Interview d’Eric Lashon pour « Le Villefranchois ».
Eric Lashon: Avec ce livre vous signez une oeuvre pleine d’humour mais aussi très féroce dont le thème central est l’inéluctabilité de l’âge et le cortège d’inconvénients qui lui est attaché. Est-ce une forme d’exorcisme ?
Jean-Marie Périer: Oui absolument, ça ne sert à rien, je sais, mais on ne peut pas faire que des choses utiles… En fait, je pensais que je serais toujours jeune. Désolé, je ne vois aucun intérêt à vieillir. Où est-elle la fameuse sagesse ? Moi j’ai 20 ans dans la tête mais la caisse ne suit pas. Et ne me parlez pas de l’expérience, j’ai passé ma vie à refaire les mêmes conneries.
Eric Lashon: Vous avez choisi d’écrire ce livre comme un recueil de nouvelles et de nous présenter une galerie de personnages confrontés à la vieillesse y compris du point de vue de la femme. Pensez-vous qu’il existe une grande diversité par rapport au vieillissement physique et donc aussi entre les sexes ?
Jean-Marie Périer: Oui c’est assez injuste d’ailleurs. À un moment donné les femmes perdent des armes qui ont fait leur force dans leur jeunesse. Ce changement doit être cruel pour certaines. En même temps quand elles sont jeunes, elles s’en servent aussi pour nous les briser menu. Et nous on plonge comme des grands ! Il faut bien qu’il y ait une justice. Vieillir est peut-être plus simple pour un homme, encore que… Arrêtez de me bassiner avec la beauté des rides. C’est quand même mieux quand il n’y en a pas. La vérité c’est qu’aujourd’hui. Les vieux étant en grand nombre, ils sont devenus un « marché ». Et j’en ai marre qu’à longueur de livres ou d’articles de journaux, on raconte des salades aux gens en leur faisant miroiter que la vie commence à 60 ans, qu’on peut tomber amoureux à 75 ans et baiser à 90. C’est peut-être vrai pour certains, mais comme par hasard ce ne sont pas des « morts de faim », et ils représentent à peine un pour cent de la population, et pour les autres, vieillir c’est surtout très désagréable. Allez voir dans les hospices, ce n’est pas Disneyland.
Eric Lashon: Presque toutes vos nouvelles placent au centre de la tristesse de vieillir, la difficulté d’assumer son corps et pourtant vous semblez un bel exemple de ce que l’on peut qualifier d’éternel jeune homme…
Jean-Marie Périer: Je n’ai pas écrit ce livre pour parler de moi, c’est pourquoi ce sont des nouvelles, autrement dit, des petites histoires sur ceux qui subissent aussi les inconvénients d’être un « Sénior » (quel mot grotesque ! Ils ne peuvent pas dire « Vieux » ?) D’accord, aujourd’hui j’ai la chance de faire plus jeune, mais quand j’avais 16 ans et que j’en faisais 11, croyez-moi ce n’était pas la joie dans les « surboums », avec les filles qui me caressaient la joue en disant « Oh comme il est mignon ! » avant de se jeter dans les bras du premier crétin venu.
Eric Lashon: Certains de vos personnages sont plus flamboyants que d’autres face à l’âge. Pensez-vous que la vieillesse est un révélateur de la nature de l’Homme ?
Jean-Marie Périer: Mae West disait: « Vieillir est une affaire d’athlète ! ». Mourir ne m’emballe pas, mais au moins c’est la même danse pour tout le monde et après, hélas comme je ne crois a rien… C’est l’idée de la dégradation que j’ai en horreur. Il faudrait vivre sa vie à l’envers. On serait vieux au début, puis de moins en moins malade, on finirait par la première histoire d’amour, et hop ! À la maison.
Eric Lashon: L’image de la femme est très présente dans votre livre pensez-vous comme Charles Denner dans » l’homme qui aimait les femmes » que c’est le pas des femmes qui fait tourner le monde ?
Jean-Marie Périer: Sans doute puisqu’elles donnent la vie. Mais elles devraient peut-être marcher moins vite. Quand je suis né on était un milliard et demi d’habitants sur terre, on est sept milliards aujourd’hui. Trop de monde, après on s’étonne qu’ils n’y aient pas assez de places de parkings.
Eric Lashon: Face aux trahisons du corps dans les ébats sexuels, vous avez choisi de vous retirer du jeu. Est-ce la scène finale du Casanova de Fellini qui vous hante ?
Jean-Marie Périer: Non, la vérité c’est que d’abord j’ai été très gâté sur ce plan, ensuite les vieux beaux qui courtisent en recyclant des phrases déjà dites, je trouve ça pathétique. ( Pour rigoler je me suis mis exprès sur la couverture du livre en illustration du « vieux beau ».)
Et puis j’ai toujours vécu avec des femmes très jeunes, la dernière avait 35 ans de moins que moi. Ce que j’aimais c’est découvrir une merveille qui ne se connait pas et l’amener à être elle-même, autrement dit: « pygmalionner ». Finalement ça consistait à les préparer pour un autre. C’est sûrement pour ça que je me suis toujours attaché aux hommes pour lesquels j’étais quitté. Mais surtout, aujourd’hui j’ai une fille de 28 ans qui est ma passion et je ne me vois pas vivre avec une personne plus jeune qu’elle.
Eric Lashon: Le livre s’ouvre avec la première femme, celle qui compte toute une vie et se ferme avec une autre femme, celle qui compte peut-être jusqu’à la mort . Les femmes sont-elles l’alpha et l’oméga de votre vie ?
Jean-Marie Périer : J’ai aimé cinq femmes pour toujours, c’est déjà beaucoup de chance. Je ne parle pas des aventures et des coups de chaud. Ma jeunesse s’est passée dans une époque très différente, moins coincée qu’aujourd’hui. L’amour, on en fait tout un plat, mais j’ai déjà vu le film et je connais la fin, aucun suspense, je sais que c’est le jardinier qui a tué. Désormais c’est ma chienne Daffy qui remplit toutes les cases (enfin pas toutes, rassurez-vous) et j’aime beaucoup l’idée de finir ma vie dans l’Aveyron à écrire des livres.
Eric Lashon: Pouvez-vous concevoir une vie humaine sans la vieillesse ?
Jean-Marie Périer : Non bien sûr, mais peut-être faut-il savoir mourir à temps. (J’ai depuis longtemps adhéré à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et si ça n’avance pas chez nous, j’ai les plans là où ils parlent français avec un drôle d’accent. Une bouteille de Languedoc, une pilule et bonjour chez vous !) On peut vivre bien pendant assez longtemps de nos jours, mais à partir de 70 ans, les années comptent double, après 80 elles comptent triple et après 90 je ne compte plus, mais je pense qu’à quelques exceptions près les ennuis commencent. La vieillesse c’est lorsqu’on est suffisamment affaibli pour se retrouver entre les mains des autres.
Au fond, ce livre je l’ai écrit pour des gens qui ne le liront jamais, à savoir les jeunes, ce sont eux qui comptent. Afin qu’ils n’écoutent surtout pas ceux qui, en prônant des âneries sur les beautés du troisième âge, risquent de leur faire croire qu’ils ont le temps devant eux.
« Vivez maintenant, tout de suite et le plus vite possible. On ne vit qu’une fois, alors surtout ne soyez pas raisonnable. Essayez de faire ce à quoi vous croyez sans vous occuper de ce que pensent « les autres ». N’écoutez pas les conseils. N’écoutez pas les vieux. Donc ne m’écoutez pas non plus ».