S’il y a un ciel et que Johnny nous regarde, il doit être déçu.
Le déluge de vulgarité déversé par les médias sur cette sinistre affaire d’héritage est en train d’abimer les souvenirs de milliers de gens. Tout au long de sa vie Johnny n’aura travaillé qu’à une seule chose, leur en donner pour leur pognon lorsqu’il était sur scène. Peut-être n’était-il bon qu’à cela mais il le faisait bien. D’accord, il n’était sans doute pas un père idéal, sûrement pas un mari modèle, quant à son amitié, elle était à géométrie variable selon le hasard des rencontres. Acteur de sa vie pour oublier des trahisons lointaines, il ne vivait que dans le regard des autres. Oserai-je dire que seul il n’avait pas d’existence ? J’ai toujours pensé qu’une nuit de solitude pouvait le tuer.
L’éventail de ses amis était un peu trop large. Des vrais, des sincères, il en aura sans doute eu quelques-uns, mais pour combien de courtisans, d’envieux et de profiteurs en tous genres ? Depuis 1962, vous n’imaginez pas le nombre incalculable de gens que j’ai vu déclarer être son « frère », ça lui aurait fait une putain de famille nombreuse au Jojo. Je n’ai jamais été son frère, et étais-je son ami ? Ce dont je suis certain c’est que j’avais pour lui de l’estime et de la tendresse et tout au long de sa vie il m’a montré qu’il me le rendait bien. C’était largement suffisant. Ami est un mot bien trop galvaudé dans cet univers-là, je n’y crois plus guère depuis longtemps.
Lorsqu’un type capable d’enflammer un stade de vingt-mille personnes sort de scène, on ne peut pas lui présenter la note de gaz et lui demander d’aller chercher le petit le lendemain à l’école. Ça ne marche pas comme ça. Certains y arrivent peut-être, mais ils ne sont pas Johnny. Il n’y en avait qu’un comme lui dans la chanson française, de même il n’y a qu’un Depardieu au cinéma et un Elvis Presley dans le rock des années 50. Ces gens-là il faut les prendre comme ils sont et ne jamais retourner le tableau pour chercher la vérité, on ne veut pas la savoir, il ne faut pas briser les rêves des gens.
Ce que je lis, ce que j’entends depuis quelques jours me révulse. Comment peut-on atteindre un tel degré de vulgarité pour évoquer publiquement sa faiblesse physique des derniers jours ? Donner de lui une image dégradante signifie cracher à la figure de tous les gens dont la vie fut embellie par les chansons et le personnage qu’il s’était inventé. C’est une minable trahison.
L’évènement à la Madeleine était certes impressionnant, cependant il ne m’a pas vraiment plu. Pourquoi lui organiser une cérémonie digne de Simone Veil ? Johnny n’avait rien à voir avec cette grande dame. C’était un petit belge devenu français qui rêvait d’Amérique et qui finit par devenir le plus grand rockeur du pays. On aurait dû confier son cercueil aux motards pour descendre les Champs-Élysées afin qu’ils le posent sur la scène de la place de la Concorde. Là ses musiciens auraient joué ses chansons et les gens auraient chanté pendant trois heures. Car dans les rues ce matin-là il y avaient ses meilleurs amis, à savoir la foule désintéressée de ceux qui, sans rien attendre en retour, l’avaient toujours accepté pour ce qu’il leur donnait.
Alors messieurs et dames des médias, arrêtez le massacre.
Cette histoire d’héritage ne nous regarde pas.
Jean-Marie Perier
PS : Rien que la semaine dernière j’ai reçu des propositions pour participer à deux documentaires de 52 minutes sur « L’héritage de Johnny ». Je n’en veux pas à ces journalistes, ils répondent à une demande des chaînes, mais qu’ils me pardonnent de décliner l’invitation. J’essaie d’éviter de parler de cette histoire. En plus, ces interviews de 45 minutes dont vous gardez trois phrases, je préfère passer. N’ayez aucune inquiétude, il y a suffisamment de gens prêts à tout pour montrer leur tête dans le poste, vous ne manquerez pas de clients. Mais l’idée de me retrouver au milieu de « spécialistes de la chanson française » ou « d’amis » évoquant un Johnny qu’ils connaissaient à peine et qui racontent les années 60 alors qu’ils étaient encore en classe, merci j’ai déjà donné.