Cette photo date d’au moins quinze ans. Bien sûr j’aurais pu demander à Daniel Auteuil d’en faire une nouvelle puisque j’ai eu la chance de le voir cette semaine au théâtre de Paris en compagnie de Richard Berry dans la pièce «Nos femmes», leur incroyable succès du moment. Mais j’ai pour habitude de ne déranger les gens que lorsque c’est indispensable et comme j’ai sous la main ce portrait de lui que j’aime bien…
Je n’avais pas mis les pieds au théâtre depuis des années, il faut dire que ma désaffection pour ce genre de spectacle date d’il y a très longtemps. Attendu que c’était la passion de mon père, François Périer, je n’ai rien dit pendant cinquante ans. J’ai passé mon enfance dans les théâtres pour voir ce père extraordinaire mais si souvent absent. Les jours où il ne tournait pas un film, il ne fallait pas faire de bruit jusqu’à midi et les semaines précédant les «générales» de ses pièces la nervosité engendrée par son trac imprégnait les murs de la maison.
En pénétrant dans la salle où le public l’attendait, il y avait cette odeur lourde qui me rebutait, je trouvais que ça sentait « le vieux », je ne comprenais pas pourquoi autant de gens toussaient et puis d’une certaine façon, ils me prenaient mon père.
Alors ma préférence allait aux coulisses, avec les actrices qui me chuchotaient des gentillesses comme dans une église, on m’emmenait jusqu’à sa loge dont les murs étaient recouverts de photos de nous ses enfants, puis une avec sa femme et une avec Louis Jouvet, son maître. Parfois dans le haut-parleur des couloirs j’entendais le son de sa voix monter de la scène où il jouait, mais lorsque son personnage se mettait en colère c’était mon père que j’entendais et ça me faisait un peu peur. Alors je descendais près du rideau ouvert et caché du public je le regardais évoluer à l’aise sur la scène en attendant qu’il me repère. Et là, généralement il me souriait et se dirigeait vers moi en faisant semblant de sortir, puis sans que le public ne le voit, il me caressait la joue en murmurant «Ca va mon grand ?». Alors j’étais content, il pouvait retourner distraire les spectateurs, maintenant c’était moi qui le leur prêtait.
L’autre soir dans les coulisses je suis allé féliciter Richard et Daniel pour leur formidable performance. Ce dernier m’a parlé avec émotion de la pièce qu’il avait joué jadis aux côté de mon père (« Coup de Chapeau », à la Michodière il y a trente ans), ça m’a vraiment touché, car ce soir-là en regardant Daniel Auteuil évoluer sur la scène, c’est mon père que je revoyais.
Jean-Marie Périer