Halte au feu. Johnny Hallyday est toujours là, merci pour lui.
Soutenu par sa famille, il se bagarre contre le crabe maudit avec son courage habituel, sans gémir et, tel que je le connais, habité par l’impossible espoir qu’on lui foute la paix.
Bonne idée. Car il faut savoir que depuis quinze jours l’irrépréssible frénésie des médias nationaux est à nouveau à son comble. C’est le jeu, tous les journaux se préparent « au cas où ». Cette règle que l’on peut juger funeste existe dans la presse depuis la nuit des temps. Quand les foules adorent un artiste, elles se préparent toujours à le regretter.
Je n’ai aucune nouvelle à vous donner et même si j’en avais je ne les donnerais pas. Depuis quelques années, parce que je vis dans l’Aveyron et lui un peu partout, Jojo et moi nous correspondons par mail. Le dernier message que j’ai reçu de lui date de quelques semaines et vu la situation je fus assez surpris qu’il prenne le temps de m’envoyer une lettre aussi gentille. C’est sans doute la plus grande qualité de cet ami-là, il n’a jamais changé. Dans sa tête il est exactement le même que le jeune homme de dix-neuf ans que j’ai rencontré en 1962.
À cette époque déjà, il menait un autre combat, celui de la méchanceté des « grandes personnes » à son égard.
En septembre 1958, alors qu’il passait en première partie de Raymond Devos à l’Alhambra, le soir de la première, dans le parterre du tout Paris du « Music-hall », parmi les grandes vedettes de l’époque certains le huèrent en sifflant, j’en connais même un qui hurla : « Virez-moi ce connard ! ». Je ne le nommerai pas mais Jojo s’en souvient. Comment peut-on proférer une telle horreur à un môme qui débute et dont le rêve n’est autre que de chanter et danser ? J’aimerais rendre hommage à Raymond Devos. Car après le spectacle, devant le tollé des happy-fews, la direction voulait se séparer du jeune Hallyday. Et Devos a répondu : « Si vous virez le môme, je pars ! » La grande classe. Puis vinrent Charles Aznavour qui lui accorda sa confiance, Daniel Filipacchi qui le programma aussi sec dans son émission et Edgar Morin qui, comme toujours, comprit avant les autres ce que Johnny représentait.
Néanmoins, aidés par des « guignols » en tous genre, la majorité des journalistes, des adultes, des parents se moquèrent de lui pendant trente ans malgré son fulgurant succès auprès de la jeunesse. « Je préfère qu’ils me prennent pour un con, comme ça je les vois venir ! » me disait-il dans un sourire.
Ce mépris dura jusqu’au début des années 90, lorsque l’écrivain Daniel Rondeau lui consacra une grande interview dans le journal « Le Monde ». Là, enfin, l’intelligentsia parisienne le regarda d’un autre œil.
Eh bien le 12 décembre, vous verrez sur France 2 un documentaire récent sur Johnny dans lequel il se livre durant presque une heure.
Il y a un an la production m’avait proposé de faire cet interview et j’avais préféré m’effacer, considérant que l’étiquette « Années 60 » collée sur mon front l’aurait replongé dans un bain dont il avait su sortir. De plus, comment aurais-je pu faire semblant de lui poser des questions sur une vie dont je connais la plupart des réponses ? Aussi leur ai-je vivement conseillé de choisir Daniel Rondeau. Tant mieux, pour une fois un média parisien m’aura écouté.
Jojo, j’espère que ce n’est pas mon cadeau d’adieu, car tu l’as oublié mais je suis plus âgé que toi et, va savoir, je pourrais très bien te battre au poteau.
Ce serait bien la première fois !
PS : Depuis quinze jours, je reçois des messages de gens des médias me demandant de parler de Johnny. Inutile d’insister. Ne comptez pas sur moi pour aller faire le beau dans le poste si mon ami disparait. Et si par malheur ça arrive, sachez que les interviews qui paraîtront sans doute seront tous anciens.
Ce jour-là je serai très triste et je ne dirai pas un mot.
(Article paru dans « Le Villefranchois » le 30 novembre 2017)