17 Nov

Un homme qui déjeune seul

Pourquoi le spectacle d’un homme qui déjeune seul est-il si triste ? Le nez plongé dans ses journaux, arborant l’air concerné par les rumeurs du jour, il tourne les pages des magazines sans même en lire une ligne. Il y a bien longtemps qu’il n’accorde plus de crédit aux babillages des gazettes, comme du temps où il pensait sincèrement forger son opinion grâce aux journalistes, alors il se console en continuant de dévaliser les kiosques, renvoyant ainsi l’ascenseur à une profession dont l’avenir ressemble à un naufrage.

Depuis l’arrivée d’internet, la presse est prête à tous les « bashings » pour se maintenir la tête hors de l’eau, courant ainsi le risque de confondre les mensonges avec la réalité, car le danger est grand de penser que si c’est dans le journal c’est que c’est vrai.

Je me souviens de ce journaliste croisé dans les années 50 travaillant dans un hebdomadaire dont je tairai le titre qui avait inventé un fait divers de toute pièce, photo trafiquée à l’appui. Tandis qu’il se gaussait auprès de ses confrères d’avoir berné tout le monde avec son canular. Voilà qu’il se mit tout à coup à y croire sincèrement le jour où son article fut imprimé.

Ignorant le bruit du restaurant, l’homme seul prend l’air concentré, la tête dans la main afin d’oublier la chaise vide qui lui fait face et les regards désolés des autres, de ceux-là qui sont deux ou alors en famille.

Peut-être aujourd’hui n’aurais-je pas dû déjeuner seul, le problème c’est que j’aime beaucoup ça.

Jean-Marie Périer

09 Nov

Sandrine Kiberlain

Cette photo a quelques années, vous donner sa date ne serait pas très élégant. Si je vous la montre aujourd’hui, c’est parce que je me souviens du jour où Vincent Lindon m’avait invité à dîner en ajoutant entre deux tics : «Je vais te faire rencontrer celle qui sera un jour la plus grande actrice française».

8301 CHOSES.LB75-A

Copyright Jean-Marie Périer

Effectivement à l’époque elle était inconnue et effectivement Vincent avait raison comme souvent. Vous pouvez juger par vous-même en allant voir «9 mois ferme» d’Albert Dupontel, à mon sens le meilleur metteur en scène français depuis Bertrand Blier, ou « Violette », que je n’ai pas vu mais dans lequel je peux vous affirmer les yeux fermés qu’elle est extraordinaire attendu qu’elle l’est à chaque fois. (Qu’est-ce que les frères Cohen attendent pour l’appeler ?)

Je vous vois venir, roucoulant «Il en pince le vieux ?», aussi rassurez-vous, aujourd’hui je n’ai d’yeux que pour ma chienne Daffy. Néanmoins vous cacher que j’en ai pincé lorsque je l’ai rencontré serait mentir. Aujourd’hui j’ai le privilège de l’avoir pour amie, si tant est que dans cette profession ce mot veuille dire quelque chose. Disons qu’entre nous il y a peut-être de la tendresse et en tout cas de l’estime, ce qui a plus de chance de durer.

Le spectacle que je préfère étant celui de l’intelligence, plongez dans «Naissance» le livre de Yann Moix c’est un chef-d’oeuvre. Armez-vous d’humour et laisser-vous aller à flirter avec le désespoir et je vous promets l’éblouissement. Bien sûr pour ceux qui comme moi aiment à lire allongés le poids de l’objet pose problème (1200 pages !). C’est pourquoi je l’ai aussi acheté en version numérique afin de pouvoir le lire sur mon indispensable iPad.

Pour finir, j’ai vu sur France 3 un sujet au JT qui montrait des gens déversant les cendres d’un être aimé dans la mer en écoutant des chansons de Michel Sardou. Il y a quelques années cela m’aurait énervé puisque je considérais qu’il m’avait volé ma soeur Anne-Marie en la prenant pour femme, mais depuis que j’ai pu constater à quel point il a su la rendre heureuse, je suis touché de voir une famille célébrer le départ de quelqu’un au rythme de « la maladie d’amour ».

Jean-Marie Périer

01 Nov

Albert Estival

Il y a quelques mois, en me promenant dans Paris, je suis frappé par ce slogan : « J’ai seize ans et je veux une retraite ». L’idée me semble étrange, comment peut-on déjà penser à ses vieux jours en plein milieu de son adolescence ? Moi qui ne suis plus de la première jeunesse, je ne me suis pas encore vraiment penché sur la question.

Je photographiai donc cette affiche en la gardant de côté, certain que je m’en servirais un jour. C’est là qu’intervient Albert Estival, plus connu sous le nom de « Bébert le coiffeur ». Albert est une figure de Capdenac-Gare dans l’Aveyron. Il a travaillé toute sa vie, depuis son apprentissage à l’âge de douze ans, jusqu’à il y a quelques années. Après avoir commencé par faire des stages à Saint-Céré, à Brive puis à Lacapelle-Marival, c’est enfin à Capdenac-Gare, qu’en stage dans un salon pour hommes, il va rencontrer Paulette, une jeune femme qui travaille dans le salon d’à côté, un établissement réservé aux dames.

Il voudrait bien l’épouser, mais c’est la guerre et certains Français bienveillants à l’égard de l’occupant l’envoient aussi sec aux chantiers de jeunesse.

De longs mois passent, il lui faudra un peu d’imagination et beaucoup de chance pour obtenir une permission et c’est grâce à une appendicite chronique et à un médecin conciliant qu’il pourra enfin épouser Paulette. Plus tard, grâce à l’estime de clients fidèles qui l’aideront à se financer, il pourra prendre en gérance le salon pour hommes pour lui et celui réservé aux dames pour sa femme. C’est là que naitra la légende de « Bébert », le prince de la coiffure de la région grâce à ses deux boutiques situées sur le même trottoir et séparées par seulement quelques mètres. C’est pourquoi j’ai voulu le faire poser, lui et ses soixante années de boulot, devant une affiche dont le message, certes empreint de bons sentiments, devient forcément ridicule si vous regardez Albert dans les yeux.

Copyright Jean-Marie Périer
Copyright Jean-Marie Périer

Que l’UMP me pardonne, je n’éprouve aucun intérêt pour les bisbilles gauche/droite, je vous prie donc de ne voir aucun message politique dans cette photo. Mais voilà un homme veuf depuis bientôt dix ans, qui aura travaillé toute sa vie, et qui se retrouve à quatre-vingt-dix printemps dans une époque où des gamins se permettent de penser à la retraite au lieu d’essayer de réinventer le monde.

JMP

Laurent Baffie

Vous je ne sais pas, mais personnellement je ne supporte plus les chroniqueurs qui font les malins sur les ondes à longueur d’année en dénigrant les artistes, les politiques et les gens en général. Dire du mal est devenu le passe-temps favoris de ces pigistes de la raillerie systématique. C’est pourquoi dans le marigot médiatique, un des rares humoristes à me toucher vraiment c’est Laurent Baffie, car si vous regardez son travail de près, vous réaliserez que malgré le mal qu’il se donne pour être à la hauteur de sa réputation de « sniper », il a à mes yeux la qualité la plus rare : il est gentil. Mot terrible, à ne pas répéter dans les salons où il est de bon ton de ricaner en affichant un implacable cynisme menant souvent à la plus grande vulgarité. Contrairement aux idées reçues dans les hautes sphères de l’intelligentsia médiatique, j’ai toujours trouvé que la preuve la plus aiguë de l’intelligence était justement la gentillesse.

Copyright Jean-Marie Périer

Copyright Jean-Marie Périer

Contrairement à ceux qui ont copié son équilibrisme en flinguant les autres pour mieux parler d’eux-même, Laurent Baffie ne se dévoile jamais. Est-il marié, a-t-il des enfants, personne ne sait ? Il ne se répand pas. Il est doté d’un cerveau qui tourne à une vitesse hors du commun, particulièrement quand il se retrouve dans une émission en direct, autrement dit dans la situation la plus propice au dérapage, là il est certainement le plus rapide de tous. En plus, sa nonchalance cache une obsession du travail bien fait, par exemple les pièces de théâtre dont il est l’auteur sont drôles, originales et dénuées de prétention.

Il les a écrites comme ça, sans fanfaronner. Se payer le luxe d’avoir l’air d’un dilettante demande beaucoup de sérieux et une aptitude naturelle à l’élégance, car comme chacun sait, l’élégance c’est ce qui ne se voit pas.

Ainsi que vous l’aurez compris, j’aime beaucoup ce type-là et pour plein de raisons, dont une en particulier : derrière son sourire franc, si vous regardez bien ses yeux, vous y lirez l’inquiétude de ceux qui ne sont dupes de rien et qui préfèrent en rire pour éviter de pleurer.

JMP

Daffy

Permettez-moi de vous présenter Daffy, une des personnes les plus importantes de ma vie. Moi qui eut le privilège de croiser un nombre enviable de femmes plus éblouissantes les unes que les autres, me voilà complètement accaparé par une petite femelle des plus attachante. C’est la première fois que je vis en compagnie d’une chienne et je vous l’avoue, je suis au comble de l’étonnement.

Copyright Jean-Marie Périer

Copyright Jean-Marie Périer

D’abord personne ne m’a jamais aimé comme ça, elle n’a d’yeux que pour ma pomme, nul autre n’existe. En plus, elle, il ne lui viendrait pas à l’idée de toucher au zappeur pour changer de chaîne, de même que jamais elle ne se permettrait de me demander « Où tu vas ? », « d’où viens-tu ? » ou pire « à quoi tu penses ? », Et puis soyons clair, arrivé à mon âge, le libertinage appartient au passé. D’abord les chances, je les ai déjà eues, les fiançailles à Venise, les mariages au Mexique… Je les ai faites les pirouettes pour me rendre aimable, et je les ai déjà dits les mots de la séduction, les « jamais », les « toujours », et j’y croyais en plus… Je ne vais quand même pas ressortir des déclarations déjà usées, ce serait vulgaire. Bon d’accord, un jour peut-être une porte s’ouvrira et je serai ébloui encore une fois par une apparition, mais laissez-moi vous dire, il faut que ça soit un camion la mignonne, car sur ce plan j’ai été très gâté. Les femmes de ma vie ayant eu le tact de rester mes meilleures amies, elles sont comme des tiroirs à souvenirs. J’ouvre un tiroir et hop, ça remonte.

Mae West disait : « Vieillir est une affaire d’athlète ! », elle avait raison, être vieux c’est très désagréable et à l’approche du dernier péage il faut de la tenue. Pour ma part, vivant des jours paisible dans notre belle région, je chéris désormais le luxe de la solitude avec ma petite chienne. D’ailleurs, je ne vois pas qui pourrait se glisser sous mes draps, attendu qu’elle exige de dormir contre ma joue, tout contre, une vraie ligne Magino. Tiens la voilà justement, j’arrête car elle n’aime pas beaucoup de que je parle d’elle. Chacun ses coquetteries…

RSS