En ces temps propices à la morosité, enfin une bonne nouvelle.
Comme vous le savez, Patrick Modiano a obtenu le prix Nobel de littérature.
L’Académie suédoise l’a récompensé pour, ouvrez les guillemets, « l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».
C’est merveilleux puisqu’il ne s’agit pas d’un prix pour un livre en particulier mais pour la cohérence de toute son œuvre.
A l’heure où les politiques français s’acharnent en vain à vouloir croire et nous faire croire que nous sommes toujours la cinquième puissance mondiale ( !!! ), voilà que la France qui baisse la tête la relève tout à coup grâce à la littérature.
En quelque sorte, tout rentre dans l’ordre.
Cette nouvelle me réjouit particulièrement car je connais Patrick Modiano depuis mon enfance. En effet, une actrice flamboyante aux accents d’Europe centrale venait parfois nous rendre visite à Neuilly chez mon père. C’était une amie de la famille, elle s’appelait Luisa Colpeyn. Elle tenait son fils par la main, et bien qu’il fût plus jeune que moi il était déjà plus grand. C’était Patrick Modiano.
Aussi loin que je me souvienne Patrick a toujours été « ailleurs ». Dans ce monde qu’il réinvente sans cesse depuis le jour où l’étoile d’une certaine place lui a frappé les yeux.
Parfois certains s’amusent de son inaptitude à jouer au tennis de la conversation. Sa pensée filant plus vite que la parole, ses mots se cognent et laissent traîner des bribes, comme si le début d’une phrase réalisait l’inutilité de sa fin. C’est parce que pour lui, l’important n’est pas à dire, il est dans les écrits de ses romans.
Il y a, Dieu merci, beaucoup d’écrivains en France. Certains ont du succès, d’autres sont très bons, mais à ceux qui reprochent à Patrick Modiano d’écrire toujours le même livre, le prix Nobel vient de rappeler qu’il faut justement savoir creuser toujours le même sillon pour être un grand écrivain.
Et je voudrais aussi féliciter sa femme Dominique Zehrfuss, car elle n’est pas étrangère à cette récompense. Vous savez, vivre avec un écrivain, ce n’est pas toujours de la tarte, aussi je la remercie d’avoir su accompagner Patrick en ayant l’intelligence de respecter ses absences, même lorsqu’il était dans la pièce.
Elle savait bien, elle, ce qui se cachait dans ses silences.
Le Nobel vient juste de lui donner raison.
Jean-Marie Périer
PS : Chronique écrite pour l’émission « Il n’y en a pas deux comme elle » de Marion Ruggieri sur Europe 1.