Pourquoi le spectacle d’un homme qui déjeune seul est-il si triste ? Le nez plongé dans ses journaux, arborant l’air concerné par les rumeurs du jour, il tourne les pages des magazines sans même en lire une ligne. Il y a bien longtemps qu’il n’accorde plus de crédit aux babillages des gazettes, comme du temps où il pensait sincèrement forger son opinion grâce aux journalistes, alors il se console en continuant de dévaliser les kiosques, renvoyant ainsi l’ascenseur à une profession dont l’avenir ressemble à un naufrage.
Depuis l’arrivée d’internet, la presse est prête à tous les « bashings » pour se maintenir la tête hors de l’eau, courant ainsi le risque de confondre les mensonges avec la réalité, car le danger est grand de penser que si c’est dans le journal c’est que c’est vrai.
Je me souviens de ce journaliste croisé dans les années 50 travaillant dans un hebdomadaire dont je tairai le titre qui avait inventé un fait divers de toute pièce, photo trafiquée à l’appui. Tandis qu’il se gaussait auprès de ses confrères d’avoir berné tout le monde avec son canular. Voilà qu’il se mit tout à coup à y croire sincèrement le jour où son article fut imprimé.
Ignorant le bruit du restaurant, l’homme seul prend l’air concentré, la tête dans la main afin d’oublier la chaise vide qui lui fait face et les regards désolés des autres, de ceux-là qui sont deux ou alors en famille.
Peut-être aujourd’hui n’aurais-je pas dû déjeuner seul, le problème c’est que j’aime beaucoup ça.
Jean-Marie Périer