« Au-devant de Maurice Genevoix » de Jacques Tassin est une invitation à goûter et à réfléchir l’œuvre de Maurice Genevoix : à la lire, à la contempler dans le miroir de la nature et en regard du traumatisme de 1914-1918.
Jacques Tassin est la preuve que science, écologie et poésie peuvent faire bon ménage sans céder aux tentations de la magie, mais en se pénétrant des mystères : car si science il y a, c’est parce qu’il y a plus de mystères, de questions, que de réponses et qu’une science bien comprise gagne à s’imprégner de sensibilité et de poésie.
De par sa profession, Jacques est écologue, spécialiste des forêts tropicales. On lui doit des ouvrages sérieux, par exemple : « La Grande invasion : qui a peur des espèces invasives ? », puis, plus récemment des réflexions sur l’organisation des espèces, où une vision du monde cohérente n’empêche pas de s’aventurer sur des sentiers poétiques, voici un extrait de son passage dans la Grande librairie à propos de son livre paru en 2018 : « Penser comme un arbre ».
Interview de Jacques Tassin (JT) par François BUSNEL (FB) : (extrait)
François Busnel : Ça voudrait dire que l’arbre pense, mais l’arbre n’a pas de cerveau ? Comment penserions-nous alors ?
Jacques Tassin : Pas penser comme pensent les arbres, mais penser de la manière dont les arbres sont au monde, je pense, il y a beaucoup à s’inspirer de cette manière, dont les arbres sont formidablement présents, c’est extraordinaire, interactifs, formidablement partenariaux, avec cette souplesse, cette capacité d’ajustement, ils prennent leur temps, ils sont dans la sobriété, enfin, ils ont plein de qualités dont nous rêvons. Sans en faire des modèles, il ne s’agit pas de ça, si on commence à en faire des modèles, c’est un petit peu dangereux…
FB : Est-ce qu’on ne tombe pas un petit peu dans une espèce d’anthorpomorphisme, où on met l’homme au milieu de tout ?
JT : Surtout pas. Ce n’est pas ce que je suis en train de vous dire, c’est-à-dire retrouver notre alliance… Les arbres nous ont construits, il faut refaire ce chemin dont nous nous sommes éloignés par notre intellect qui a souvent mis la sensibilité aux oubliettes parce que c’était vu comme un obstacle… Je pense que maintenant il faut boucler la boucle, il faut retrouver un fonctionnement avec notre intellect qu’il ne faut surtout pas jeter, avec les connaissances de la science qu’il ne faut surtout pas jeter, mais dont il faut se servir en même temps que notre sensibilité…
Donc de la science qui se métisse de sensibilité, de poésie. En matière de littérature, le rôle d’un maître consiste souvent à nous montrer un chemin que nous n’osions pas prendre et de nous proposer avec simplicité, presque familiarité, de les suivre à notre tour.
Contrairement à cette sotte idée reçue, l’admiration n’est pas un aveuglement fervent, pour l’un des grands auteurs de notre région, Maurice Genevoix, par exemple, mais une source de réflexion, de questions, et en l’espèce nous ne choisissons pas nos admirations, mais nous recevons tant de leurs livres, de leur pensée, ils nous aident si souvent qu’on se doit bien un jour de le rendre comme on peut, un quelque chose.
Donc se pencher sur une œuvre admirable, ne peut être qu’un exercice vivifiant pour l’esprit et la pensée. En l’occurrence, Jacques Tassin se penche ici sur l’œuvre testamentaire, Un jour, paru en 1976, quatre ans avant sa mort de Maurice Genevoix.
Reprenant les lieux où Maurice Genevoix aimait à s’aventurer, Jacques Tassin explore, jusqu’à découvrir un étang qui fut un des lieux favoris de Genevoix, et met ses pas dans les traces jusqu’à la découverte d’un lieu empli de mystères : l’étang des cyprès chauves.
L’immersion passe par la médiation, l’intercession, d’un rouge-gorge : « Du haut d’un bouleau où s’accrochaient encore quelques feuilles jaunies, la mélancolie d’un rouge-gorge se détacha, claire et sonnante. Je m’arrêtai un instant pour l’écouter. Les notes filaient dans l’air en nappes successives. Elles se répandaient au travers des houppiers, puis, comme soudainement propulsées, pleinement libres, traversaient allègrement l’étang. » (citation, page 12)
Dans une clairière où affleurent une profusion de protubérances de bois, de dures racines aériennes, évoquant l’image des champs de 14, semés de cadavres qu’il fallait piétiner, sans regarder les mains qui sortaient du sol, apparaît une ombre : Jacques Tassin entreprend alors de l’interroger, sur son œuvre, son rapport à la nature, cette idée de l’acceptation de soi et du monde… et d’organiser une rencontre imaginaire avec l’immense Maurice Genevoix.
Le livre est court, mais imprégné de pensées, de réflexions, il parcourt librement l’œuvre et la vie de Maurice Genevoix, au travers de trois chapitres dont les titres sont évocateurs :
- Mondes sensibles
- Temps vaincus
- Présence vivante
Cent vingt-huit pages d’émerveillement que le lecteur curieux de mieux aborder un écrivain de l’importance de Maurice Genevoix, même – et surtout – pour des lecteurs nés à une toute autre époque, et qui découvrent que leurs interrogations excèdent l’époque qui les a vues se formuler : l’immersion dans la nature, la recherche du sens et d’une poésie qui n’exclut pas le mystère, le besoin de surmonter les horreurs et la recherche d’harmonies… des thèmes qui ont hanté Maurice Genevoix toute sa vie et dont son œuvre témoigne avec force.
Une lecture qui exige du lecteur attention, sensibilité, qui n’est pas peut-être immédiate, mais qui fournira d’intenses moments de bonheur et de littérature au curieux qui en suivra les chemins, les tours, les détours, peuplés d’arbres et de questions…
Bernard Henninger