04 Avr

Le Labyrinthe des gardiens (Marie Brennan), mémoires de Lady Trent (tome 4)

Le Labyrinthe des gardiens, tome quatre des « Mémoires de Lady Trent » de Marie Brennan nous conduit dans le désert, étudier les dragons, leurs mœurs et la manière dont ils survivent à l’aridité… 

Cette saga étudie scientifiquement les dragons, espèce sauvage chargée de mystères… Elle a été publiée en France de 2016 à 2018 et forme un pilier incontournable de librairie. (Le premier tome a remporté le prix du roman étranger aux Utopiales 2016)

Située dans un univers qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Angleterre Victorienne – chaque récit nous entraîne dans cet imaginaire, constitué de vastes îles continentales. Chaque expédition vise une contrée où vit une espèce de dragons et où chaque peuplade semble entretenir un rapport caché avec cette espèce qui occupe un sommet de la pyramide écologique… avec les humains.

Ce motif rend cette quête passionnante, mais l’essentiel semble aussi résider dans un motif réaliste : l’étude des sociétés du dix-neuvième siècle du point de vue de la femme. Isabelle Camherst, future lady Trent, surmonte les obstacles que les sociétés lui opposent en l’emprisonnant dans un sérail qui la caractérise. En matière de marginalisation, la société victorienne du Scirland n’a rien à envier aux contrées que la saga nous fait visiter.

Isabelle Camherst est associée à Tom, jeune homme dont la modestie suffirait à lui interdire la reconnaissance de l’université. Ces deux marginaux s’épaulent l’un l’autre dans leur défi commun : mener des expéditions au long cours pour étudier les différentes populations de dragons.

Dans le premier tome, Isabelle épouse lord Camherst, passionné lui aussi de dragons, et participe à sa première expédition en tant qu’épouse… et dessinatrice. Après le décès de son mari, la jeune veuve prend son propre envol et s’engage dans une carrière scientifique. Bien que la société, l’université et tout le Scirland soient hostiles à son projet, Isabelle, intrépide, curieuse, désireuse de vivre sa vie sans avoir à rendre de compte, suit une vie aventureuse, tandis que l’étude des dragons l’amène à se pencher sur un antique peuple, les Draconiens et les rapports mystérieux que ceux-ci entretenaient avec les mythiques dragons.

Dans ce quatrième tome, Isabelle et Tom sont envoyés en Akhie  développer un élevage pour le compte des militaires… Dans cette contrée désertique, dirigée par un puissant sheik, les Akhiens ne reconnaissent aucun pouvoir à cette étrangère… Mieux, les hommes refusent de parler aux femmes, et lady Camherst est contrainte de demander à Tom de traduire ses paroles et de la représenter. Pourtant le frère du Sheik se révèle être l’homme dont elle est précédemment tombée amoureuse : Suhail, archéologue, dont les recherches historiques se lient avec les dragons du désert…

J’avoue lire à mon gré cette saga, et ne lire qu’en 2021, ce quatrième tome et comme je n’ai pas lu l’ultime épisode de cette saga, je ne pourrais pas « spoiler » le secret des dragons… mais je ne peux que témoigner du plaisir très vif que j’éprouve à plonger dans cette évocation pleine de mordant, de piquant et d’ironie…

Note biographique sur Marie Brennan : née en 1980, diplômée d’Harvard, Marie Brennan a co-présidé la Harvard-Radcliffe SF Association, étudié l’archéologie, l’anthropologie et le folklore à l’Université de l’Indiana avant de devenir écrivain.

Bernard Henninger

Portrait de Marie Brennan : © Bernard Henninger, les Imaginales 2018.

24 Mar

Suggestions de lectures ou comment rendre fécond le confinement…

Quelques suggestions pour musarder dans les livres et fortifier votre esprit dans la perspective de la fin du confinement. Portez-vous bien, enroulez vous dans votre couette et prenez du temps pour rêver…

Ce jour, en rangeant ma bibliothèque, je suis tombé sur des titres qui sont des mines de lecture, des explosions d’émotion ou de ravissement et je me suis dit que je pouvais moi aussi consacrer quelques lignes aux lectures que vous pourriez reprendre, relire, ou découvrir, car s’il y a une utilité à la vie en confinement, la lecture calme, elle alerte l’esprit, stimule le cerveau et active vos émotions. Lire, c’est ouvrir une fenêtre sur de grands espaces où vous pouvez vous ébattre en toute tranquillité loin des miasmes et tapages politiques et médiatiques…

Si vous n’avez pas de bibliothèque, la première chose consiste à trouver les livres, et plutôt que de vous rendre dans une enseigne tapageuse, je vous suggère plutôt d’aller fouiner dans les livres d’occasion : Rakuten-Priceminister, eBay, Le Bon Coin, mais aussi chez nos amis belges : Delcampe. Enseignes spécialisées dans l’occasion, vous y trouverez de tout, et surtout des livres, à petits prix auprès de particuliers… et des plus jolis si vous aimez les livres reliés ou les éditions anciennes.

Pour commencer, en remontant dans les livres anciens, je commencerai avec les Histoires de monsieur Keuner : de très courtes histoires, d’une à deux pages, chacune est un condensé d’intelligence et de perspicacité. Parfois, il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour en percer le / les sens. A lire lentement, pas plus d’une par jour, et méditer après :

Monsieur K. dit un jour : « Celui qui pense ne prend pas une lumière de trop, pas un morceau de pain de trop, pas une pensée de trop. »
ou encore :
Tous les jours, je me rends
Au marché des vendeurs
De mensonges, et plein d’espoir,
Je me range à leurs côtés.

Si vous êtes en guerre, il y a La Peste de Camus, toujours le bon moment de la découvrir, ou redécouvrir. La peste du livre, est plutôt la peste brune qui sévit de 1939 à 1945 mais elle en dit beaucoup sur les exigences des peuples après guerre quant à ceux qui les avaient conduits à la catastrophe : 

Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arrivé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d’insolite…

Moins tapageur, mais écrit lui aussi dans des temps de couvre-feu et des ravages de la guerre (Prix Renaudot 1945), Le Mas Théotime d’Henri Bosco est un roman qui brûle encore d’un sombre feu :

En août, dans nos pays, un peu avant le soir, une puissante chaleur embrase les champs. Il n’y a rien de mieux à faire que de rester chez soi, au fond de la pénombre, en attendant l’heure du dîner. Ces métairies que tourmentent les vents d’hiver et que l’été accable, ont été bâties en refuges, et, sous leurs murailles massives, on s’abrite tant bien que mal de la fureur des saisons…

La magie d’un été et loin des tourments de la plaine, un amour qui sera comme un incendie…

Plus surprenant, un petit opuscule d’Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, écrit en 1942, Saint-Exupéry s’adresse à un ami resté « otage » dans une France occupée, persécuté dans son pays qu’il ne peut quitter. À travers un signe d’amitié envoyé à l’ami qui souffre, son texte rend hommage à la France. Je l’ai trouvé au marché aux livres, mais on le trouve partout, sa brièveté est l’égale de sa sensibilité : 

  Quand, en décembre 1940, j’ai traversé le Portugal pour me rendre aux Etats-Unis, Lisbonne m’est apparue comme une sorte de paradis clair et triste. On y parlait alors beaucoup d’une invasion imminente et le Portugal se cramponnait à l’illusion de son bonheur […]
  Lisbonne devait aussi son climat de tristesse à la présence de certains réfugiés. Je ne parle pas des proscrits à la recherche d’un asile. Je ne parle pas d’immigrants en quête d’une terre à féconder par leur travail. Je parle de ceux qui s’expatriaient loin de la misère pour mettre à l’abri leur argent…

Si vous  préférez les contrées de l’imaginaire, il faut toujours garder une pensée préférée pour Les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, ou les aventures d’un esprit en quête de poésie qui se confronte à un monde que des humains brutaux et maladroits ont ravagé : exterminant la vie rare et fragile de la planète, imposant leurs mœurs, pour finalement disparaître jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les ruines d’une somptueuse villa où tout est automatisé : le réveil-matin, la radio, le petit-déjeuner automatique… (Usher II)

Il y a aussi Le Monde perdu de Conan Doyle, un plateau au milieu de l’Amazonie, une région dont ni le président Bolsonaro ni le président Trump ne savent rien et où a survécu une faune fabuleuse… il vaut mieux d’ailleurs, ils seraient capables d’y allumer des incendies et d’accuser la terre entière des destructions.

Si ces références, que vous pouvez trouver à petits prix, vous semblent trop anciennes, je peux aussi vous ramener à un auteur de polar maison, puisqu’Orléanais, Philippe Georget est un auteur de polars haletants… L’été, tous les chats s’ennuient, le Paradoxe du Cerf Volant, ou plus récemment : Amère Méditerranée.

Plus récents encore, Histoire naturelle des Dragons de Marie Brennan vous mènera dans une contrée inconnue, ce qu’on appelle du Steampunk, une contrée inventée de toutes pièces mais qui a évolué selon les technologies du XIXème siècle, dans une Terre peuplée de dragons sauvages, qu’une jeune femme, pionnière du féminisme, part étudier dans des voyages au long cours (Mémoires par Lady Trent)(traduit par Sylvie Denis). Cinq tomes sont parus, l’occasion de parcourir le monde et de se demander pourquoi et comment le monde peut fonctionne avec des mœurs aberrantes… 

et enfin, une saga dont le dernier opus vient  de clore un cycle magique : La Passe-Miroir de Christelle Dabos, est un ensemble, qui avait été écrit pour les adolescents, et qui a connu un immense succès tous publics. Le premier tome est en poche et a pour titre Les fiancés de l’hiver :

  Ophélie resta immobile un moment dans l’encadrement de la porte. Elle observa les fils de soleil qui glissaient lentement sur le parquet au fur et à mesure que le jour se levait. Elle respira profondément le parfum des vieux meubles et du papier froid.
  Cette odeur, dans laquelle son enfance avait baigné, Ophélie ne la sentirait bientôt plus.

Ophélie est une petite femme, plutôt frêle, archiviste, avec des lunettes sur le bout du nez. On la croirait fragile, elle a une âme puissante comme le fer, on la croirait perdue, mais si vous lui donnez un objet, elle enlève ses gants, et simplement en le touchant, elle est capable d’en retranscrire l’histoire et celle de tous qui l’ont touché… Un pouvoir qui terrifie le monde entier.

Or sa famille vient de la marier dans une Arche située très au Nord, dans une société violente : son inquiétude quant à son destin, et un mariage qui lui semble cruel, va être balayée car un typhon de magie s’approche et va menacer ces mondes imaginaires, parmi les plus originaux qu’il nous ait été donner de découvrir depuis vingt ans…

Je m’arrête là, j’espère que vous vous lancerez dans vos propres bonnes et joyeuses lectures et le temps de réfléchir au monde que vous voudrez demain, car, c’est peut-être la seule question qui vaille…

Bernard Henninger

Post Scriptum : et celui-là vient de sortir, et je crois qu’il va peupler mes nuits sans tarder…