24 Nov

Roman : « Ada Lovelace ou la beauté des nombres » par Catherine Dufour

Évoquer le destin d’Ada Lovelace est un exercice funambulesque, où l’autrice pilote son récit entre une réalité crue, parfois violente et un climat où le fantastique devient une réalité tangible.

Avec cette biographie atypique, l’autrice, Catherine Dufour tente de comprendre le fonctionnement de la noblesse anglaise à l’aube du XIXme siècle, entre fantastique, comportements violents, destructeurs, oisifs, et d’étonnantes percées : une éducation où les mathématiques sont enseignées avec rigueur et précision, de manière à faire apprécier la beauté des nombres…

À examiner le milieu dont est issue Ada Lovelace, le lecteur pourrait douter de la capacité d’un tel milieu à produire du génie. Or, cette jeune femme a inventé ce qui est devenu le premier programme informatique, et, en particulier, la toute première « boucle logique » en se basant seulement sur sa capacité à penser la machine de Babbage, qui n’exista jamais qu’à l’état de projet sur le papier.

… La question est de parvenir à la rédaction de cette « note G » qui fait d’Ada Lovelace l’inventrice de l’informatique avec Charles Babbage, et la créatrice du tout premier programme informatique. Toute la difficulté consiste à établir un tableau, à la manière d’un tableau de Turner, aussi précis que celui-ci et capable de décrire l’impalpable, les nuées belles et chargées de tempêtes : ce qu’était la noblesse anglaise au début du dix-neuvième siècle. Un noble est doté d’une fortune, que nous peinons à nous représenter, mais, l’oisiveté étant son expression la plus notable, elle ouvre la porte aux comportements les plus extrêmes et, parfois les plus violents.

Ada est la fille d’Anna Milbanke, qui avait reçu une solide éducation et qui garda pour les mathématiques une inclination sa vie durant, et de Lord Byron, qui au moment de sa naissance, et parce que cela mettait sa femme au supplice, s’ingénia pendant son accouchement à tirer au pistolet sur le mobilier. Toutefois, de son père, contraint à l’exil du fait de son homosexualité, elle ne garda que le nom et la réputation sulfureuse.

Comment, dans un milieu aussi hostile, où les femmes n’ont pour d’autre fonction que d’être des mères, ou de briller en société par leurs toilettes et leur beauté, une jeune femme s’est-elle prise de passion pour les mathématiques ?

Comment a-t-elle fréquenté un inventeur illuminé, Charles Babbage, projetant de construire une machine qui ne vit jamais le jour ? Comment ces deux personnalités si instables et fragiles en vinrent à s’associer un temps fort bref, où Ada, dans un éclair de génie qui nous sidère encore, décrivit très précisément les possibilités immenses de cette machine imaginaire ?

Un génie comme Babbage passe surtout pour un excentrique, un fou, qui prétend bâtir une machine inspirée d’un métier à tisser ( !) avec laquelle il prétend rien moins que faire des calculs ! Transposez cette situation dans une Party, une après-midi, avec du thé, des gâteaux, une foule où les épigrammes fusent et où les affaires de cœur, les mariages arrangés et les aventures sexuelles sont les seules préoccupations et vous comprenez l’impossibilité qui en résulte.

 

Comment Ada a pu se former, résister à la pression de son milieu, jusqu’à trouver un « accomplissement » singulier dans l’exercice des mathématiques, tout en étant une épouse, une mère et en fréquentant ces inévitables salons ?

J’ai lu cette biographie avec curiosité et un mélange de passion, car l’autrice avec un art qui n’appartient qu’à elle évoque avec une précision d’entomologiste ces aristocrates anglais, violents, dépravés et dresse un portrait sensible d’une société dont on se demande comment elle a pu produire de telles lumières.

Je vous recommande cet OVNI littéraire, une biographie écrite dans un style capable de rendre palpable la crudité des mœurs aristocratiques, leur folie, et qui se lit comme on lit un roman fantastique de Mary Shelley, sauf que son Frankenstein n’est pas une machine à qui l’inventeur donne la vie par hasard, mais une femme intelligente et fragile qui donne à un Machin fait de rouages, de chiffres et de courroies vie, beauté et sensibilité.

Bernard Henninger