Ainsi donc, les frontaliers ont gagné. Une bataille, pas la guerre. Mais quand même. Les quelque 130.000 Français qui travaillent en Suisse (dont près de 40.000 Francs-Comtois) pourront continuer à adhérer à des mutuelles privées plutôt qu’à la Sécurité sociale française. Supprimer ce régime dérogatoire, comme l’envisageait le gouvernement, aurait pourtant permis de recueillir près de 400 millions d’euros de cotisations supplémentaires pour la Sécurité Sociale, dont le budget 2013 prévoit pas moins de 13,9 milliards d’euros de déficit. Pour boucher l’abysse, les fumeurs, les buveurs de bières et les retraités seront mis à contribution, mais pas les frontaliers. Pour la plus grande satisfaction des premiers intéressés, mais aussi des élus francs-comtois. A droite comme à gauche, on se félicite d’avoir fait plier le gouvernement. Au détriment de l’intérêt général?
Les temps sont durs. Les caisses sont vides. Il va falloir se serrer la ceinture. Soit. Mais alors que le gouvernement appelle depuis le début de l’été à la mobilisation générale, pourquoi diable a-t-il cédé au lobby des frontaliers? Oui, lobby. Il faut bien appeler un chat un chat. D’ailleurs, le groupement transfrontalier européen le reconnaît lui-même: « Cette décision fait suite à l’intense mobilisation des frontaliers, de leurs représentants et des élus des régions transfrontalières ». Les élus, de droite comme de gauche, ont relayé l’inquiétude d’une partie non négligeable de leur électorat… et se sont chaudement félicités d’avoir obtenu gain de cause.
A la pointe de ce combat, la députée UMP de la 5e circonscription du Doubs, Annie Genevard, se démène depuis son élection pour empêcher la disparition du régime dérogatoire: lettre aux ministres concernés, question écrite, intervention hier lors de la séance de questions au gouvernement… et nouvelle demande écrite de rendez-vous cette semaine avec Pierre Moscovici et Marisol Touraine, pour tenter de prolonger le droit d’option au-delà de l’année prochaine (le régime dérogatoire arrive à échéance le 31 mai 2014). Un courrier signé par 22 autres parlementaires de droite issus des départements frontaliers, parmi lesquels les Francs-Comtois Marie-Christine Dalloz, Gérard Bailly, Marcel Bonnot, Damien Meslot et Michel Zumkeller.
« Cette suppression du choix de l’assurance maladie pourrait priver les frontaliers de près de 200 euros mensuels sur un salaire moyen, ce qui est injuste pour une population qui travaille beaucoup – eux ne sont pas aux 35 heures – une population qui connaît des conditions de déplacement extrêmement difficiles en zone frontalière et peu de sécurité dans l’emploi. En outre, l’économie de nos territoires frontaliers s’en ressentirait fortement », lançait hier à l’Assemblée la députée de la circonscription Pontarlier-Morteau, où résident de nombreux frontaliers.
A gauche aussi, on se réjouit d’avoir fait reculer le gouvernement. « Une telle mesure aurait eu des conséquences très lourdes pour notre territoire », se félicitent dans un communiqué commun les sénateurs Martial Bourquin et Claude Jeannerot, le député Frédéric Barbier, et le président de l’agglomération et maire de Montbéliard Jacques Hélias. Les arguments sont les mêmes qu’à droite: cette mesure « se serait traduite par une baisse significative du pouvoir d’achat de ces travailleurs et de leurs familles, avec des répercussions sur le commerce local, mais aussi sur l’attractivité de notre département, pour qui l’économie transfrontalière est une source de croissance non négligeable ». Et le quatuor socialiste n’oublie de remercier « les Ministres concernés pour leur réactivité et leur qualité d’écoute ». Pierre Moscovici, lui aussi élu du Doubs, n’en demandait sûrement pas tant…
Un pouvoir d’achat en berne, vraiment?
Alors certes, la perte en pouvoir d’achat aurait été conséquente pour les frontaliers, mais du pouvoir d’achat, ils en ont quand même un peu plus que le Français moyen. La preuve: la pression immobilière dans le Haut-Doubs est désormais telle que les maisons anciennes sont plus chères à Morteau et Pontarlier qu’à Besançon.
Bien sûr, les frontaliers qui cotisent à une mutuelle privée ne sont remboursés que pour les soins couverts par cette mutuelle, mais les chiffres sont formels: plus ils sont âgés, plus leurs soins coûtent cher, et plus les frontaliers reviennent vers la Sécurité sociale française. Pas folle la bête. D’ailleurs, certaines caisses primaires d’assurance-maladie constatent un taux de fraude largement supérieur à la moyenne: « Les travailleurs frontaliers représentent 10 % de la population mais 30 % des anomalies que nous détectons », a confié à l’AFP un responsable de la CPAM d’Annecy, cité par Le Monde. Le préjudice, pour le seul département de Haute-Savoie, est estimé à 200 000 euros par an.
Les temps sont durs. Les caisses sont vides. Il va falloir se serrer la ceinture. Soit. Mais les efforts sont-ils vraiment partagés par tous?
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