Ophélie ne la sentirait bientôt plus.

Ophélie est une petite femme, plutôt frêle, archiviste, avec des lunettes sur le bout du nez. On la croirait fragile, elle a une âme puissante comme le fer, on la croirait perdue, mais si vous lui donnez un objet, elle enlève ses gants, et simplement en le touchant, elle est capable d’en retranscrire l’histoire et celle de tous qui l’ont touché… Un pouvoir qui terrifie le monde entier.

Or sa famille vient de la marier dans une Arche située très au Nord, dans une société violente : son inquiétude quant à son destin, et un mariage qui lui semble cruel, va être balayée car un typhon de magie s’approche et va menacer ces mondes imaginaires, parmi les plus originaux qu’il nous ait été donner de découvrir depuis vingt ans…

Je m’arrête là, j’espère que vous vous lancerez dans vos propres bonnes et joyeuses lectures et le temps de réfléchir au monde que vous voudrez demain, car, c’est peut-être la seule question qui vaille…

Bernard Henninger

Post Scriptum : et celui-là vient de sortir, et je crois qu’il va peupler mes nuits sans tarder…

06 Mar

Compte-rendu du passage de Serge Lehman à la médiathèque de St-Jean de la Ruelle

Une vingtaine de spectateurs étaient présents pour l’interview de Serge Lehman à la Médiathèque de Saint-Jean de la Ruelle. Le feu des questions a permis de survoler l’œuvre et à Serge Lehman d’exposer sa vision d’historien des littératures de l’imaginaire.

Passionnant exposé où Serge Lehman  développe sa vision d’historien, avec la science-fiction des origines, en France et son foisonnement, avant 1914 avec Jules VerneJ.H. Rosny aînéH.G. Wells, André Laurie, Jean de la Hire, Maurice Renard, mouvement appelé le Merveilleux-scientifique (avec un tiret, comme dans Science-Fiction).

Le paradoxe vient de ce que, à part une poignée de passionnés, cette littérature est aujourd’hui dans l’ombre, mal connue et même parfois violemment critiquée. D’où viennent les ruptures qui ont conduit à son rejet ? Tout d’abord, l’image de la science, tout empreinte de merveilleux  avant 1914, où le radium était une matière magique, Marie Curie une héroïne totalement dévouée à la science, désintéressée (jamais elle ne voulut « vendre » un brevet) et qui passe son permis en pleine guerre pour aller sur le théâtre des opérations réaliser des radios des blessés se renverse : les états-majors allemand et français prétendent mener une guerre scientifique (autant le souligner en rouge). L’expression : frappe chirurgicale fut inventée en 1914 avec les conséquences que l’on peut imaginer. Après 1918, la science incarne  l’horreur des tranchées. La guerre dite scientifique est un vocable qui, associé à un million de morts, conduisit au rejet du Merveilleux-scientifique du champ littéraire. Dans la foulée, toute la science-fiction naissante fut remisée dans les littératures populaires, d’une part, et dans les livres pour enfants d’autre part. Et toute science évacue le champ littéraire (à part un archétype, le savant fou, bien entendu).

Dans les années 1920, alors que la Science-Fiction connaît en Amérique un  essor sans précédent (le nom Science-Fiction est créé en 1926 par Hugo Gernsback, directeur de revue), la science-fiction française régresse. Là où les américains développent des super-héros, les précurseurs qui furent inventés par des français, dont le plus emblématique fut sans doute le nyctalope créé par Jean de la Hire, déclinent et tombent dans l’oubli. Autre super héros, le passe-muraille, inventé par Marcel Aymé, n’est le héros que d’une unique nouvelle et le récit, évitant le merveilleux et sa fascination, vire au comique. Pour conclure avec Jean de la Hire, antisémite, il s’empara pendant la guerre de la maison de ses propres éditeurs Ferenczi… La faillite française de la première Science-fiction française fut aussi incarnée par ces auteurs dévoyés, Jean de La Hire, René Bonnefoy, collaborationnistes et antisémites et la science-fiction qu’ils avaient incarnée, sombra avec la découverte des camps de concentration en 1945.

Bien  sûr, il ne s’agissait pas seulement d’une conférence d’histoire et le récit de Serge Lehman est lié à sa propre histoire d’auteur, les années 90 et l’arrivée d’une nouvelle génération. Il a évoqué ses tentatives pour  construire un mouvement qui retrouve sa mémoire, en particulier avec l’univers des super-héros français : le passe-muraille, le nyctalope…  en témoigne la saga des Brigades Chimériquesvaste cycle de bandes dessinées dont il est le scénariste.

Le vœu de Serge Lehman de reconnecter les littératures imaginaires d’aujourd’hui avec leurs racines fécondes accompagne donc le renouveau du genre. Depuis trente ans, des auteurs se sont emparés de cette littérature, en repartant de zéro ou presque : nouveaux éditeurs (L’Atalante, Critic, Au Diable Vauvert, Les moutons électriques), nouveaux illustrateurs (Caza…), nouvelles générations d’auteurs (Roland C Wagner, Ayerdahl, Sylvie Denis, Sylvie Lainé, Jean-Claude Dunyach, Laurent Genefort (que ceux que j’oublie veuille bien me pardonner)), nouvelles exigences pour que la science-fiction gagne en réalisme et en réflexion…

À la fin, Serge Lehman a répondu aux questions et il s’est très gentiment plié au jeu de la photo. Qu’il en soit remercié !

Bernard Henninger

24 Fév

Serge Lehman invité de la médiathèque de St-Jean de la Ruelle jeudi 5 mars

Jeudi 5 mars à 18h30, pour inaugurer son nouveau rayon Littérature de l’Imaginaire, la médiathèque Anna Marly de Saint-Jean de la Ruelle invite l’auteur Serge Lehman.

Passionné de bande dessinée, Serge Lehman connaît plusieurs époques : dans les années 90, il commence en s’engageant résolument dans la littérature et la science-fiction, il est publié au Fleuve Noir et participe du renouveau de la science-fiction aux côtés d’Ayerdhal, Laurent Genefort et Pierre Bordage.

En parallèle, il développe un important travail d’essayiste, et de réflexion sur la science-fiction, notamment son rejet dans les années 1920 par les cercles de la littérature et son refuge dans la littérature pour l’enfance : disparaissent alors de cette littérature le caractère scientifique des histoires des grands précurseurs, Jules Verne, André Laurie, Maurice Renard. Dans les années 90, il fait partie de cette génération d’auteurs émergents revendiquant un retour du scientifique dans la science-fiction.

Pendant un an, Serge Lehman collabore à l’Humanité comme chroniqueur, ainsi qu’au scénario de Mortel ad Vitam, avec Enki Bilal. Après un arrêt de plusieurs années, il poursuit dans d’autres journaux cette activité de réflexion et de chroniqueur littéraire.

À partir de 2005, il reprend de l’activité en tant que scénariste de Bande Dessinée. Son cycle de  la Brigade Chimérique, une série en six tomes, est un grand succès. Suivent plus tard, d’autres bandes dessinées, en tant que scénariste dont la série Metropolis, une uchronie décrivant un monde qui n’a pas connu la guerre 1914-1918. Parallèlement, Serge Lehman a également dirigé deux anthologies. Militant d’une science-fiction complète, intégrant les questions scientifiques contemporaines, les théories, les technologies, la plupart de ses œuvres ne cachent pas une grande nostalgie envers les récits précurseurs de la SF en France : remise à jour de héros comme le nyctalope ou l’ogre (voir la vidéo ci-dessous) :

Pour en savoir un peu, plus, je vous recommande cette interview de 1996 par André-François Ruaud. Donc, rendez-vous à 18h30 jeudi 5 mars à la médiathèque de Saint-Jean de la Ruelle !

Bernard Henninger

Post Scriptum (pour les absents) : une vingtaine de spectateurs étaient présents pour une interview à la Médiathèque de Saint-Jean de la Ruelle. Le feu des questions a permis de survoler l’œuvre de Serge Lehman et sa vision d’historien des littératures de l’imaginaire. Il est toujours agréable d’entendre un écrivain tenter de structurer son univers, notamment les littératures de l’imaginaire / la science-fiction et son foisonnement, en Europe, (avec Jules Verne, J.H. Rosny aîné, H.G. Wells…) avant la guerre 14-18 , mouvement appelé le Merveilleux-scientifique (par J.H. Rosny) et comment s’est opérée une rupture, après chaque conflit mondial, conduisant à marginaliser en France tout particulièrement ces littératures, (sans parler de la misère de la Science-Fiction dans le cinéma français).

Il évoqua aussi sa propre histoire, les années 90 et l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs. Il a évoqué ses tentatives pour  construire un mouvement qui se retrouve sa mémoire, en particulier avec l’univers des super-héros français : le passe-muraille, le nyctalope…  en témoigne la saga des Brigades Chimériques, vaste cycle de bandes dessinées dont il est le scénariste. À la fin, Serge Lehman a répondu aux questions et il s’est très gentiment plié au jeu de la photo. Qu’il en soit remercié !

Bernard Henninger