27 Déc

« Balade en Vallée noire » célèbre l’invention d’un pays par George Sand

Les éditions La Bouinotte nous proposent avec « Balade en Vallée noire » un album évoquant la fantastique Vallée Noire, région imaginaire, devenue terroir véritable…

Cette admirable région que nous avons le bonheur d’habiter, ce n’en est pas moins après un examen raisonné que j’ai fait, de ce coin du Berry, un point particulier ayant sa physionomie, ses usages, son costume, sa langue, ses mœurs et ses traditions. Je pensais devoir garder pour moi-même cette découverte innocente. Il me plaisait seulement de ramener l’action de mes romans dans ce cadre de prédilection. Mais puisqu’on veut que la Vallée-Noire n’existe que dans ma cervelle… George Sand

C’est le privilège d’une grande dame, que d’être capable de passer la Géographie au crible de son regard : la Vallée Noire aurait donc Nohant, comme centre. Si vous tracez une ligne qui, partie d’Ardentes, gagne Chateaumeillant, Saint-Priest La Marche et les sources de l’Indre, Aigurande, Eguzon, Cluis et Neuvy-Saint-Sépulchre, vous êtes dans la vallée Noire, qui se calque sans peine sur la haute vallée de l’Indre.

Aujourd’hui, plus de paysans madré prétendant donner leçon à l’écrivain, juste la fantaisie de George Sand, son humour et son intelligence qui lui ont fait créer une Comté, qui n’existe que dans son œuvre. Théâtre du sabbat des sorcières, apparitions fantastiques, paysans sortis d’une toile de Millet, luttes entre créatures fantastiques issues du folklore et courageux berrychons, impossibilité de la raison à circonscrire la géographique fantastique… Deux cents ans plus tard, la fantaisie de George Sand a su si bien se fondre dans le paysage que c’est la Vallée Noire tout entière qui, remodelée à son image, de carte devint territoire…

Les éditions La Bouinotte se sont attachées à l’illustrer avec ce beau livre, avec les photos d’Yvan Bernaer et les textes de Gérard Guillaume. Le format horizontal, « à l’italienne », permet de feuilleter l’album, avec la flemme du flâneur, de se promener dans le Berry, bien au chaud dans un fauteuil, il serait dommage de passer à côté de ce plaisir hivernal…

Bernard Henninger

29 Juil

« Vade retro Satanas », un polar Berruyer plein de verve

Vade Retro Satanas (chez Pavillon Noir) est le quatrième roman de Luc Fori. Amoureux de langage et de jeux de mots, il nous propose de cheminer avec son héros récurrent, William Carvault, flic atypique, viré de la police, reconverti dans l’immobilier malgré lui et en manque d’enquêtes…

Plein de verve, le récit baguenaude, mêlant observations des dérives de notre époque, tentative de mise à distance par l’humour, et les amours contrariées de Will et de Heike, sa compagne, commissaire de police et jeune maman… À la suite de son accouchement, irritée par l’attitude jalouse de Will et pour tout dire, par son complet dénuement en matière de paternité, Heike l’a mis à la porte… de sa propre maison. Pour l’heure, tout à sa colère, Will se proclame heureux. Revendiquant les vertus du célibat, il célèbre ses retrouvailles avec les vins régionaux, et avec son pote Roger (« Rodgeur » recommande Luc Fori), lui aussi abandonné par sa compagne, nettement dépressif et capable de violences…

Au commissariat, Heike visionne une vidéo postée sur Internet par un individu caché qui s’est filmé alors qu’il commettait un meurtre atroce. Quand Will arrive pour leur rendez-vous, Heike l’entraîne sur une scène de meurtre en tous points identique : dans une chambre d’hôtel, une jeune femme a été dénudée, son corps a été décapité et positionné dans une attitude hiératique. La tête gît, à part. Détail morbide : le visage a été maquillé.

Retrouvant sa maison, Will reçoit la visite d’un jeune voisin, Youssef, qui l’invite chez lui. Il lui présente sa compagne, Djamila. Ceux-ci font appel à son bon cœur pour se mettre en quête du petit-frère de Djamila, Mourad, soudainement disparu. Sans l’avouer à voix haute, Will pense immédiatement au pire : la France est le territoire qui a fourni la plus grande partie des candidats salafistes au Djihad. Bientôt, une photo vient confirmer ses craintes : Mourad et un ami au visage recouvert d’un turban, posent, un fusil-mitrailleur en main. La rigidité de son père, Farid, et la présence dans son entourage de Salafistes trop fraîchement convertis ne font qu’accroître ses craintes. Avec son ami Roger (« Rodgeur »), Will se lance sur une piste qui les mène à Bruxelles dans un quartier tenu par les Djihadistes…

Arrivé à ce point, l’enquête pourrait s’emballer, mais l’auteur nous convie à la suite de Will, et de ses sentiments toujours renaissants pour son ex- (à qui il manque également) à intercaler humour et distance dans la narration. Entre acception de la paternité, et son exercice, s’intercalent des remarques sur une époque dont la violence stupéfie autant qu’elle interroge. L’intrigue nous ballotte d’un bord à l’autre, la terreur n’est pas loin, d’autres victimes décapitées interviennent dans un climat inquiétant, toutefois Will professe un désir indéfectible de regarder le monde avec une certaine distance… empreinte d’une philosophie du quotidien, d’une assez bonne connaissance du sujet et d’un humour qui ne manque jamais de prendre place :

Quand, par exemple, Farid reproche aux militants Salafistes de commettre des fautes d’orthographe dans leurs citations du Coran,
Quand Will cite les paroles d’une chanson en caractères arabes,
Ou quand un chapitre s’intitule : « Un seul hêtre vous manque et tout est peuplier » (Alphonse de Lemartin),
il est bien évident que, tout sérieux soit-il, ce récit ne peut être abordé qu’avec un sourire de bon aloi et tandis que, petit jeu permanent, le cerveau s’agite pour retrouver la citation originelle…

Ce polar dont la manière n’est pas sans faire penser à un certain Frédéric Dard, est un hommage plein de verve et de brio, et j’avoue avoir pris un plaisir gourmand à cette lecture… vivifiante ! Quant à la fin… elle est à la hauteur du suspense.

Bernard Henninger