Inventée par les Grecs au VIe siècle AVJC, la fable est un procédé consistant à transposer une situation réelle, conflictuelle le plus souvent, dans un univers imaginaire, en général humoristique où les humains sont représentés par des animaux, dont les traits dominants incarnent les « vertus ». Au XXe siècle, Orwell a l’intelligence d’incarner l’idée de la fable dans la Ferme des animaux.
Napoléon, le maître de la Ferme des animaux, est un cochon qui accapare les laitages au détriment des autres. À l’opposé, les classes populaires s’incarnent de diverses manières. Les moutons forment un chœur théâtral sans âme et sans nom, dressés à chanter leur hymne, Bêtes d’Angleterre, de façon à rendre inaudible toute opposition. À eux s’opposent Douce, la belle jument lascive, Malabar le cheval de trait qui répond à tout par un surcroît de travail, Benjamin l’âne marginal qui doute du bien-fondé de la révolution…
Reprenant la tradition des fabulistes d’Ésope à Goupil, la « Ferme des animaux » est un récit tardif de George Orwell qui le mit en chantier au tournant de la guerre en 1943. À peu près au même moment, une autre fable – française celle-là — était publiée aux États-Unis et devait connaître le même éclatant succès : si « Le Petit Prince » dénonce le monde moderne, du côté du capitalisme, la « Ferme des animaux » s’en prend à l’autre versant, les révolutions renversées par des tyrans totalitaires… Il est étrange de voir à quel point les deux récits se complètent et se parlent malgré leurs différences.
En ce qui concerne Orwell, la « Ferme des animaux » précède son chef-d’œuvre, « 1984 » où, renonçant à la fable, il se sert de la science-fiction naissante pour dénoncer les régimes totalitaires qui se maintiennent par l’illusion et la propagande… (et tant qu’à faire, n’hésitez pas à le lire/relire juste après).
Ici la fable permet une généralisation de ce thème des révolutions. Peu de temps avant de mourir, le cochon Sage l’Ancien délivre un message dénonçant les injustices dont sont victimes les animaux de la ferme et appelant à se révolter contre leur tyran, Jones le fermier. Incapable et violent, Jones se saoule, et un soir où il n’a pas nourri ses animaux, ceux-ci sous la conduite de Boule de neige le cochon, se révoltent, le chassent de la ferme et s’organisent spontanément en assemblée révolutionnaire.
Les premiers actes sont la composition d’un chant : « Bêtes d’Angleterre » digne parodie de l’Internationale, l’adoption d’une charte des droits des animaux dont le premier commandement : « Tout deux-pattes est un ennemi » appelle l’attention, d’un drapeau et d’une organisation révolutionnaire dont les cochons prennent la tête. Le premier acte des cochons consiste à s’attribuer de plein droit, le lait des vaches. Suite à des dissensions, Napoléon le cochon prend le pouvoir, accuse Boule de neige de trahison et celui-ci s’enfuit par un trou dans la haie…
Le lecteur n’ignore pas que George Orwell, après un bref passage par les armées coloniales en Birmanie, est devenu un compagnon de route du communisme dans les années vingt. Son parcours suit le parcours de la révolution russe : la prise de pouvoir par les bolcheviques, la mort de Lénine, l’éviction de Trotsky et les pleins pouvoirs incarnés par Staline. Il a aussi participé à la guerre d’Espagne et vu de près l’intervention de l’U.R.S.S., l’éviction et le massacre des volontaires, trotskystes, venus se joindre aux forces républicaines, et au final, la victoire des franquistes… Le chant « Bêtes d’Angleterre » est une parodie de l’Internationale, braillée à tue-tête en guise d’argument.
Toutefois, et c’est tout l’intérêt de l’art de la fable, Orwell connaît l’histoire : depuis la prise du pouvoir par Cromwell, puis celui de la Révolution française à laquelle Napoléon (le cochon) mit fin. La Charte des animaux est aussi un pied de nez à ces Droits de l’homme de 1789 dont les Français semblent si fiers…
Bien au-delà de la dénonciation des régimes totalitaires, Orwell a un regard rétrospectif sur ses engagements, et le fait que toutes les révolutions qui ont réussi, en Angleterre, en France et en Russie, se sont achevées en dictature : aveu qui a dû lui couter à lui aussi !
À la même époque, Gandhi demandait : « Si l’on met fin à la violence par la violence, quand s’arrêtera la violence ? ». Toutes ces révolutions ont pris le pouvoir par l’usage de la violence, et contrairement à ce vieux proverbe réactionnaire (« Qui veut la fin veut les moyens »), la Ferme des animaux démontre que la fin et les moyens sont liés : si l’on prend le pouvoir par des moyens violents, une violence encore plus grande y mettra fin. La fin c’est les moyens.
Comment et pourquoi ? C’est ce qu’il vous reste à découvrir en lisant la Ferme des animaux que le lien ci-joint vous permettra de vous procurer à prix réduit, neuf ou d’occasion, ainsi qu’un bonus, un dessin animé datant de 1954…).
Bernard Henninger
DESSIN ANIME :
https://youtu.be/puB6VYW9LoU