29 Nov

Ma photo de groupe du cinéma français pour Lino

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Une agence de publicité m’a demandé récemment de faire une photo afin d’aider l’association « Perce-Neige » créée par Lino Ventura il y a fort longtemps. J’ai accepté avec d’autant plus de plaisir que je connaissais un peu Lino et sa femme, et que j’avais d’ailleurs déjà réalisé un clip pour leur association il y a une quinzaine d’années, tellement j’avais été ému par leur ténacité à aider les enfants autistes.

Cette photo consistait à réunir un groupe d’acteurs du cinéma français sous le portrait de Lino.

On me demande assez souvent de faire des photos de groupe depuis cette journée merveilleuse de 1966 où j’ai pu réunir les 46 chanteurs représentant les années 60. Si ça continue, je vais finir photographe de mariages. J’irai de villages en villages, avec ma petite échelle…

Bref, la difficulté de ce genre d’exercice ne tient pas tant dans la prise de vue que dans le fait de réunir ces artistes, lesquels on souvent un emploi du temps chargé. Contrairement à 1966, ce n’est pas moi qui était chargé de prendre les rendez-vous mais les gens de l’agence.          

Je plaignais ces derniers car la légèreté des sixties est un doux souvenir, aujourd’hui les choses sont beaucoup plus compliquées. Ils ont bien fait les choses, beaucoup de ces artistes sont venus et pas des moindres.

Mais pour moi bien sûr, il y avait deux grands absents : Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Ces formidables acteurs font partie de votre vie comme de la mienne, avec cette seule différence, je les ai bien connus, surtout Alain. En plus j’ai eu la chance qu’ils me fassent tous les deux confiance pendant de longues années. Vu leur attachement à Lino Ventura j’étais certain qu’ils viendraient passer une heure avec nous en souvenir de cet homme magnifique, ne serait-ce que pour aider cette association qui était l’oeuvre de sa vie.

Sachant Jean-Paul affaibli par la maladie, je n’ai pas osé le relancer directement. Je me suis seulement permis d’envoyer un mail à Alain pour lui dire que s’il n’était pas là, j’aurais le sentiment que sur le portrait gravé sur le mur, Lino sourirait un peu dans le vide. À ma grande surprise il ne m’a même pas répondu. Preuve que les années passent. Ce n’était pas son genre.

Claude Lelouch était là, heureusement, car à part les gens de l’association, nous étions les seuls à avoir connu Lino et sa femme.

Voici donc cette photo des représentants du « cinéma français » qui ont bien voulu venir.

Je les en remercie.

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À la fin de la séance, j’ai demandé à tout le monde de fermer les yeux. J’aime bien cette photo où les acteurs d’aujourd’hui ont l’air de rêver à un Lino Ventura qui sourit pour toujours.

Jean-Marie Périer

09 Nov

Papillon, la Guyane, les 4 anciens bagnards et mon film perdu

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Henri Charrière dit Papillon et Françoise Hardy à Saint-Tropez à la fin des années 60 (© Jean-Marie Périer)

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Henri Charrière dit Papillon et Françoise Hardy à Saint-Tropez à la fin des années 60 (© Jean-Marie Périer)

J’entendais l’autre jour à la radio le chanteur Sanseverino parler de sa passion pour le livre sur la vie de Papillon, l’énorme succès littéraire des années 60. Il faudra que je le rencontre un jour car il se trouve que non seulement j’ai bien connu l’ancien bagnard évadé de Guyane, mais c’est grâce au succès de son livre que j’ai été tourner là-bas mon premier long-métrage en 1968. Il s’appelait « Tumuc Humac », nom des montagnes amazoniennes voisines, et accessoirement titre impossible à retenir.

C’était une fiction que nous écrivions Jacques Lanzmann et moi en descendant la rivière en pirogue entre Saint-Laurent du Maroni et Maripasoula tout en dormant chez les indiens en compagnie de mon frère Marc Porel et de la chanteuse Dani, les deux héros de notre histoire. Mais si j’évoque ce film, c’est parce que j’y ai fait jouer quatre des derniers bagnards encore vivants depuis que de Gaulle les avait libérés en 1945.

Le premier tenait un café à Cayenne et c’est lui qui m’avait le mieux renseigné sur Papillon. Il est clair que ce dernier avait emprunté plusieurs histoires vécues par d’autres bagnards pour écrire son livre. Sans doute un peu trop proches des gardiens, les prisonniers l’avaient surnommé « Le porte-clef », même si une partie de son histoire était vraie puisqu’il avait quand même réussi à s’évader de l’ile du Diable. Je garde le souvenir de ces deux nuits passées dans cet endroit sinistre éclairé par la lune. Les murs de la prison étaient envahis par une forêt de lianes, comme si celle-ci voulait effacer les traces des supplices infligés à ces maudits de la République.

J’avais rencontré le deuxième ancien bagnard quelques mois avant le tournage et lorsque, après qu’il eut accepté d’apparaître dans mon film, je lui demandai où je pourrais le retrouver, il m’avait désigné un tronc d’arbre au bord de la route. Revenant enfin en Guyane avec un certain retard et je le retrouvai effectivement à l’endroit qu’il m’avait indiqué. Comme je le priais de m’excuser il me répondit dans un sourire: « Vous savez, j’ai passé trente ans dans une geôle de trois mètres sur deux, aussi, vous attendre fut un plaisir ! »

Je trouvai le troisième un soir sur les marches d’une église de Cayenne. D’accord pour tourner dans le film, il m’avait donné rendez-vous pour le matin suivant sur ces mêmes marches. Le lendemain matin, personne. Comme je me renseignai auprès du tenancier du bar, celui-ci m’expliqua que depuis le jour de sa libération le petit homme n’avait plus jamais cessé de marcher tous les jours entre Cayenne et Saint-Laurent, rendant visite au passage à ses amis chasseurs de papillons. « Suivez la route et vous le trouverez. » m’avait-il-dit. Effectivement quelques kilomètres plus loin il marchait d’un pas vif comme s’il voulait encore fuir le souvenir de sa cellule.

Le quatrième vivait dans un village de lépreux près de Maripasoula, il s’occupait d’entretenir le cimetière. Il nous avait reçu dans sa petite cabane dont les murs étaient entièrement recouverts de photos de Paris. Il nous parla de sa fiancée, une hôtesse de l’air qu’il comptait bien un jour accompagner pour revoir la tour Eiffel. À la fin de la journée, lorsque je me renseignai sur lui auprès d’une des bonnes soeurs qui soignaient les lépreux, elle répondit d’un air amusé que, bien sûr, cette femme n’existait pas, qu’elle n’était que le fruit de l’imagination du vieil homme, un rêve ancien, datant sans doute de ses années de bagne.

Jean-Marie Périer

02 Nov

Celui qui brille « dans le poste »…

© Jean-Marie Périer

© Jean-Marie Périer

Sans vouloir jouer les rabat-joies, il me semble urgent de mettre un frein à une pratique récurrente dans les médias parisiens qui consiste à faire de l’humour sur le cannabis et autre cocaïne en pensant que c’est anodin. Il ne se passe plus un jour sans que, sans même s’en rendre compte, une émission populaire ne fasse la promotion de stupéfiants en tous genres. Le moindre chroniqueur en mal d’inspiration ne recule plus devant une plaisanterie sur le sujet, sûr d’obtenir ainsi un effet auréolé de rigolades aussi vulgaires qu’irresponsables.

C’est bien joli de faire la promotion des drogues diverses à seule fin de redorer son petit blason de vieux jeune, cela participe néanmoins d’un mépris absolu pour tous ces adolescents au quotidien sans espoir qui par ennui autant que par manque de repères, se piquant de vouloir ressembler à celui qui brille « dans le poste », finiront par se piquer tout court pour finir en légume sur le gazon des squares ou en momie agenouillée dans les toilettes d’une gare. Je ne saurais vous dire le nombre d’amis, voire de proches, que j’ai vu emprunter cette sinistre route, croyant ainsi échapper à leur vie en suivant une mode. Je connais même un bac plus cinq qui ne parle plus qu’aux cailloux.

C’est pourquoi il me semble criminel de banaliser la drogue lorsqu’on a la responsabilité d’une émission de télévision ou de radio dans le seul but de provoquer un rire facile. Pardonnez-moi, mais derrière ce rire, moi je vois des vies perdues, des familles effondrées et des morts inutiles.

Je sais depuis longtemps que la guerre contre la drogue est perdue, que les gros trafiquants, disposants de moyens financiers dont aucun gouvernement n’oserait rêver, se rient des coups de mentons des dirigeants impuissants, des polices dépassées et des donneurs de leçons dans mon genre. Je sais bien qu’aucune autre économie ne permet à un jeune garçon de faire vivre sa famille en passant quelques heures par jour à guetter un coin de rue. Aussi j’en veux à ceux-là qui plaisantent aux heures de grande écoute de ne pas se rendre compte qu’en batifolant sur un rail de cocaïne ils dansent sur des tombes.

Jean-Marie Périer