Dans la LÉZARDE DU HIBOU de Denis JULIN, le capitaine Brunie suit les traces laissées par un vieil assassin qui signe son « passage » d’une pièce de 1 Franc posée en évidence près de chaque cadavre…
Qu’est-ce qui fait d’un homme un meurtrier ? Peut-on se révolter ? Y a-t-il un âge pour se révolter ? Comment pardonner ? Car, si l’on y réfléchit, passé un certain âge, la vie peut être interprêtée comme une litanie d’injustices, de torts non redressés, d’un mélange de malfaisances et d’indifférences mortifères. Alors, vivre, est-ce accepter les avanies de la vie, se soumettre, ou se révolter ?
Lui, c’est « JE » : un narrateur qui parle au présent et à la première personne, celui qui porte un passé lourd comme un âne mort qu’il n’arrive pas à recouvrir d’une cape d’oubli, ce narrateur qui ressasse jusqu’à la nausée les actes et les mystères qui, à force de s’accumuler, l’ont conduit à ce virage irrésistible qui commence avec la mort soigneusement mise en scène d’une coiffeuse, une dame âgée, qu’il attache sur son fauteuil de coiffeuse avant de l’étouffer en la privant d’air et en la regardant mourir. Puis il laisse une pièce d’un Franc, bien en évidence, signant son acte d’un symbole mystérieux…
De l’autre côté, il y a le « IL », lui a un nom, c’est le capitaine Brunie, jeune, brillant, plein d’ardeur, avec un récit plus classique qui se conjugue au passé, car il arrive toujours après. Le présent, c’est le NARRATEUR CACHÉ. À l’opposé, le passé, c’est le capitaine Brunie, l’enquêteur qui vient constater, après, le meurtre, chercher les indices, en quête de preuves. Quoi qu’il fasse, le captaine Brunie arrive trop tard, mais avec courage, il reconstruit chaque meurtre qui semble être une pièce d’un puzzle dont le dessin reste indéchiffrable.
Dans ce chassé-croisé qui s’instaure, on en arrive petit à petit à compter les similitudes entre le poursuivant et le poursuivi. D’ailleurs, tout autant que le capitaine Brunie qui s’interroge sur le meurtrier, ses motivations, ses souffrances, le poursuivi semble s’intéresser au limier qui le piste, et il s’amuse à laisser des traces sans pour autant se dévoiler… D’ailleurs, le roman nous laisse sans fin sur notre faim. Plus le « JE » semble en dévoiler, plus le mystère s’épaissit.
Ce jeu de poursuivi-poursuivant débouche sur d’autres questions, comme la capacité de surmonter les épreuves d’une vie, comment fait-on pour surmonter les brisures, les cassures, les injustices, est-ce seulement possible ? Questions plus philosophiques que ce roman déroule avec toute la candeur et la simplicité voulue et qui donnent une profondeur inattendue à la simplicité du polar.
L’auteur, Denis Julin, n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, et notre belle région Sud-Ouest lui est un terrain de jeu qu’il semble connaître comme sa poche.
Comme dit le narrateur à propos de sa fille : « Elle ressasse sans cesse les mots échangés, malheureux et trop forts, parfois, de part et d’autre… Je crois qu’elle ne sait pas pardonner. » Mais justement, le lecteur se demande si c’est bien sa fille qu’il évoque… Et les multiples relances de ce récit posent plus encore de questions, et n’est-ce pas cela, le plaisir de lire, ressentir, détester, aimer, et se poser des questions inattendues sur la vie, le destin et la possibilité du pardon ?
Bernard Henninger
BONUS : l’antenne de France 3 Limoges a reçu récemment Denis Julin, à propos de la Lézarde du Hibou