09 Nov

Papillon, la Guyane, les 4 anciens bagnards et mon film perdu

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Henri Charrière dit Papillon et Françoise Hardy à Saint-Tropez à la fin des années 60 (© Jean-Marie Périer)

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Henri Charrière dit Papillon et Françoise Hardy à Saint-Tropez à la fin des années 60 (© Jean-Marie Périer)

J’entendais l’autre jour à la radio le chanteur Sanseverino parler de sa passion pour le livre sur la vie de Papillon, l’énorme succès littéraire des années 60. Il faudra que je le rencontre un jour car il se trouve que non seulement j’ai bien connu l’ancien bagnard évadé de Guyane, mais c’est grâce au succès de son livre que j’ai été tourner là-bas mon premier long-métrage en 1968. Il s’appelait « Tumuc Humac », nom des montagnes amazoniennes voisines, et accessoirement titre impossible à retenir.

C’était une fiction que nous écrivions Jacques Lanzmann et moi en descendant la rivière en pirogue entre Saint-Laurent du Maroni et Maripasoula tout en dormant chez les indiens en compagnie de mon frère Marc Porel et de la chanteuse Dani, les deux héros de notre histoire. Mais si j’évoque ce film, c’est parce que j’y ai fait jouer quatre des derniers bagnards encore vivants depuis que de Gaulle les avait libérés en 1945.

Le premier tenait un café à Cayenne et c’est lui qui m’avait le mieux renseigné sur Papillon. Il est clair que ce dernier avait emprunté plusieurs histoires vécues par d’autres bagnards pour écrire son livre. Sans doute un peu trop proches des gardiens, les prisonniers l’avaient surnommé « Le porte-clef », même si une partie de son histoire était vraie puisqu’il avait quand même réussi à s’évader de l’ile du Diable. Je garde le souvenir de ces deux nuits passées dans cet endroit sinistre éclairé par la lune. Les murs de la prison étaient envahis par une forêt de lianes, comme si celle-ci voulait effacer les traces des supplices infligés à ces maudits de la République.

J’avais rencontré le deuxième ancien bagnard quelques mois avant le tournage et lorsque, après qu’il eut accepté d’apparaître dans mon film, je lui demandai où je pourrais le retrouver, il m’avait désigné un tronc d’arbre au bord de la route. Revenant enfin en Guyane avec un certain retard et je le retrouvai effectivement à l’endroit qu’il m’avait indiqué. Comme je le priais de m’excuser il me répondit dans un sourire: « Vous savez, j’ai passé trente ans dans une geôle de trois mètres sur deux, aussi, vous attendre fut un plaisir ! »

Je trouvai le troisième un soir sur les marches d’une église de Cayenne. D’accord pour tourner dans le film, il m’avait donné rendez-vous pour le matin suivant sur ces mêmes marches. Le lendemain matin, personne. Comme je me renseignai auprès du tenancier du bar, celui-ci m’expliqua que depuis le jour de sa libération le petit homme n’avait plus jamais cessé de marcher tous les jours entre Cayenne et Saint-Laurent, rendant visite au passage à ses amis chasseurs de papillons. « Suivez la route et vous le trouverez. » m’avait-il-dit. Effectivement quelques kilomètres plus loin il marchait d’un pas vif comme s’il voulait encore fuir le souvenir de sa cellule.

Le quatrième vivait dans un village de lépreux près de Maripasoula, il s’occupait d’entretenir le cimetière. Il nous avait reçu dans sa petite cabane dont les murs étaient entièrement recouverts de photos de Paris. Il nous parla de sa fiancée, une hôtesse de l’air qu’il comptait bien un jour accompagner pour revoir la tour Eiffel. À la fin de la journée, lorsque je me renseignai sur lui auprès d’une des bonnes soeurs qui soignaient les lépreux, elle répondit d’un air amusé que, bien sûr, cette femme n’existait pas, qu’elle n’était que le fruit de l’imagination du vieil homme, un rêve ancien, datant sans doute de ses années de bagne.

Jean-Marie Périer

02 Nov

Celui qui brille « dans le poste »…

© Jean-Marie Périer

© Jean-Marie Périer

Sans vouloir jouer les rabat-joies, il me semble urgent de mettre un frein à une pratique récurrente dans les médias parisiens qui consiste à faire de l’humour sur le cannabis et autre cocaïne en pensant que c’est anodin. Il ne se passe plus un jour sans que, sans même s’en rendre compte, une émission populaire ne fasse la promotion de stupéfiants en tous genres. Le moindre chroniqueur en mal d’inspiration ne recule plus devant une plaisanterie sur le sujet, sûr d’obtenir ainsi un effet auréolé de rigolades aussi vulgaires qu’irresponsables.

C’est bien joli de faire la promotion des drogues diverses à seule fin de redorer son petit blason de vieux jeune, cela participe néanmoins d’un mépris absolu pour tous ces adolescents au quotidien sans espoir qui par ennui autant que par manque de repères, se piquant de vouloir ressembler à celui qui brille « dans le poste », finiront par se piquer tout court pour finir en légume sur le gazon des squares ou en momie agenouillée dans les toilettes d’une gare. Je ne saurais vous dire le nombre d’amis, voire de proches, que j’ai vu emprunter cette sinistre route, croyant ainsi échapper à leur vie en suivant une mode. Je connais même un bac plus cinq qui ne parle plus qu’aux cailloux.

C’est pourquoi il me semble criminel de banaliser la drogue lorsqu’on a la responsabilité d’une émission de télévision ou de radio dans le seul but de provoquer un rire facile. Pardonnez-moi, mais derrière ce rire, moi je vois des vies perdues, des familles effondrées et des morts inutiles.

Je sais depuis longtemps que la guerre contre la drogue est perdue, que les gros trafiquants, disposants de moyens financiers dont aucun gouvernement n’oserait rêver, se rient des coups de mentons des dirigeants impuissants, des polices dépassées et des donneurs de leçons dans mon genre. Je sais bien qu’aucune autre économie ne permet à un jeune garçon de faire vivre sa famille en passant quelques heures par jour à guetter un coin de rue. Aussi j’en veux à ceux-là qui plaisantent aux heures de grande écoute de ne pas se rendre compte qu’en batifolant sur un rail de cocaïne ils dansent sur des tombes.

Jean-Marie Périer

24 Oct

Sur scène…

Voilà, ça y est, j’ai commencé mon spectacle. Quatre lundis à Paris jusqu’au 2 novembre pour le rôder et après, mon but est d’aller partout au fin fond de la France, là où les gens doivent faire cinquante kilomètres pour voir se distraire.

Ça se passe au théâtre de la Michodière, heureux hasard puisque cet établissement a été dirigé pendant des années par mon père François Périer. Autrement dit, j’ai passé toute mon enfance dans les coulisses de ce théâtre. J’en aimais l’atmosphère, les actrices qui me parlaient tout bas pendant que mon père évoluait sur la scène, et surtout quand, bien caché derrière le rideau, je le regardais de profil pendant qu’il s’adressait au public.

Ça ne ratait jamais, à un moment il s’approchait de moi tout en disant son texte, puis subrepticement il me caressait la joue sans que les gens me voient et il retournait vers eux, eux qui avaient payé leurs places pour admirer ce grand acteur, eux qui ne savaient pas que par ce geste il me montrait qu’il était d’abord mon père à moi.

Et maintenant je me retrouve sur la scène, à la même place que lui, je ne sais pas où il est, mais s’il me voit, ça doit quand même l’amuser.

Derrière moi sur la scène il y a un grand écran de cinéma sur lequel je projette trois cents photos des années 60 tout en en racontants les anecdotes, les souvenirs, les moments vécus aux côtés des tous ces artistes jeunes et beaux que j’ai eu le privilège de connaître à leurs débuts.

Le tout étant accompagné des musiques de l’époque.

Je prends comme une chance de plus la possibilité de m’offrir un défi à l’aube de mes soixante-seize ans. Car il me semble que si, à mon âge, on ne se met pas en danger, on prend le risque de finir en regardant la télé l’après-midi, occupation certes tentante, mais synonyme à mon sens d’antichambre de la fin des réjouissance. La retraite ? Pas question. Même si en tant que photographe, je crois qu’il est de bon ton de laisser la place aux jeunes, mes derniers cent mètres seront occupés par ce spectacle ( en tout cas je l’espère ) et à l’écriture de quatre romans dont j’ai déjà les plans. Donc, comme vous voyez, je n’aborde pas sans bagage le dernier voyage que représente la vieillesse.

(Il n’y a pas de honte à être vieux, inutile d’appeler ça « Sénior »)

En attendant, cette année je ne peux pas me plaindre. Entre le succès de l’album de «Reporters sans frontières» et ma maison de la photo à Villeneuve d’Aveyron (plus de 10.000 personnes en trois mois ), il ne me reste plus qu’à transformer l’essai parisien de mon spectacle en allant en province afin de rencontrer les gens « normaux » que j’affectionne.

J’ai quand même intérêt à faire vite, car si les voyages forment la jeunesse, force est de constater qu’ils déforment la vieillesse.

Donc plus de temps à perdre…

Jean-Marie Périer

16 Oct

Mieux vaut tard que jamais

© Jean-Marie Périer

© Jean-Marie Périer

Voilà c’est parti. Bientôt soixante-seize ans et je fais mes quatre premières représentations sur scène au théâtre de la Michodière à Paris, ensuite je compte bien aller partout en France, jusqu’au fin fond des campagnes, là où comme chez moi dans l’Aveyron, certains doivent faire cinquante kilomètres pour voir un spectacle. Depuis le début c’est mon but, je rode à Paris, puis je vais en province. Sur ma tombe on pourra marquer : ci-git le roi de la décentralisation.

Car je ne vous ai pas dit, mais ma maison de la photo, ouverte le 13 juillet de cette année, a déjà reçu plus de 10.000 personnes venus voir ma belle exposition s’étalant sur sept salles dans la bastide du 14ème siècle sise au milieu du village de Villeneuve d’Aveyron. Ça fait beaucoup de monde venu profiter de la région, ce qui m’enchante, car je rêvais de pouvoir renvoyer l’ascenseur aux Aveyronnais qui m’avaient accepté il y a de ça vingt ans.

Pendant ce temps, le monde continue de tourner, auréolé de son habituelle absurdité. J’ai entendu dire qu’on voulait apprendre le maniement des armes à feu à des enfants dans les écoles françaises. Déjà supprimer le service militaire fut certainement une des plus grandes bêtises faite par l’État, offrant ainsi aux adolescents du pays l’occasion de passer à côté des règles indispensables de l’ordre, la politesse, la discipline, la camaraderie et un sens du devoir désormais vénéré par les vieux cons dans mon genre qui, sans en avoir la nostalgie, ne regrettent en tout cas pas les 28 mois de leur vie consacrés à l’armée française. Moi qui venait pourtant des beaux quartiers, ça m’a fait un bien fou de voir qu’il y avait d’autres mondes que le mien, même si je me serais bien passé du spectacle de cette guerre qu’on préférait appeler « événements d’Algérie ».

Désormais, inutile de rétablir le service puisque les bambins de dix ans aborderont gaiement la puberté en connaissant les bases nécessaires à l’utilisation des bons vieux fusils Lebel français, qu’ils trouveront du reste vite démodés, s’empressant de passer aux Kalachnikov, un des plus beaux fleurons de la mondialisation.

Tant qu’à faire, on pourrait aussi leur apprendre comment saucissonner les vieux, ça leur ferait gagner du temps pour se faire un peu d’argent de poche.

À la semaine prochaine.

Jean-Marie Périer