04 Mar

Nuits de pleine lune (Alain Rafesthain)

Les Nuits de pleine Lune, d’Alain Rafesthain, clôt la trilogie du Thym de Bergère commencée avec Les Sabots Vernis. L’écriture, classique, dégage une belle sensibilité avec un récit qui finit en apothéose…

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Le roman commence en Noël 1939, à la messe de minuit, où une voix grave vient se mêler aux voix des femmes de Hauterère — le village où se déroule l’essentiel du roman —, surprenant tout le monde, car il s’agit d’Étienne, le voisin d’Augustin, revenu de la ligne Maginot. Il a obtenu une perm’, et après un voyage de trois jours, est parvenu à rejoindre sa femme et ses enfants à temps pour fêter Noël. Étienne conclut son bref passage par cette espérance que la guerre soit finie pour l’été et les moissons…

Sans transition, le chapitre suivant enchaîne avec la débâcle, de 1940, un afflux de réfugiés traversent le village, et ainsi de suite, avec des chapitres construits comme des tableaux autonomes, les dates-clef de la Seconde Guerre mondiale sont égrenées, l’hiver 1941 (chapitre 2), mai 1942. Au chapitre 5 (Mars 1943), un couple sonne chez Étiennette, une veuve de 14-18 : ce sont des juifs qui viennent de la part de sa cousine et qui cherchent quelqu’un à qui confier leur petite fille : Étiennette accueille  ainsi Sara Lévitan, la rebaptise Régine Létang, lui fait faire des faux-papiers et l’élève comme sa propre petite-fille…

La guerre est évoquée par le prisme du village imaginaire de Hauterère, mais qu’on n’imagine guère différent de Presly, village natal de l’auteur, où le village voisin d’Ennordres est cité à plusieurs reprises, ou la proximité avec la route nationale reliant Bourges à Auxerre… et il est raisonnable de supposer, que, derrière la fiction, s’incarnent des souvenirs plus personnels. Ce qui fait toute la subtilité du roman.

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La narration s’écarte volontairement du schéma-type de la saga familiale, qu’est cette trilogie depuis le premier tome, les Sabots vernis (2015), et un Dernier Vol de grues (2016).

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Dans le premier, nous avons suivi le dur apprentissage d’Augustin et sa précoce entrée dans l’âge adulte à cause de la Guerre 14-18 qui a vidé le village de ses hommes, et dans le second, Augustin construit sa vie et bâtit sa famille dans un milieu violent, et hostile.

Les Nuits de Pleine Lune suivent le déroulement de la seconde guerre mondiale à Hauterère sur un modèle assez proche de la série télévisée de France 5 : Un village français, avec son cortège de violences et d’oppression : occupants allemands tout puissants et brutaux, installation d’un maire collabo, Octave Renart…

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Alain Rafesthain nous rappelle que pour un cœur épris de liberté et d’idéalisme, la réalité ne présente jamais que de rares échappatoires et se montre par contre prodigue d’individus qui s’astreignent obstinément à dresser leur portrait en caricature : collabos donneurs de leçons, responsables se comportant comme de vulgaires indics et dont le talent se résume à des dénonciations…

 La guerre tranche avec l’époque moderne par la violence qui explose à la moindre occasion. Le collabo Mateoli n’est malheureusement que le décalque du sinistre Pierre Paoli qui devint tortionnaire pour la Gestapo. Ceux qui échappent à cette logique y gagnent en grandeur mais le roman rappelle utilement des faits d’où sont issues notre modernité et nombre de nos institutions…

 Côté écriture, le style — classique — intègre de nombreuses expressions, allemande, militaire, mais aussi tout un florilège de mots berrichons : les bourries (les fagots pour le four), les Bremailles (les hautes bruyères), la Mésienne — la sieste — ou le Cul-de-loup qui est une hutte semi-enterrée pour citer les plus savoureux.

Enfin, au moment du débarquement, le narration se recentre sur Augustin et déroule une histoire plus surprenante, plus tendue aussi et finit sur un suspense surprenant et bienvenu.

En conclusion, ce troisième tome de la saga du Thym de Bergère, bien qu’inégal au niveau narratif, se signale par sa sensibilité, sa vérité et l’intensité des portraits des personnages qui forment comme un chœur de résistance vibrant et somme toute, actuelle.

Bernard Henninger

04 Fév

Écume des Vieux-Fonds (Pierre Belsœur)

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Pierre Belsœur, dans la collection Black BERRY aux éditions La BOUINOTTE propose un polar riche et plein  de rebondissements : à recommander tout public !

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Deux plongeurs du dimanche, effectuant une sortie dans les anciennes ardoisières de Trélazé, près d’Angers, tombent sur un cadavre par 35 mètres de fond : le lieutenant Emmanuelle Champtin obtient de son commandant l’autorisation d’enquêter sur cet inconnu… mais du bout des lèvres, car le commissaire n’aime guère les cadavres anciens et les vieilles querelles qui remontent à la surface.

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Le légiste date le corps des années 70, époque où les très anciennes Ardoisières de Trélazé étaient en activité.

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Épluchant les archives de la presse, Emmanuelle est attirée par la disparition d’un certain Francis Beaudouin, ouvrier aux Ardoisières. Sa femme et ses deux fils, s’ils ont réussi à surmonter cette épreuve, ne sont jamais bien remis de sa disparition soudaine et que rien n’avait annoncé. Les fonctionnaires de police sont accueillis avec une certaine, défiance car il s’avère que l’enquête initiale a été bâclée. Néanmoins, remis en confiance par cette jeune enquêtrice sérieuse, les deux fils acceptent de donner leur salive pour une analyse ADN, seule capable d’identifier le cadavre…

À la suite des analyses ADN qui confirment l’identité du mort, le légiste parvient à démontrer qu’il y a eu assassinat. Le commandant refuse pourtant que ses enquêteurs se dispersent sur un meurtre vieux de quarante ans. Coïncidence ? Des incendies à Trélazé renvoient Emmanuelle sur les lieux du drame : les Ardoisières de Trélazé haut lieu de la mémoire ouvrière Angevine, riche d’une culture spécifique, qu’il va lui falloir appréhender pour comprendre la nature du drame qui s’est joué là quelques quarante ans plus tôt.

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À mon goût, les décideurs de télévision gagneraient à s’intéresser à des auteurs régionaux tel Pierre Belsœur. Pour un polar du samedi soir, cette Écume des Vieux Fonds fournirait un récit palpitant… En attendant, la lecture d’un bon polar est aussi l’occasion d’enchaîner plusieurs soirées et de se détendre tout en apprenant des choses sur notre région.

Petit reproche : Les enquêteurs manquent un peu de chair, leurs relations auraient pu être plus fouillées, les oppositions plus marquées, la bonhomie générale qui baigne le milieu des enquêteurs manque de… d’âpreté, mais elle ne gêne ni la narration ni l’intrigue.

Le milieu policier est décrit en détail dans sa complexité labyrinthique et l’auteur évoque sans complaisance un certain laisser-aller, conséquence probable de trop de réformes et d’excès d’économies : police-gendarmerie, les archives… le tout inséré en harmonie dans la narration, avec un soin de documentariste, donne de la vigueur au récit, l’ancre dans la modernité, et rend toute la saveur d’une vie d’enquêteur.

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Les Ardoisières de Trélazé, dominent le cœur du récit : leur fonctionnement, la fin programmée de ces carrières exploitées depuis des siècles et autour desquelles se sont développées des communautés ouvrières Angevine ou Bretonne, une culture, avec ses jeux, ses danses et ses fêtes… La passion de l’auteur pour ces lieux est sensible, vivante, avec un brin de nostalgie, mais c’est toute la saveur et les excès d’une époque qui reviennent au grand jour avec ce cadavre qui a beaucoup plus à nous dire qu’il n’en a l’air. Enfin, le ton est léger, plaisant, parsemé de dictons et de citations drôlatiques.

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Pour résumer, je trouve ce polar bien écrit, l’histoire est originale, construite, les personnages ont une richesse et des secrets que l’enquêtrice va devoir débusquer, et je trouve bien conçue l’envolée finale (je sais tout ! mais je ne dirai rien). Il ne reste qu’à souhaiter longue vie à ces Black Berry’s Stories, en souhaitant qu’elles se développent encore plus dans les années à venir.

Bernard Henninger

27 Jan

Oiseaux de nos rivières et plans d’eau (Cécile Richard, Christian BEAUDIN)

« Oiseaux de nos rivières et plans d’eau »

Voici un petit livre au format horizontal, qui nous délivre un précis d’images et d’ornithologie, accessible à tous, alliant image, curiosité et savoir où la photo saisit chaque oiseau dans un mouvement,  et lui donne grâce et élégance,

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Un livre d’images a parfois une séduction troublante, et tout aussi souvent, à l’instar d’une belle dédaigneuse, il vous laisse tomber des mains, en cours de lecture ; « Dédain et ennui sont frères de lait ». Trop ceci. Pas assez cela. Eh bien ici, voici un livre qui se lit comme un roman d’aventure : les Éditions du Jeu de l’Oie nous proposent de joindre l’utile, l’agréable, le beau et le savoir, un doigt de science dans une rivière d’images, cela s’appelle :

« Oiseaux de nos rivières et plans d’eau »

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Abécédaire des oiseaux de notre région, le petit livre se présente comme une série de fiches descriptives des oiseaux de nos contrées. De ’A’ comme Aigrette garzette, ou Avocette Élégante, à ‘S’ comme Spatule Blanche, et ’V’ comme Vanneau Huppé, en passant par ‘G’ comme Grande Aigrette, mais j’y reviendrai plus loin, l’ouvrage a le mérite de la concision.

Avec son format horizontal, il tient dans une main, et, grâce à une couverture rigide, il se lit aisément, comme un feuilleton dont les héros seraient des oiseaux.

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Il a aussi le mérite de nous aider à mourir moins bête, ce qui n’est pas la moindre de ses vertus : chaque oiseau est décrit par son nom commun, puis son nom latin, les auteurs, Cécile Richard et Christian Beaudin, nous donnent leurs mensurations : taille, envergure, poids et longévité, tandis qu’un commentaire nous explique où les trouver, à quelle saison, ce dont chacun se nourrit, son habitat, et comment il se protège.

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Ainsi, longtemps, j’ai parlé à un ami d’un Héron Blanc, que j’allais filmer pour l’image météo de France 3 et cet ami, grand connaisseur de la nature et de la faune de m’expliquer qu’il « n’y a pas de Héron blanc, que ça n’existe pas, du moins pas en région Centre, ni même en France, pas non plus en Europe, et d’admettre qu’éventuellement, en Égypte… » mais non, trois fois non, il était inenvisageable qu’un oiseau Égyptien vînt hanter les étangs de Sologne. J’ai eu beau le filmer, lui envoyer les images, rien n’y a fait, il ne me croyait pas.

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Eh bien ! Loin de moi l’idée de le frimer et de le toiser du haut de mon savant savoir, je peux désormais, grâce aux « Oiseaux de nos rivières et plans d’eau » lui expliquer doctement et sans la moindre concession qu’Ardea alba, en latin s’il vous plaît, que les habitants de la région appellent communément, mais à tort, Héron blanc, désigne la Grande Aigrette, page 64, et que la fiche descriptive est suivie de cinq photos pleine page montrant successivement :

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  • un groupe de grandes aigrettes,
  • une aigrette en chasse, bec pointé, œil cruel,
  • une troisième prenant son envol avec des grâces d’échassier aux trop longues pattes,
  • une quatrième ébouriffée par on ne sait quoi
  • et une cinquième les saisit en pleine danse nuptiale, tout de blanc vêtus à faire verdir d’envie les Cygnes.

En tant que cameraman et photographe, je ne saurais trop insister sur l’exceptionnelle qualité des images, qui saisissent chacun dans ses rituels quotidiens et font de ce livre un régal visuel pour en savoir un peu plus sur notre région.
Lisez, lisez « Oiseaux de nos rivières et plans d’eau » ! Et n’hésitez pas à revenir nous dire ce que vous en pensez !

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« Oiseaux de nos rivières et plans d’eau »

Textes de Cécile Richard
Photos de Christian BEAUDIN
aux éditions du Jeu de l’Oie

Bernard Henninger

19 Jan

Fêlure (Michel Diaz)

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Recueil de poèmes de Michel Diaz

aux éditions Musimot a la forme d’un livret carré, et il tient dans un sac ou une poche. Constitué de poèmes en prose, son style semble s’inspirer librement des Haïkus Japonais…

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À la manière d’un journal, chaque poème débute avec une date, le recueil commence au 21 décembre et s’achève au 26 mars, et semble proposer un compte-rendu du temps qui passe… ce qu’il feint d’être avant de s’évader vers des dimensions plus intérieures. Le poème part d’une chose, d’un fait, d’une constatation de nos sens, pluie, froidure, chaussures mouillées suivi d’une plongée intérieure :

21 décembre : Ces longs flocons qui tombent, je suis seul à pouvoir les entendre… Comme je suis seul aussi à entendre ces lents éclairs, ces lentes minutes, ces lentes secondes, et ces toujours plus lourds et longs instant et ces patientes plantes qui descendent, l’une après l’autre les imperceptibles degrés du temps.

Et le lecteur pénètre au cœur d’un hiver qui n’est ni tout à fait une saison ni tout à fait un paysage de l’esprit, qui échange l’un avec l’autre dans une circulation fluide entre une réalité qui nous reste étrangère, muette, car fermée aux échanges, aux émotions et des paysages intérieurs déchirés. Par le biais d’une mise en abîme permanente, le quotidien et l’hiver permettent de découvrir les facettes d’une nostalgie :

Aux heures de lumière avare où le sang ralentit, où les mots se font rares, se cognent à leur ombre et ne font qu’une suite de râles, je déplie le rouleau de l’hiver.

Le travail de Michel Diaz témoigne d’une économie de moyens, d’une volonté de se restreindre à un vocabulaire concret, entre l’immédiateté du réel, les brisures d’une vie qui est comme un émiettement de l’être, et le rêve idéalisé d’une présence au monde exempte de douleur, d’émotion, comme si on pouvait être sans aimer et sans souffrir.

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Partant d’un questionnement, chaque poème en prose débouche sur une absence, un manque que l’on questionne, il y a dans ces poèmes une épure et un élan qui font songer à la construction des Haïkus, écrits avec une une prose exigeante, qui, plutôt que de se soumettre aux conventions rebattues d’un sage déroulement des vers et de leur chant si conforme, tente de se confronter à l’âpreté de la prose.

10 janvier : On dépose bien ses chaussures mouillées sur le seuil de la porte. On peut y déposer aussi ce qui, de nous-mêmes, nous est un encombrant bagage. Ce qui tombe d’un mur mal bâti… Longtemps j’ai rêvé d’habiter un corps, douloureusement inconnu et toujours hors d’atteinte. Un corps étranger, mais jumeau, qui depuis toujours m’attendait, au revers de la porte close. Sans chagrin de sa part et sans rien à défendre…

Il y a des brisures d’enfances, jamais résolues, qui empoisonnent le regard, et ces fêlures me semblent entrer en résonnance avec une autre, plus ancienne mais qui chante dans la mémoire :

Le vase où meurt cette verveine
D’un coup d’éventail fut fêlé
Le coup dut effleurer à peine
Aucun bruit ne l’a révélé. […]
Mais la légère meurtrissure…
En a fait lentement le tour. […]
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n’y touchez pas.

           Sully Prudhomme           

 Et cette fêlure, cette perte d’innocence, conduit au mutisme, à l’impossibilité de dire ou aussi, parfois à une brisure du Soi, un dédoublement, où l’autre semble posséder une vie propre, une présence au monde calme, libérée de la douleur et de l’angoisse; Pourtant, la création avance au travers de l’hiver, égrénant les jours, peut-être plus optimiste qu’elle ne veut bien l’avouer : « ne pas se désoler, pensais-je encore, d’avoir autant lutté avec si faible esprit et de si pauvres armes », la poésie vu comme une issue, faible, ténue, parfois dérisoire, pour émerger du labyrinthe intérieur qui est comme un gouffre magnétique, qui attire plus qu’il n’effraie.
La poésie comme une magie : les mots sont comme les briques d’un jeu de construction, mais plus le poéme progresse, plus le matériau se fait rare, réclamant en quelque sorte, une compensation à cette tension, et un poids équivalent de silence. Voilà, donc ce court recueil que l’on peut évoquer à défaut de l’analyser :

Flaques de mars, battues vent, haleine, froid, mais sa présence insaisissable, à fleur d’épaule, une main presque amie, comme cherchant une clé.

 La poésie de  Michel Diaz mêle l’obscurité des mots, la clarté d’une froide saison, le désespoir d’écrire et ce sentiment de la vie comme une fêlure fine qui parcourant le vase de notre corps menace de le scinder en deux.
Voici donc un recueil qui conjugue nos mots, et si cette chronique fort tardive parvient à vous donner le goût de l’hiver, n’hésitez pas à vous plonger dans sa mélancolie, ses faux airs de Haïku, et de partager, malgré les obstacles, son avancée résolue dans une inspiration qui tient chaud contre vent, pluies et froidures. Il faut lire la poésie de Michel Diaz !

Fêlure de Michel Diaz aux éditions Musimot

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Bernard Henninger