Qui était Lise ? Une excentrique ? Une vieille dame nostalgique ? Une écrivain ? Ou une grand-mère facétieuse ? Les Secrets de Lise est un beau roman de Jeanine Berducat qui met les pieds dans le plat de la modernité en posant les questions qui nous gratouillent …
Le roman ouvre sur les obsèques de Lise, auxquelles assistent ses proches, et le responsable d’une association littéraire qui résume une vie riche d’amis, de rencontres et de romans qui ont fait de Lise une figure reconnue de ce hameau du Poirond, au fin fond de l’Indre, à la frontière avec la Creuse.
Lise a eu quatre petits-enfants : Judith et Sébastien, et leurs cousins, Aurore et Nicolas, tous présents pour les obsèques de cette grand-mère perdue de vue, et considérée — sans oser le dire à voix haute — comme toquée, passéiste et un brin radoteuse, mais aimée, malgré tout…
Convoqués à quelques temps de là, les petits-enfants découvrent que Lise leur a imposé une dernière volonté, légèrement facétieuse : elle désire que sa maison reste en indivision pendant six années, à charge pour ses petits-enfants de s’y retrouver une semaine tous les ans, d’échanger et de réfléchir !
En guise de viatique, chacun reçoit un exemplaire de son dernier manuscrit, ainsi qu’un petit cadeau, différent pour chacun, à l’un un flacon empli de terre, à un autre un billet de banque réduit en confettis… nulle indication, juste le souhait de Lise que chacun lise sa dernière œuvre, prenne le temps d’y réfléchir et résolve le rébus que constitue le petit cadeau…
Animatrice dans des clubs de vacances, Judith est la première à s’engager, elle adorait cette grand-mère qui s’est dépensée sans compter pour ses petits-enfants. Veillant à l’exécution du testament, et, disposant de temps libre, elle s’installe dans la maison du Poirond qu’elle explore, exhumant souvenirs, photos jaunies et sorties pour rencontrer les amis et proches de Lise.
Sensible au désir de sa grand-mère de faire réfléchir ses petits-enfants, et d’ailleurs, rebutée par la superficialité de son métier d’animatrice, elle est bientôt gagnée par un certain dégoût de la vie qu’elle a menée jusque là : elle emménage définitivement au Poirond, en quête de redéfinir sa vie sur des bases renouvelées : la nécessité de comprendre les mœurs de cette campagne qui disparaît et de ce qu’elle avait au fil des siècles façonné de meilleur.
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Cadre d’un groupe pétrolier, son frère Sébastien travaille sur des chantiers lointains et sa compagne déteste cette campagne, sa verdure et son peu de conformité avec les canons de la Modernité, qu’ils connaissent tous par cœur à défaut d’y avoir réfléchi. Toutefois, alors qu’il est gagnée par le cafard, un soir au fin fond du Soudan, Sébastien ouvre le manuscrit de Lise…De même pour leurs cousins, Aurore rêve d’artifices, de vitesse, se saoule de randonnées à moto avec son petit ami. Nicolas est le seul à avoir pris racine au pays, paysan, travailleur acharné, grevé d’emprunts pour gagner un salaire de misère, il court lui aussi d’un bout à l’autre de sa journée après un travail qui lui échappe toujours plus… S’il nourrit des doutes sur cette modernité qui se résume à une course déjà perdue contre le temps, il n’en dit rien et s’en remet à sa compagne.
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La problématique est posée, et le roman se déroule à la manière de ces paraboles bibliques où les êtres sont pris dans une vie qui ne leur offre que souffrances, fuite en avant, ou nécessité de s’étourdir dans des plaisirs imposés. Chacun est amené à réfléchir sur le sens de sa vie, de sa conception de la modernité, la vitesse, et ces tâches qu’on exécute avec un vertige croissant.
Or, poser la question, c’est parfois y répondre.
Que la jeunesse aime la vitesse, c’est une évidence et c’est son droit. Que la vie impose à chacun une course erratique pour une quête de bonheur qui s’achève dans la souffrance, à l’hôpital au premier accident ou dans une solitude douloureuse que la vitesse ne peut masquer… est aussi une problèmatique moderne. A quoi sert le Burn Out, par ex, à celui qui en est la victime ? Lise — et l’auteur — nous posent à nous aussi la question de la modernité. Est-ce bien ce dont nous avions rêvé, à vingt ans, que cette course sans fin dans des activités dont la vanité peut faire monter le dégoût en bouche ?
La question de la souffrance et sa résolution, est au cœur de la réflexion bouddhiste ou chrétienne, elle est centrale, aujourd’hui, à l’époque des Start’Uper et de leur volonté de tout bousculer sans tenir compte des dégâts qu’ils provoquent autour d’eux, démiurges au parfum parfois usurpé de philosophie (que dirait Paul Ricœur de l’usage qui est fait de son travail ?) et semant désolation et destruction sur leur passage. Est-ce bien le monde que nous voulons ? Que nous voulons non seulement pour nous, mais pour ceux qui vont nous succéder ?
Il y a un art de la nostalgie chez Jeanine Berducat que j’avais déjà eu l’occasion d’apprécier avec un précédent roman, « Jeanne des Eaux Vives » et un goût des humains, des rencontres, que je trouve précieux et extrêmement émouvant, qui font des Secrets de Lise une lecture enrichissante, et une invitation à réfléchir, comme en miroir, les questions qui se posent à chacun de ses héros… et, plutôt que de céder à un monde qui préfère s’étourdir plutôt de méditer, prendre le temps de savoir ce que nous voulons, et ce que nous pouvons.
Dans un premier temps, les Secrets de Lise nous invite à suivre les pas de Judith, Aurore, Sébastien, Nicolas et des autres que leur réflexion va attirer comme un aimant d’humanité.
Bernard Henninger
PS : un sujet que France 3 avait consacré à Jeanine Berducat et qui nous en apprend beaucoup sur les Secrets de Lise :