Ce dimanche 16 octobre restera un jour historique. Ce n’est pas tous les jours que l’Eglise demande pardon pour des crimes commis et ça fait presque 800 ans que les Bonshommes dits « cathares » attendaient cette repentance. Les Occitans aussi. Retour sur cette journée pleine de symboles et d’émotions, marquée par l’évêque de Pamiers Jean-Marc Eychenne avec des mots, des gestes, pleins d’humanité.
Prélude
Les nuages avaient du mal à se dissiper quand je suis arrivé à Montségur. Ce qui frappe d’entrée, c’est la beauté du site, ses maisons souvent ornées de croix occitanes et des « oustals » mis à toutes les orthographes.
Photo : Lo Benaset
Ce matin, non loin de l’église, les Occitans ont pris place. Des stands, de l’animation et déjà quelques personnes qui flânent. Dans les rues enchevêtrées de Montségur, on entend l’occitan mais beaucoup l’anglais, l’allemand, le néerlandais… Pour faire patienter, le groupe Fontanet de Monségur joue ses créations, revisite Moussu T, Lluis Llach, Los Pagalhós. Je croise beaucoup de caméras.
14H Les premiers rayons percent, timides, encore froids. L’évêque Jean-Marc Eychenne fait lui aussi son apparition, le geste avenant, sourire aux lèvres. Il se prête volontiers aux interview.
Jean-Marc Eychenne en interview Photo : Lo Benaset
Parle de repentance, de ces crimes, ces souffrances intolérables, indéfendables commis par l’Eglise. De ces chrétiens pas tout à fait comme les autres, que l’Eglise a pourchassé, jusqu’à les faire mourir sur un bûcher… Parle de l’Histoire qui ne manquera pas de juger quelques siècles plus tard les faits commis aujourd’hui, ces migrants que l’on se doit d’accueillir.
15H La place de Monségur est désormais bien ensoleillée, noire de monde. On se presse pour rentrer dans l’église. Les forces de l’ordre sont omniprésentes, fouillent et refouillent, ont inspecté l’église dans les moindres recoins. Presque 200 personnes à l’intérieur, 400 à l’extérieur… Edouard de Laportalière et Monseigneur Eychenne donne des poignées de main, des signes de fraternité. A des fidèles, mais aussi des non-croyants, des politiques, des occitans, beaucoup d’étrangers. J’ai rencontré des personnes venues spécialement de Suisse, de New-York, d’Allemagne, de Catalogne, d’Espagne, d’Angleterre, dont un grand gaillard de deux mètres avec un écusson « catars ». Le silence commence à remplir l’église.
15H20 Edouard de Laportalière puis l’évêque formulent leur demande de pardon. Un tau du christ pendu autour du cou (signe cher aux disciples de Saint François d’Assise).
L’évêque qui porte la croix en tau Photo : Lo Benaset
Il y a cette image forte de Jean-Marc Eychenne et 2 prêtres, face au chœur, à genoux sous le regard d’un diacre venu avec sa fille…
Les mots de l’évêque sont forts : « Sous les cendres, les braises sont encore chaudes. Le feu de l’injustice brûle encore. » Ils savent être simples : « nous avons le désir de tendresse et de paix », il cite Hannah Arendt qui a analysé « la banalité du mal ». « Nous demandons la capacité de pleurer, de briser la glace de nos indifférences.. Que la pluie de nos larmes éteignent le feu ». Une homélie empreinte d’humanité et de mots justes, faisant parfois référence aux troubadours, à leur poésie, à l’Occitanie et ses valeurs. A ces « rames de laurier qui pourraient reverdir ».
15H30 Muriel Batbie entonne a capella le « Jésus Christ » de Guiraut Riquier, tout en retenue et nuances. L’église en frisonne encore. Les portables s’agitent pour prendre des photos, une dizaine de caméras filment l’événement. Elle vient réciter le « Nòstre paire » qui date du XIIIème siècle.
L’émotion a gagné l’église. Après plusieurs gestes de fraternité, un « Boièr » plaintif et prenant chantée par Béatrice et Marie-Ange Lalanne vient clôturer la cérémonie.
16H, direction La Prada, pour une marche silencieuse, sur les hauteurs du village, en contrebas du château. Certainement le lieu où périrent les 225 Parfaits en mars 1244. Le maire de Montségur fait le comptage : plus de 600 personnes, sans compter ceux qui n’ont pas pu ou voulu monter de l’église.
Xavier Vidal, Claude Roméro, Nicolas Desvenain et d’autres jouent de la musique au pied du pog. Le Se Canta est repris par toute l’assistance, une branche de laurier à la main. Le recueillement et l’émotion sont grands. On voit plusieurs personnes, notamment des jeunes complètement pris par la cérémonie. L’évêque est encore là, toujours souriant. Surprise : Marti dégaine sa guitare et chante…Montségur !
17 H, la journée se termine au foyer pour le pot de la Convivencia. L’Eglise a mis du temps pour se faire pardonner mais la personnalité de Jean-Marc Eychenne ne laisse aucune ambiguïté sur la sincérité du geste.
Le dernier Parfait Guilhem Bélibaste l’avait prédit : « Al cap de 700 ans, verdejarà lo laurèl ». Au bout de 700 ans, le laurier a bien reverdi à Montségur. Et ses ramifications pourraient être nombreuses.
Lo Benaset @Benoit1Roux
Photo : Lo Benaset