Ils sont rares les amis de cinquante-six ans, il ne m’en reste que deux, Daniel Filipacchi et Régis Pagniez. Vous ne connaissez pas le nom de ce dernier et pourtant il a façonné le visuel de la plupart des magazines que vous feuilletez depuis l’après-guerre et ce jusqu’à l’an 2000. Au début des années 50, il travaille à la maquette de « Paris-Match » et « Marie-Claire ». En 1962 il crée la mise en page on ne peut plus moderne pour l’époque de « Salut les copains », « Mlle âge tendre » et « LUI » magazine. Ensuite Régis sera également le directeur artistique de « ELLE » en France et aux Etats-Unis. Six journaux qui marqueront fortement soixante années de la presse de notre pays, c’est beaucoup pour un seul homme.
Régis était au groupe Filipacchi ce que l’ail est à la cuisine, sans lui rien n’aurait eu de goût. Quiconque le rencontre ne peut s’empêcher de s’y attacher, c’est une sorte d’anarchiste aristocrate qui pousse la coquetterie jusqu’à surtout n’avoir l’air de rien. Il cache une sensibilité à fleur de peau derrière un paravent de phrases négatives à la limite d’un cynisme trop énorme pour être sincère.
Je le rencontrai en 1956 et à mon retour d’Algérie j’ai eu la chance formidable de vivre avec lui et sa famille certainement les douze plus belles années de ma vie. En effet nous partagions à Paris des ateliers mitoyens, lui, sa femme Jamie et ses deux filles d’un côté et moi avec ma vie de célibataire insouciant de l’autre.
Cet arrangement tenait du mariage idéal, chez Régis on entendait des rires d’enfants et chez moi c’était la fête continuelle, il y avait de la musique tout le temps. Et fort, trop fort sûrement. Sauf pour Anne et Fanny, les deux fillettes de Régis que ce vacarme amusait. Avec les Pagniez, nous vivions un peu en communauté, bien avant que les hippies y pensent, mais sans les chemises à fleur et les chèvres du jardin. Dans les années 60-70 notre appartement voyait passer du beau monde, Anne et Fanny prenaient leur petit déjeuner avec Françoise Hardy, rigolaient aux blagues de Dutronc ou Johnny et venaient en douce danser le soir pendant que les « copains » musiciens du monde entier se plaisaient à s’éclater la tronche au son des Rolling Stones ou de James Brown. Etait-ce un bon exemple ? Sans doute car aujourd’hui je vous rassure elles vont très bien.
Si je vous en parle aujourd’hui c’est parce que je lui ai dédié ma dernière exposition au Bazacle de Toulouse et que beaucoup de visiteurs me demandaient de qui il s’agissait. Aujourd’hui il est toujours mon ami proche et comme il vient me voir de temps en temps dans l’Aveyron, si vous me croisez un jour au marché en compagnie d’un homme aux cheveux blancs et aux chaussures raffinées, vous saurez désormais que c’est lui, Régis Pagniez.
Jean-Marie Périer