La Messagère de l’espoir, le nouveau roman de Jeanine Berducat est dédié à ses grands-parents. Évocation sensible du climat qui régnait en France, en 1944, entre Libération tant espérée et massacres perpétrés par les miliciens et les nazis…
La Messagère de l’espoir est la dernière parution de Jeanine Berducat : il s’agit d’une évocation historique de la fin de la seconde guerre mondiale, vue depuis la vallée de la Creuse, depuis le village de Cuzion… et du barrage d’Eguzon, nœud stratégique, car il alimentait en électricité le Nord de la France et il était gardé par une garnison d’occupants allemands.
Si on se souvient que c’est dans ce climat incertain, violent, où se multipliaient traîtrises, dénonciations et actes de courage, de résistance à l’occupation allemande (effective depuis 1942) qu’ont été forgées les fondamentaux du monde moderne, les échos de ce temps passé nous parlent encore…
Le roman commence en juin 1944, à Cuzion, en plein conseil municipal : paradoxe, la dernière figure de l’état est (le parallèle avec l’actualité récente est frappant) le conseil municipal, ersatz de démocratie ! Quand rien ne va plus, le maire et le conseil municipal semblent être les dernières instances capables d’incarner la démocratie, une démocratie concrète, fort peu idéale, mais reconnue… Le Dr Jansen lance un appel pour deux petites filles envoyées par la Croix Rouge pour lesquelles il cherche un foyer d’accueil. Le silence qui suit sa demande est éloquent.
Ici comme partout règne un climat de guerre civile : absence d’autorité, une résistance qui s’organise autour de petits maquis, et à Cuzion, les Français se partagent entre résignés, passifs, et les rares actifs, comme Marie qui accepte de servir de messagère entre la résistance et le maquis, où elle tombe amoureuse de Boris, un Russe au parcours héroïque…
Le Dr Jansen poursuit sa quête dans la village, au marché, au café de Cuzion… Alors que tous les villageois se défilent, c’est un immigré, Igor, un Russe chassé par la révolution de 1917, qui accepte d’accueillir les deux petites, avec son épouse…
La chronique se déroule, alternant les points de vue, résistants, conseillers municipaux, jeunes femmes qui font le lien entre le monde caché du maquis et la vie au grand jour, bardée d’interdits, marquée par la répression avec la milice qui fait régner la terreur.
Le silence est la règle, car, hormis le mouchard que tous connaissent, nul ne sait ce que fait son voisin…
Nous retrouvons la thématique chère au cœur de l’écrivain sur l’opposition entre vie moderne et une campagne qui a déjà commencé sa désertification, mais replacée dans le contexte de la guerre. Le style est attachant et les relations humaines décrites avec cœur, les pages défilent sous nos doigts sans peine…
Les éditions LA BOUINOTTE proposent un album de réminiscences, mémoires et témoignages consacrés à une des plus grandes enseignes de la bonneterie qui fit la fortune de Châteauroux pendant un siècle et dans lequel œuvrèrent des bataillons d’ouvrières : les « 100 000 chemises »
J’ai fait mes études à Paris, boulevard Saint-Michel. Juste en face du lycée se dressait un beau magasin tout en vitrines lumineuses surmonté de cette enseigne étrange : Les 100 000 chemises. Pourquoi 100 000 ? (surtout pour un étudiant en mathématiques). Et comme je n’avais pas le sou, cela fait quarante ans que cette question est pour moi restée dans un suspens (pas intenable) mais empli de curiosité… Et voilà qu’arrive entre mes mains cet album, déroulant une litanie de souvenirs. Depuis son fondateur, Maurice SCHWOB, alsacien exilé après la déroute de 1870, un de ces créateurs d’empires qui amenèrent en France la Révolution Industrielle. À l’origine, il y eut un document, recensant toutes les tailles, réalisé par Maurice Schwob :
Au XIXème siècle, pour les habits, il faut passer par un tailleur. L’idée de Maurice Schwob consiste à recenser et rassembler toutes les tailles possibles dans un document encyclopédique : l’acheteur n’a plus qu’à remplir une fiche (ci-dessus) et sa chemise est confectionnée en usine à partir de la fiche. Plutôt cent mille tailles mais à la bonne longueur, en fait, et Maurice Schwob, fut le précurseur de ce qui devint plus tard le prêt-à-porter.
Avec ses associés, Maurice Schwob crée des unités de confection en France, et ainsi, naît une usine de fabrication à Châteauroux qui emploie très vite plus de 500 ouvrières. Il fait partie de ces patrons paternalistes, autoritaires, mais chrétiens et sociaux, et il crée dès 1895 une « société de secours mutuels », ancêtre de ces mutuelles qui, une fois réunies après la Libération, donneront naissance à la Sécurité sociale.
La richesse du livre vient du foisonnant album photo qu’il propose, avec des vues des usines, des ateliers, des ouvrières, des blanchisseuses, et des témoignages, au rang desquels Raymonde VINCENT et Jeanne BODIN :
« On me mit aux finitions « arrêts et boutons », la place des débutantes, des femmes âgées ou des personnes peu douées. J’appris vite mon ouvrage très simple. Malheureusement, au lieu d’en faire une tâche, je le tournai en jeu. Ainsi on devait se rendre à l’autre bout du grand atelier pour recevoir l’ouvrage des mains d’une demi-surveillante, une sexagénaire du genre aigre. En principe, on rendait par douzaines les chemises finies et on en recevait d’autres à faire à la place. Mais le voyage à travers le grand atelier me plaisait beaucoup. Pour ce faire, je trouvais un moyen de rapporter le travail à moitié, m’arrangeant à embrouiller les comptes du cerbère. Elle ne tarda pas à m’avoir dans le nez. Ce fut une antipathie réciproque. Je haïssais le visage grimaçant de cette femme, ses cheveux gris relevés par des peignes sur les côtés et enroulés en un chignon plat par-dessus de la tête. Elle ne paraissait pas seulement méchante, qualité appréciée par les maîtres dans son emploi de sous-surveillante… »
A parte, mise à la porte, Raymonde VINCENT devint l’une des plus grandes autrices berrychonnes, prix Fémina 1937 pour « Campagne »
– Jeanne Bodin –
Un autre tout aussi précis vient de Jeanne BODIN, aujourd’hui un des plus anciennes ouvrières toujours en vie : «… j’entrai aux 100 000 chemises, la chemiserie la plus ancienne mais aussi la plus grande de Châteauroux. J’étais rendue au port, je devais finir là ma carrière… Les quêtes étaient assez fréquentes dans les ateliers. Elles étaient faites par Suzanne pour le Parti Communiste. Ce jour-là, elle annonça qu’elle allait faire la quête pour les enfants espagnols (c’était la guerre là-bas). Nous manquions de travail, je pensais être licenciée (…) La patronne, madame Charles me fit appeler et me dit que si je ne trouvais rien d’autre elle me gardait. Je protestai, je savais qu’une autre partirait à ma place. Mais tout était arrangé… »
Les témoignages s’entrelacent avec des photos, et font de ce livre un document passionnant que j’ai lu avec un ravissement croissant. Réalisé sur une impulsion de l’OPAC 36, de M. Pascal Longein, et de M. Thierry Desfougères, le but était de constituer en quelque sorte un « mémoire ouvrière». Par les photos, les portraits et les témoignages qu’il a recueillis, l’auteur, Yvan Bernaer, a réalisé un vivant ouvrage et un beau témoignage de la vie ouvrière en Berry au siècle précédent.
Bernard Henninger
La réhabilitation du quartier des 100 000 chemises a été largement traitée par France 3 Centre-Val-de-Loire dont la vidéo ci-dessous.
Qui était Lise ? Une excentrique ? Une vieille dame nostalgique ? Une écrivain ? Ou une grand-mère facétieuse ? Les Secrets de Lise est un beau roman de Jeanine Berducat qui met les pieds dans le plat de la modernité en posant les questions qui nous gratouillent …
Le roman ouvre sur les obsèques de Lise, auxquelles assistent ses proches, et le responsable d’une association littéraire qui résume une vie riche d’amis, de rencontres et de romans qui ont fait de Lise une figure reconnue de ce hameau du Poirond, au fin fond de l’Indre, à la frontière avec la Creuse.
Lise a eu quatre petits-enfants : Judith et Sébastien, et leurs cousins, Aurore et Nicolas, tous présents pour les obsèques de cette grand-mère perdue de vue, et considérée — sans oser le dire à voix haute — comme toquée, passéiste et un brin radoteuse, mais aimée, malgré tout…
Convoqués à quelques temps de là, les petits-enfants découvrent que Lise leur a imposé une dernière volonté, légèrement facétieuse : elle désire que sa maison reste en indivision pendant six années, à charge pour ses petits-enfants de s’y retrouver une semaine tous les ans, d’échanger et de réfléchir !
En guise de viatique, chacun reçoit un exemplaire de son dernier manuscrit, ainsi qu’un petit cadeau, différent pour chacun, à l’un un flacon empli de terre, à un autre un billet de banque réduit en confettis… nulle indication, juste le souhait de Lise que chacun lise sa dernière œuvre, prenne le temps d’y réfléchir et résolve le rébus que constitue le petit cadeau…
Animatrice dans des clubs de vacances, Judith est la première à s’engager, elle adorait cette grand-mère qui s’est dépensée sans compter pour ses petits-enfants. Veillant à l’exécution du testament, et, disposant de temps libre, elle s’installe dans la maison du Poirond qu’elle explore, exhumant souvenirs, photos jaunies et sorties pour rencontrer les amis et proches de Lise.
Sensible au désir de sa grand-mère de faire réfléchir ses petits-enfants, et d’ailleurs, rebutée par la superficialité de son métier d’animatrice, elle est bientôt gagnée par un certain dégoût de la vie qu’elle a menée jusque là : elle emménage définitivement au Poirond, en quête de redéfinir sa vie sur des bases renouvelées : la nécessité de comprendre les mœurs de cette campagne qui disparaît et de ce qu’elle avait au fil des siècles façonné de meilleur.
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Cadre d’un groupe pétrolier, son frère Sébastien travaille sur des chantiers lointains et sa compagne déteste cette campagne, sa verdure et son peu de conformité avec les canons de la Modernité, qu’ils connaissent tous par cœur à défaut d’y avoir réfléchi. Toutefois, alors qu’il est gagnée par le cafard, un soir au fin fond du Soudan, Sébastien ouvre le manuscrit de Lise…De même pour leurs cousins, Aurore rêve d’artifices, de vitesse, se saoule de randonnées à moto avec son petit ami. Nicolas est le seul à avoir pris racine au pays, paysan, travailleur acharné, grevé d’emprunts pour gagner un salaire de misère, il court lui aussi d’un bout à l’autre de sa journée après un travail qui lui échappe toujours plus… S’il nourrit des doutes sur cette modernité qui se résume à une course déjà perdue contre le temps, il n’en dit rien et s’en remet à sa compagne.
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La problématique est posée, et le roman se déroule à la manière de ces paraboles bibliques où les êtres sont pris dans une vie qui ne leur offre que souffrances, fuite en avant, ou nécessité de s’étourdir dans des plaisirs imposés. Chacun est amené à réfléchir sur le sens de sa vie, de sa conception de la modernité, la vitesse, et ces tâches qu’on exécute avec un vertige croissant.
Or, poser la question, c’est parfois y répondre.
Que la jeunesse aime la vitesse, c’est une évidence et c’est son droit. Que la vie impose à chacun une course erratique pour une quête de bonheur qui s’achève dans la souffrance, à l’hôpital au premier accident ou dans une solitude douloureuse que la vitesse ne peut masquer… est aussi une problèmatique moderne. A quoi sert le Burn Out, par ex, à celui qui en est la victime ? Lise — et l’auteur — nous posent à nous aussi la question de la modernité. Est-ce bien ce dont nous avions rêvé, à vingt ans, que cette course sans fin dans des activités dont la vanité peut faire monter le dégoût en bouche ?
La question de la souffrance et sa résolution, est au cœur de la réflexion bouddhiste ou chrétienne, elle est centrale, aujourd’hui, à l’époque des Start’Uper et de leur volonté de tout bousculer sans tenir compte des dégâts qu’ils provoquent autour d’eux, démiurges au parfum parfois usurpé de philosophie (que dirait Paul Ricœur de l’usage qui est fait de son travail ?) et semant désolation et destruction sur leur passage. Est-ce bien le monde que nous voulons ? Que nous voulons non seulement pour nous, mais pour ceux qui vont nous succéder ?
Il y a un art de la nostalgie chez Jeanine Berducat que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier avec un précédent roman, « Jeanne des Eaux Vives » et un goût des humains, des rencontres, que je trouve précieux et extrêmement émouvant, qui font des Secrets de Lise une lecture enrichissante, et une invitation à réfléchir, comme en miroir, les questions qui se posent à chacun de ses héros… et, plutôt que de céder à un monde qui préfère s’étourdir plutôt de méditer, prendre le temps de savoir ce que nous voulons, et ce que nous pouvons.
Dans un premier temps, les Secrets de Lise nous invite à suivre les pas de Judith, Aurore, Sébastien, Nicolas et des autres que leur réflexion va attirer comme un aimant d’humanité.
Bernard Henninger
PS : un sujet que France 3 avait consacré à Jeanine Berducat et qui nous en apprend beaucoup sur les Secrets de Lise :