12 Mai

Bonjour l’oubli !

À dix kilomètres de chez moi, dans un tout petit cimetière au milieu de la belle campagne du Lot, repose Françoise Sagan. J’ai eu la chance de la côtoyer parfois au cours de soirées mémorables dans les années 60 et 70 et de la photographier juste avant l’an deux-mille. 

Aussi le spectacle de cette tombe délaissée m’a serré le coeur.

Sur la pierre on peut lire le nom de Robert Westhoff, son dernier mari. Peggy Roche, sa plus fidèle amie dort aussi à ses côtés mais son nom n’est pas inscrit sur la stèle.

Quelques admirateurs bien intentionnés ont posé sur la pierre moisie d’humidité un bloc de verre taillé, une voiture miniature jaune représentant sa passion de la vitesse, une sculpture « moderne », deux foulards solidifiés par le temps, deux fleurs en céramique, un mégot symbolisant ses addictions et une plaque de roulette de casino témoin de son mépris de l’argent.

C’est gentil mais un peu court, il me semble, pour une des seules femmes de lettres à avoir influencé le 20eme siècle. Cette personne si rare dont la désinvolture annonçait avant tout le monde une insolence que plus tard les jeunes Rolling Stones penseront inventer. Que reste-t-il ? Ses livres bien sûr, quelques photos et les souvenirs d’amis anciens qui ne tarderont pas à la rejoindre. 

Ne mérite-t-elle pas mieux ?

Je vois déjà l’aimable lecteur prêt à me réprimander: « Pourquoi râler mon grand, tu n’as qu’à t’en occuper ! ». Eh bien figurez-vous que je me suis renseigné et la loi ne permet qu’aux gens de la famille de toucher à une sépulture. On a seulement droit d’apporter des fleurs. D’accord mais moi les roses qui meurent ça me fout le cafard. J’aimerais la nettoyer cette tombe, l’arranger, la reconstruire. Mais voilà, ça c’est interdit. 

Je me console en imaginant que de toute façon, là où elle est, Françoise s’en fout sûrement. Et en plus comme je ne croit à rien,  je pense qu’elle n’est nulle part si ce n’est dans nos pensées. Donc… 

01 Mai

1er jour du beau mois de Mai.

Cerise et sa fille Hortense: « Et pendant ce temps-là, nous on bosse !

1er Mai. Que la fête du travail soit un jour où on ne fout rien m’a toujours étonné. Pourquoi ne pas avoir l’honnêteté de reconnaître que c’est une journée destinée à faire l’éloge de la paresse, ce qui à mon avis est tout aussi estimable. Celle-ci étant le luxe ultime réservé au club des courageux, de ceux qui savent que si ne rien faire est à la portée de n’importe qui, FAIRE RIEN est réservé à l’élite. Celle des inutiles, des dilettantes dans mon genre et autres nostalgiques d’un monde oublié, de ceux-là qui appartiennent au siècle dernier, surtout à ses débuts, autrement dit, mon monde à moi. (Discours de petit bourgeois. Oui et alors ? Ne comptez pas sur moi pour vous la jouer Che Guevara sur le tee-shirt et poing tendu vers les nuages. ) 

Comme d’habitude les syndicats vont organiser des manifestations en rêvant d’une convergence de luttes aussi respectables qu’illusoires puisque en fin de compte leur seul dénominateur commun est une haine chronique de la mondialisation.

Je suis entièrement d’accord, mais détester la mondialisation c’est comme haïr la grippe. Moi non plus je n’aime pas avoir le nez qui coule, mais ce n’est pas ma faute si la population de la planète a augmenté de sept fois depuis le jour de ma naissance. Enfin un peu quand même puisque j’ai le bonheur d’avoir trois enfants…

Et comme toujours les gazettes vont glorifier Mai 68 dans l’espoir de vendre autant de papier que ceux qui, il y a cinquante ans, ont inventé la première révolution sponsorisée par les médias. Car en tête, c’est bien Europe No 1 qui à l’époque a secoué la France en annonçant tous les quarts d’heure que Paris était en feu alors que seulement cinq ou six rues du quartier Latin se battaient contre les CRS. Je le sais, j’étais là, enfin je buvais des coups chez Castel, mais quand même, j’allais voir. C’était assez joyeux, il y avait de la poésie sur les murs, des étudiants sincères, des jeunes futurs ministres débraillés rêvant de Robespierre, des bons à rien côtoyant des filles prêtes à tout, des ouvriers désespérés en quête d’un espoir déçu d’avance. 

Moi, le petit chanceux des années 60, je rêvais de rencontrer Cohn-Bendit, le seul dont je comprenais le discours. Alors pour la première fois de ma vie j’ai pénétré timidement dans la Sorbonne, il devait parler ce soir-là. Très impressionné, je me suis retrouvé dans un amphithéâtre rempli à ras bord, assis à côté de deux ouvriers, des égarés comme moi, mais qui eux avaient de vraies raisons d’être là. 

À deux heures du matin, Cohn-Bendit n’étant pas venu, lorsque le type à ma droite s’est tourné vers son voisin en disant: « Ils sont bien gentils, mais ça ne nous donnera pas notre pain demain ! » Notre pain ! La honte m’a pris. J’étais là en touriste, j’avais quand même une Mustang AC Cobra garée à cinq cent mètres, ma place n’était pas ici. En sortant, sur un mur de la Sorbonne j’ai vu un slogan de huit mètres de long proclamant: « Si je suis entré ici, c’est par la force des baïonnettes et je n’en ressortirai que lorsqu’on m’aura rendu mon imperméable ! » J’étais sauvé, j’en avais vu suffisamment.

Je suis donc parti pour Rome, Brigitte Bardot s’y ennuyait seule dans une grande maison à la campagne. Par chance la plus belle femme du monde était une amie, et en tout bien tout honneur, à coup de promenades sur la via Appia et de dîners aux chandelles, elle m’a fait cadeau du plus joli Mai 68 qu’on puisse imaginer. 

À l’heure où j’écris je ne n’ai toujours pas rencontré Cohn-Bendit, c’est mon seul regret car ses théories d’aujourd’hui me plaisent toujours autant.

Comme d’habitude Paris pensait être le centre du monde alors que ces mouvements avaient déjà commencé partout sur la planète. Une révolution sans mort, ce devrait être notre seule fierté.

Aujourd’hui, messieurs Martinez et consorts vont tenter de rejouer la pièce, la France va creuser un peu plus sa dette et les journaux vont souffler sur la braise en ramant à contre-courant de leur déclin. 

Et pendant ce temps-là les chinois travaillent dans un pays fier d’offrir à son peuple une moyenne de 17 jours de vacances par an. 

Courage Président Macron, ne lâchez pas la barre, la route sera longue.