12 Avr

Voiles sur l’Irlande (Antonio FERRANDIZ) : les éditions Corsaire lèvent les voiles de la Révolution

Après les Voiles de la République, qui reçut le prix de la Marine 2017, Antonio FERRANDIZ récidive et nous embarque à bord de l’Iphigénie, petit cotre corsaire, avec VOILES SUR L’IRLANDE

Premier extrait :

« Athanase laissa échapper un soupir. Toutes ces nuits passées à attendre l’acier de la guillotine s’abattre sur son cou au petit matin pour finalement être gracié, l’avaient laissé sans force. Certes, il avait tué Bourdier, son ennemi, en combat singulier, mais c’était ainsi : la marine ne voulait plus de lui. Son uniforme, dont il était si fier, ne lui servirait plus. De toute façon, ce n’était plus qu’une harde puante, usée par son séjour sur la paille croupie de la prison de Brest. La chute de Robespierre et la fin de la Grande Terreur l’avaient sauvé alors qu’il attendait d’être jugé par le sinistre tribunal révolutionnaire qui avait fait guillotiner soixante-dix Brestois… » 

La marine ne veut plus de lui, il est un meurtrier, gracié par la chute de Comité de Salut Public et des Jacobins, mais pas par la justice… Athanase brûle pourtant de reprendre la mer, de reprendre le combat contre l’engliche son ennemi, et aucun armateur ne veut plus de lui, sans qu’il en sache la raison. L’amour non plus ne veut plus de lui, Olympe, l’aristocrate qui l’a tant troublé est inaccessible, et le mari de la belle Mathilde lui voue une haine assez féroce pour menacer qui serait audacieux pour lui donner la moindre chance :

Second extrait :

«  Kervran hésita, tournant son café dans sa tasse. Il finit par répondre :
— Tu n’as pas que des amis dans la ville […]
L’armateur poussa un soupir avant de reprendre :
— Le Fur, le mari de Mathilde, est venu me voir ; il a des relations et fait tout pour te nuire. Il n’a pas l’air de beaucoup t’aimer.
— Ce jean-foutre !
L’armateur hocha la tête, l’air navré :
— J’ai bien peur que notre Mathilde ait commis une grosse erreur en l’épousant. […]
— Il a donc tant de pouvoir ?
— C’est l’aîné d’une vieille et puissante famille brestoise, ils ont su se ménager de nombreux appuis dans tous les milieux, de vrais serpents. La fin de la Terreur leur permet de sortir de leur tanière et de revenir peser sur la ville. Méfie-toi d’eux. […]
   Un silence pesant s’installa, chacun regardant sa tasse d’un air rêveur. Athanase n’avait plus d’arguments à avancer, il savait que la marine était un petit monde et que Le Fur et sa famille lui mettraient toujours des bâtons dans les roues. Tant pis, il quitterait Brest pour tenter sa chance ailleurs. Kervran le tira de ses pensées :
— Écoute, je ne peux pas te donner mon brick, mais je suis discrètement associé avec le citoyen Philibert à Saint-Malo ; il arme en ce moment un petit cotre, l’Iphigénie, et pour l’instant, il n’a pas encore choisi de capitaine, il ne peut rien me refuser, je l’ai renfloué après qu’il ait fait de mauvaises affaires ; de plus, c’est un ami d’enfance.
    Un large sourire vint éclairer le visage d’Athanase… »

Quand on a commandé un trois-mâts équipé de 74 canons, le cotre peut sembler limité : plus petite unité de la marine militaire, avec un mat équipé de deux voiles, des focs… Il faut se souvenir que c’est à la tête d’un cotre que le plus grand corsaire français, Surcouf, fit ses plus belles conquêtes : léger, maniable, rapide, le cotre a des avantages qui peuvent en faire une arme redoutable…

Et puis, le souffle de l’Histoire vient bousculer le héros : le Directoire prépare un débarquement en Irlande. Directement inspiré d’une authentique opération, l’expédition d’Irlande fut montée pour aider une organisation de révolutionnaires Irlandais à chasser les Anglais de leur île et exporter la Révolution au cœur du royaume de leur pire ennemi. Athanase, pour qui l’ennemi ne peut être qu’un « engliche » ne peut laisser passer l’occasion de reprendre du service dans la marine d’état.

Il y a une passion pour l’âge d’Or de la marine française, au XVIIIme siècle, et l’auteur, Antonio FERANDIZ, dont un des ancêtres fut capitaine de la marine marchande espagnole s’est lancé avec passion dans les aventures échevelées d’Athanase avec celui qui fut longtemps notre ennemi héréditaire, l’Anglais, avec un souvenir amoureux qui le tourmente. C’est un régal que de se lancer aux côtés d’Athanase, entre son amour désespéré pour Olympe, et sa fureur de capitaine corsaire…

Bernard Henninger

 Copyright : Le Renard, côtre à hunier du corsaire malouin Robert Surcouf, photographie de Rémi Jouan, Creative Commons CC-BY-SA-2.5 (Wikipedia)

 

06 Avr

Du Sucre, du sang et du goût de la fantasmagorie

De Sucre et de sang est un polar se situant à la fin du XVIIIème siècle, à Orléans, et dont le personnage principal, Antoine Toussaint, est chirurgien juré (l’ancêtre des médecins légistes) qui plonge à corps perdu dans une histoire qui sème des cadavres de jeunes femmes égorgées, saignées à blanc et exposées dans les lieux les plus grostesques… aux quatre coins de la ville d’Orléans.

 

  Une toue cabanée au petit matin sur les berges de la Loire, en amont d’Orléans, la brume et l’humidité et Ferdinand, allemand et passager incognito. Sur la berge un escogriffe sort un couteau, s’approche du marinier et lui tranche la carotide…
  Quelques jours plus tard, le corps, mutilé, est retrouvé dans une bascule, au milieu d’une cargaison de pêche, semant l’horreur sur le port d’Orléans.
  Nous sommes en 1785, Vendredi Saint, et Toussaint, jeune chirurgien juré, se rend à une démonstration de Mesmérisme… où il lie connaissance avec les dames Marotte, dont la jeune fille, Hortense, exerce sur lui un charme immédiat.
  Depuis la mort de son mari, madame Marotte préside à la destinée de la raffinerie de sucre familial, une des plus prestigieuses de la ville, dont on dit que les productions garnissent la table du roi.
  Le lendemain, Hortense requiert les services de Toussaint pour soigner le mystérieux Ferdinand, d’une fracture au bras. Sans barguigner, Nicolas lui pose une attelle et échange avec l’homme, allemand, maçon et poursuivi par des sbires aux manières de brutes.
  Le dimanche de Pâques, Antoine Toussaint est appelé à nouveau, mais cette fois pour examiner une jeune femme, égorgée comme le marinier, elle a été saignée, et elle comptait parmi les employés de la raffinerie Marotte…

Ainsi commence ce roman fourmillant, situé au carrefour de l’Histoire, à la veille de la grande Révolution, dans une ville en pleine ébullition. Car si la noblesse y détient encore l’essentiel des pouvoirs, la bourgeoisie a déjà pris position dans la vie de la cité, comme ces raffineurs de sucre, qui font à l’époque la prospérité de la ville : venu des Antilles par le port de Nantes, le sucre est traité tout le long de la Loire, et fait l’objet d’une véritable industrie aux mains de roturiers dont la fortune trop rapide fait d’eux des parvenus enviés, jalousés… et des précurseurs de la révolution industrielle.

En regard, Toussaint serait plutôt le fondateur d’une spécialité — la médecine légale — qui se développera plutôt dans les années à venir, mais la justice fait déjà appel depuis longtemps aux analyses rigoureuses des chirurgiens-jurés. Si les chirurgiens, qui ne sont pas universitaires sont considérés de haut par les hommes de science, Nicolas fait montre d’une science fondée sur le raisonnement, et profite de son statut inférieur pour se mêler au peuple, commissaire, inspecteur des levées et enquêter loin de la pompe de la Justice…

Orléans est le théâtre d’assassinats horribles, des victimes saignées à blanc sont exposées avec un humour macabre dans des lieux en rapport avec la raffinerie des Marotte. D’ailleurs, un sinistre écumeur de cabaret prétend que madame Marotte et sa fille Hortense sont les instigatrices de ces meurtres… et si l’on ajoute à cela leur sympathie pour Ferdinand qui trouve refuge chez elle, les événements se précipitent.

Dans une ambiance sinistre de cabale, et de paniques populaires aussi soudaines qu’irrépressibles, où la populace met à sac la maison d’un homme désigné par la rumeur, où le lieutenant de police sélectionne les meurtres et interdit d’enquêter sur celui du marinier, compromettant les progrès de l’enquête, le roman ne lésine pas sur les coups de théâtre et tisse les différentes intrigues avec un doigté de feuilletoniste qui laisse admiratif, tellement le passage d’une scène à l’autre est fluide, les dialogues sont vifs, plaisants, pleins de verve et d’humour.


Estampe de Charles Pensée,
reproduite avec l’aimable autorisation de l’Hôtel Cabu, Musée d’Histoire et d’Archéologie/François Lauginie

Enfin, le tout s’appuie sur une documentation, tant en matière de marine de Loire, que de l’industrie des raffineries de sucre, dont il ne reste plus que le souvenir dans les musées de la région qui ajoute la connaissance au plaisir du récit.

À l’analyse, les personnages sont d’une belle complexité et ils s’intègrent harmonieusement dans un tableau plein de fureur, d’amours, et même d’un doigt d’érotisme (les libertins sont les pères tutélaires de toute galanterie) et le récit, hésitant entre l’aventure rocambolesque et l’ébauche d’enquêtes à la plaisante teneur scientifique font que j’ai passé un moment très agréable dans cette littérature d’aventures qui a su, pourtant, insérer dans sa trame, de véritables éléments de la grande Histoire qui se prépare, la Révolution qui, en France, se charge encore de résonnances et de débats passionnés sans jamais trop s’éloigner de la Loire, qui est comme l’artère vitale dont le flux alimente le récit.

Une lecture à chaudement recommander : Pascal Grand a l’art de nous procurer de délicieux frissons.

Bernard Henninger

Post Scriptum : en bonus une chronique de Loire, déjà ancienne qui évoque le temps des raffineries et de l’or blanc…

04 Mar

Nuits de pleine lune (Alain Rafesthain)

Les Nuits de pleine Lune, d’Alain Rafesthain, clôt la trilogie du Thym de Bergère commencée avec Les Sabots Vernis. L’écriture, classique, dégage une belle sensibilité avec un récit qui finit en apothéose…

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Le roman commence en Noël 1939, à la messe de minuit, où une voix grave vient se mêler aux voix des femmes de Hauterère — le village où se déroule l’essentiel du roman —, surprenant tout le monde, car il s’agit d’Étienne, le voisin d’Augustin, revenu de la ligne Maginot. Il a obtenu une perm’, et après un voyage de trois jours, est parvenu à rejoindre sa femme et ses enfants à temps pour fêter Noël. Étienne conclut son bref passage par cette espérance que la guerre soit finie pour l’été et les moissons…

Sans transition, le chapitre suivant enchaîne avec la débâcle, de 1940, un afflux de réfugiés traversent le village, et ainsi de suite, avec des chapitres construits comme des tableaux autonomes, les dates-clef de la Seconde Guerre mondiale sont égrenées, l’hiver 1941 (chapitre 2), mai 1942. Au chapitre 5 (Mars 1943), un couple sonne chez Étiennette, une veuve de 14-18 : ce sont des juifs qui viennent de la part de sa cousine et qui cherchent quelqu’un à qui confier leur petite fille : Étiennette accueille  ainsi Sara Lévitan, la rebaptise Régine Létang, lui fait faire des faux-papiers et l’élève comme sa propre petite-fille…

La guerre est évoquée par le prisme du village imaginaire de Hauterère, mais qu’on n’imagine guère différent de Presly, village natal de l’auteur, où le village voisin d’Ennordres est cité à plusieurs reprises, ou la proximité avec la route nationale reliant Bourges à Auxerre… et il est raisonnable de supposer, que, derrière la fiction, s’incarnent des souvenirs plus personnels. Ce qui fait toute la subtilité du roman.

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La narration s’écarte volontairement du schéma-type de la saga familiale, qu’est cette trilogie depuis le premier tome, les Sabots vernis (2015), et un Dernier Vol de grues (2016).

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Dans le premier, nous avons suivi le dur apprentissage d’Augustin et sa précoce entrée dans l’âge adulte à cause de la Guerre 14-18 qui a vidé le village de ses hommes, et dans le second, Augustin construit sa vie et bâtit sa famille dans un milieu violent, et hostile.

Les Nuits de Pleine Lune suivent le déroulement de la seconde guerre mondiale à Hauterère sur un modèle assez proche de la série télévisée de France 5 : Un village français, avec son cortège de violences et d’oppression : occupants allemands tout puissants et brutaux, installation d’un maire collabo, Octave Renart…

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Alain Rafesthain nous rappelle que pour un cœur épris de liberté et d’idéalisme, la réalité ne présente jamais que de rares échappatoires et se montre par contre prodigue d’individus qui s’astreignent obstinément à dresser leur portrait en caricature : collabos donneurs de leçons, responsables se comportant comme de vulgaires indics et dont le talent se résume à des dénonciations…

 La guerre tranche avec l’époque moderne par la violence qui explose à la moindre occasion. Le collabo Mateoli n’est malheureusement que le décalque du sinistre Pierre Paoli qui devint tortionnaire pour la Gestapo. Ceux qui échappent à cette logique y gagnent en grandeur mais le roman rappelle utilement des faits d’où sont issues notre modernité et nombre de nos institutions…

 Côté écriture, le style — classique — intègre de nombreuses expressions, allemande, militaire, mais aussi tout un florilège de mots berrichons : les bourries (les fagots pour le four), les Bremailles (les hautes bruyères), la Mésienne — la sieste — ou le Cul-de-loup qui est une hutte semi-enterrée pour citer les plus savoureux.

Enfin, au moment du débarquement, le narration se recentre sur Augustin et déroule une histoire plus surprenante, plus tendue aussi et finit sur un suspense surprenant et bienvenu.

En conclusion, ce troisième tome de la saga du Thym de Bergère, bien qu’inégal au niveau narratif, se signale par sa sensibilité, sa vérité et l’intensité des portraits des personnages qui forment comme un chœur de résistance vibrant et somme toute, actuelle.

Bernard Henninger