19 Mar

Adieu Chuck Berry.

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Chuck Berry par Jean-Marie Périer.

En 1964, j’avais obtenu de partir en tournée avec Chuck Berry. Les conditions étaient assez spéciales car il était plutôt près de ses sous, aussi voyageait-il seul sans manager ni musicien. Je traversai donc le Sud des Etats Unis avec lui dans sa « Cadillac » décapotable, passant de la Géorgie à la Louisiane sous un soleil de plomb.

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Arrivé en ville, il allait dans les bars ou dans une université pour se trouver des musiciens. Parfois l’orchestre qu’il réunissait était passablement hétéroclite, mais il n’en n’avait cure. Il faut dire qu’il faisait pratiquement le spectacle à lui tout seul. Je me souviens qu’il n’acceptait de démarrer le spectacle que lorsqu’il avait été payé, en liquide bien sûr.

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Si les blancs aimaient à venir l’écouter, je ne pense pas qu’ils l’auraient reçu chez eux. La ségrégation sévissait encore sévèrement, surtout dans le Sud. Dans les autobus, malgré la loi passée grâce au courage de Rosa Parks refusant en 1955 de céder sa place à un passager blanc, les noirs étaient quand même priés de rester dans la partie arrière. Chuck Berry fait partie de ces noirs qui ont réussi à imposer leur musique au public blanc, ils n’étaient pas nombreux à l’époque à arriver à ce statut.

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Un de mes plus beaux souvenirs fût lorsqu’arrivant à Saint-Louis, Chuck me déposât devant l’hôtel où j’étais censé avoir une chambre. « Je vais voir si j’ai bien la réservation ! » lui dis-je en descendant. Nous avions traversé une grande partie du Sud et comme on roulait souvent décapoté, j’étais bronzé noir ébène. Lorsqu’ils m’ont vu arriver d’une voiture conduite par un homme « de couleur », comme par hasard je n’avais plus de réservation. Ça reste un des plus beaux jours de ma vie. Il m’avait donc emmené à Wentzville, l’endroit dans lequel il avait acheté une propriété dont il rêvait de faire le « Disneyland » du rock.   Il avait nommé le lieu: le Berry Park. L’endroit était en travaux, il m’avait demandé de ne pas le photographier. On a campé dans un des bâtiments. Ce sont les plans des travaux qu’il tient dans la main.

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C’est la seule photo que j’ai pu faire de l’endroit. Dans sa main il tient les plans de son rêve à venir.

Jean-Marie Périer

11 Mar

Souvenir d’avenir.

JMP162Photo Jean-Marie Périer

 

J’ai passé ma vie dans des avions de toutes sortes, des hydravions déglingués en Guyane, des Boeings vides entre Tokyo et Los Angeles, au jet privé des Rolling Stones en tournée, mais le voyage le plus cocasse reste celui que j’ai fait avec Jacques Dutronc en 1968.

J’avais décidé de l’emmener à Ceylan (désormais Sri-Lanka) dans le but de faire des photos. On passe d’abord deux jours d’escale à Bombay, puis on prend un Boeing de la TWA pour Ceylan. On décolle et je m’endors.

Deux heures plus tard, comme d’habitude, au contact de Jacques tous les passagers sont devenus dingues. Je n’ai jamais su comment il faisait, dès qu’il arrivait quelque part sa présence provoquait un vent de folie. L’avion était rempli d’américains et Jacques ne parlait pas un mot d’anglais, pourtant les gens se marraient, dansaient sur les sièges, le stewart avait son slip sur la tête et le capitaine avait mis sur pilote automatique pour participer à la fête, bref un asile en plein ciel.

Et surtout il y avait deux hôtesses, des beautés incroyables. Bien sûr on les branche, elles ont l’oeil qui frise, alors on attaque: « On va passer quelques jours à Ceylan, nous venez avec nous ? » Sans doute touchées par notre accent français elles voudraient bien, mais nous disent-elles, Ceylan n’est pour elles qu’une escale, elles vont à Hong Kong. Nous nous concertons du regard avec Jacques et à Ceylan je descends, j’achète les billets et on décolle pour Hong Kong.

Je mesure aujourd’hui ma chance, ce qu’on a vécu alors valait vraiment le déplacement. J’avais loué une suite à l’hôtel Hilton parce que c’était celui des équipages. À gauche Jacques avait une chambre avec la blonde et à droite j’avais la mienne avec la brune et au milieu il y avait un grand salon au milieu duquel il y avait un buffet rempli de victuailles. Et en compagnie de nos jolies hôtesses, nous avons tenu table ouverte pour tous les équipages de passage.

C’était surréaliste, de la tour de contrôle les types disaient aux pilotes: « Rendez-vous au 307, c’est là que ça se passe ! » Et pendant trois jours et trois nuits les équipages se succédaient dans notre fête improvisée. Je n’ai rien vu de Hong Kong, ensuite on est allé à Ceylan pour se remettre de cette bacchanale.

Oui je sais. Cette histoire n’a plus rien à voir avec l’époque actuelle, nous n’étions pas sérieux et je pense encore aujourd’hui qu’on avait bien raison.

Jean-Marie Périer

Dut 2 inédit