Il y a quelques mois, en me promenant dans Paris, je suis frappé par ce slogan : « J’ai seize ans et je veux une retraite ». L’idée me semble étrange, comment peut-on déjà penser à ses vieux jours en plein milieu de son adolescence ? Moi qui ne suis plus de la première jeunesse, je ne me suis pas encore vraiment penché sur la question.
Je photographiai donc cette affiche en la gardant de côté, certain que je m’en servirais un jour. C’est là qu’intervient Albert Estival, plus connu sous le nom de « Bébert le coiffeur ». Albert est une figure de Capdenac-Gare dans l’Aveyron. Il a travaillé toute sa vie, depuis son apprentissage à l’âge de douze ans, jusqu’à il y a quelques années. Après avoir commencé par faire des stages à Saint-Céré, à Brive puis à Lacapelle-Marival, c’est enfin à Capdenac-Gare, qu’en stage dans un salon pour hommes, il va rencontrer Paulette, une jeune femme qui travaille dans le salon d’à côté, un établissement réservé aux dames.
Il voudrait bien l’épouser, mais c’est la guerre et certains Français bienveillants à l’égard de l’occupant l’envoient aussi sec aux chantiers de jeunesse.
De longs mois passent, il lui faudra un peu d’imagination et beaucoup de chance pour obtenir une permission et c’est grâce à une appendicite chronique et à un médecin conciliant qu’il pourra enfin épouser Paulette. Plus tard, grâce à l’estime de clients fidèles qui l’aideront à se financer, il pourra prendre en gérance le salon pour hommes pour lui et celui réservé aux dames pour sa femme. C’est là que naitra la légende de « Bébert », le prince de la coiffure de la région grâce à ses deux boutiques situées sur le même trottoir et séparées par seulement quelques mètres. C’est pourquoi j’ai voulu le faire poser, lui et ses soixante années de boulot, devant une affiche dont le message, certes empreint de bons sentiments, devient forcément ridicule si vous regardez Albert dans les yeux.
Que l’UMP me pardonne, je n’éprouve aucun intérêt pour les bisbilles gauche/droite, je vous prie donc de ne voir aucun message politique dans cette photo. Mais voilà un homme veuf depuis bientôt dix ans, qui aura travaillé toute sa vie, et qui se retrouve à quatre-vingt-dix printemps dans une époque où des gamins se permettent de penser à la retraite au lieu d’essayer de réinventer le monde.
JMP