06 Juin

Chuck Berry, Mick Jagger, John Lennon

L’autre jour à la radio, j’ai entendu quelqu’un déclarer : «Moi je suis rock !». Cette assertion m’a semblé tellement dérisoire que j’aurais aimé pouvoir lui dire :

Le rock c’est d’abord une musique et une danse. Point.

La volonté de vouloir « être rock » de nos jours est une lubie d’admirateur fantasmant d’être John Lennon au début des années 70.

Les obsédés de la «branchouille» croient qu’il suffit de mettre des lunettes noires, un blouson de cuir et de jeter une télé par la fenêtre pour se forger une identité de rebelle, alors que ce n’est que l’apanage des suiveurs.

Quand j’ai rencontré les Beatles et les Rolling Stones, ils étaient en cravate, ce qui ne les empêchait pas «d’être» le rock, le vrai, celui que j’ai eu le privilège de voir de près à ses débuts. Je me méfie toujours de ceux qui ont la panoplie.

Copyright Jean-Marie Périer

Par exemple, Jean Genêt que j’ai côtoyé pendant quelques mois au début des années 70 avait l’air de tout sauf d’un écrivain. On aurait dit un peintre en bâtiment. Pourtant, Dieu sait s’il l’était «rock» selon la formule consacrée, mais il ne tentait pas de le paraître.

Chuck Berry, un des inventeurs de la musique rock, avec lequel j’ai traversé le Sud des Etats-Unis en 1966 ne voulait ni manager ni musiciens, il faisait sa tournée seul en décapotable, engageant des musiciens dans des bars pour le concert du soir et il n’entrait sur scène qu’après avoir reçu son cachet en cash. Son attitude était-elle donc «rock» ?

En tout cas c’était sans le rechercher.

Keith Richards, torse et pieds nus sur le tarmac de l’aéroport de Houston, trainant une écharpe sanscrite en buvant au goulot d’une bouteille de Bourbon sous un soleil de plomb avant de s’effondrer dans l’avion privé des Rolling Stones,  vivait ce que les autres désigneront plus tard comme l’attitude «Rock». Mais lui au moins il l’inventait.

Je me souviens aussi du grondement de pieds des spectateurs ébranlant le sol du Madison square garden de New York pour un concert des Stones. Des milliers de gens qui n’ont pu entrer hurlent au dehors tandis qu’un orage éclate affolant les chevaux des policiers débordés par la foule, vision d’apocalypse. Je retrouve Mick Jagger seul dans sa loge, le visage posé sur sa main, en train de se regarder dans un miroir. Il a l’air triste. Comme je lui demande si ça va, il me regarde et me dit :

«Oui. Je m’ennuie, c’est tout.»

Alors ce jour-là, d’accord, j’ai eu l’impression de toucher le rock du doigt.

 Mais aujourd’hui, «être rock» ça ne veut plus dire grand-chose, c’est vouloir à tout prix monter dans un ancien train de la mode. Terrorisé à l’idée d’être proscrit par les obsédés de «La Carte» le mouton devient caméléon pour épouser «le goût des autres», cette hantise de devenir celui qu’on préfère ne pas voir qu’Agnès Jaoui a si bien décrit dans son film. Si vous saviez combien j’en ai vu passer des types qui «avaient la carte»…

Où sont-ils aujourd’hui ? Il m’a toujours semblé qu’il ne fallait jamais être «dans le vent», mais être le vent lui-même ou rien, ou ne serait-ce que soi.

Le vent, bien sûr, ça balaie tout, ça chamboule avec force, et puis ça passe.

Finalement la seule chose qui compte, c’est de tenir la longueur.

Alors être « rock »…

Jean-Marie Périer

PS : Article paru dans « Le Villefranchois » le 5 juin 2014.

13 Mai

La Marseillaise n’appartient à personne

En 1960, lorsque je suis parti faire mes vingt-huit mois de service militaire, la première chose que l’armée m’a appris, c’est à respecter la Marseillaise. Et ceux que j’ai vu se faire tuer en Algérie m’ont surement aidés à en comprendre le sens (comme vous pouvez le voir, moi j’avais la chance de tenir une caméra et non un fusil, donc n’allez pas penser que je me prends pour un héros.)

Copyright Jean-Marie Périer

Copyright Jean-Marie Périer

Aussi, de la part de Madame Taubira, désigner la Marseillaise comme un «Karaoké» n’est certes pas des plus fins, mais j’ai le sentiment qu’elle a surtout traduit un malaise commun à certains de nos politiciens.

Moi ce qui me choque beaucoup plus depuis toujours c’est de voir les partis politiques de tous bords chanter l’hymne national à la fin de leurs meetings. La Marseillaise appartient d’abord à tous les français et non à une tendance qu’elle soit de droite, de gauche ou de quelque extrême. De quel droit un parti transforme-t-il un chant pour lequel tant d’hommes sont morts en slogan publicitaire pour ses idées ? Sans compter le spectacle affligeant de ces gens au garde à vous, les bras raidis par la recherche d’une dignité illusoire, l’oeil rivé vers le ciel pour tenter de cacher qu’ils ne connaissent que la première phrase du texte (généralement ils se détendent à : « Abreuve nos sillons ») et dans l’espoir qu’arrive la fin de cette mascarade, tout en s’adonnant au hit parade de celui qui chantera le plus faux.

Je crois que ceux qui se taisent sont simplement conscients du ridicule de la situation et je suis convaincu que la plupart des politiciens seraient soulagés qu’on ne leur impose plus cette torture à la fin de leurs meetings.

Ainsi la Marseillaise retrouverait son rôle de lien de tous les Français, on la réserverait seulement aux vraies grandes occasions, rendant ainsi hommage à tous ceux qui ont donné leur vie en son nom. L’hymne national n’est pas un pensum, il est tout ce qui nous reste du temps où la France était dirigée par des gens qui la respectaient, quand elle était encore dans le peloton de tête des nations au lieu d’être en passe de devenir le jardin d’acclimatation du monde libre.

Jean-Marie Périer

03 Avr

Jean-Claude Luche

On ne peut pas s’intéresser sérieusement aux Aveyronnais sans rencontrer ceux qui les dirigent. Il est de bon ton dans la faune médiatique de s’adonner à l’admonestation forcenée des politiques du pays. Aussi permettez-moi de ne pas suivre cet exemple.

C’est donc avec plaisir et sans à priori que je me penche aujourd’hui sur le cas de Jean-Claude Luche, le président du conseil général de l’Aveyron.

Copyright Jean-Marie Périer

Copyright Jean-Marie Périer

Né à Pierrefiche, un petit village de l’Aveyron, son parcours de la ferme familiale à sa situation actuelle est édifiant. Après avoir commencé en travaillant au Crédit Agricole, il a vite pris goût à la vie publique en devenant maire de son village puis de St Geniez d’Olt, la ville voisine. Sa façon de faire de la politique n’a pas grand-chose à voir avec celle des joueurs d’échecs des salons de la capitale, sa promiscuité avec la population n’est pas feinte et s’il aime les gens de son pays, ces derniers le lui rendent bien. Je ne serais pas étonné que cet Aveyronnais pur sucre soit la fierté des gens d’ici, car sa réussite s’apparente un peu à celle d’un curé de campagne qui deviendrait pape.

Mais il n’est pas arrivé là par hasard. Il faut le voir évoluer dans les rues des villes, saluant les passants en les appelant tous par leur prénom. Quand j’imagine sa vie au quotidien je ne suis pas certain de l’envier. Etre responsable des finances d’un département signifie qu’il ne croise que des gens qui réclament, qui se plaignent ou qui râlent, et je crains que ceux qui remercient soient moins nombreux.

Déjà le rôle de maire d’une petite ville n’est pas une sinécure, il faut sans cesse décider, calmer, trancher, recruter, ne pas trop promettre tout en tenant ses promesses, ça sent l’emploi du temps chargé, alors vous imaginez gérer tous les maires d’un département ? En quelque sorte, ça revient à être un peu la mère des maires.

Son sourire ressemble à son terroir, il a l’aisance des gens du midi mais sans la roublardise de ceux des bords de mer. Je ne retrouve pas dans son discours les tics exaspérants des chantres de la langue de plomb qui toutes les trois phrases nous réclament l’indispensable

« RASSEMBLEMENT » devant le déclin « SANS PRECEDENT » de la France, « CINQUIEME PUISSANCE MONDIALE », tous ces mots vidés de leur sens par l’hégémonie des inévitables « éléments de langage » qu’on impose en intraveineuse à l’homme politique de base.

Tout en l’observant serrer des mains alentour je me demande finalement si la force de Jean-Claude Luche ne viendrait pas d’avoir une tête d’unité nationale.

Il m’a d’abord présenté son frère, lequel a repris la ferme familiale, puis sa belle-sœur qui tient l’épicerie du village après avoir participé à la traite du matin, enfin il n’a pu s’empêcher de me faire rencontrer sa meute, autrement dit sa passion. Autant sur sa vie personnelle il aurait tendance à faire court, autant il est infatigable sur ses chiens. Là bien-sûr je suis en terrain conquis, même si les exploits de ses bêtes au cours d’une partie de chasse ridiculiseraient ma chienne, laquelle prend la fuite devant la moindre taupe.

Soudain je comprends mieux comment il fait face à toutes ses responsabilités, il lui suffit de venir dans son chenil et de s’y asseoir tout en défaisant sa cravate, le regard d’un chien étant, comme chacun sait, la plus belle des récompenses.

Jean-Marie Périer

Post-scriptum : Madame Christine Boutin est une abomination.

11 Mar

Mon arrière-grand-mère Réjane, la plus grande comédienne de son temps

Ma famille est tellement variée que j’ai oublié de vous en présenter un des membres importants, et non des moindres.

Au début du siècle dernier mon arrière-grand-mère était, avec Sarah Bernardht, la plus grande comédienne de son temps.

Elle s’appelait Réjane. A une époque où sur la scène, les acteurs déclamaient de manière emphatique les grands classiques de la tragédie, Réjane, née du côté de la porte Saint Martin ne reniera jamais ses origines, apportant au théâtre populaire ses lettres de noblesse en gardant cet accent faubourien qui deviendra son style.

Réjane (collection privée Jean-Marie Périer)

Réjane (collection privée Jean-Marie Périer)

Son père, un ancien comédien dirigera plus tard le théâtre de l’ambigu, pendant que sa femme Alphonsine s’occupera de la caisse. C’est ainsi que petite fille, elle découvrira sa vocation en passant sa jeunesse dans les coulisses à imiter les acteurs aux heures où les enfants s’endorment.

En 1872, elle a quinze ans, et elle entre naturellement au conservatoire d’art dramatique de Paris. En fin d’année elle obtient le second prix d’interprétation et c’est à partir de là que la petite Gabrielle Reju devient la grande Réjane.

Lorsqu’il la rencontre, Paul Porel est le directeur du théâtre du Vaudeville, certainement l’établissement le plus prestigieux de Paris, c’est donc un homme puissant qui s’éprend de cette femme aussi belle qu’insolente. Il a quinze ans de plus qu’elle et il va lui vouer sa vie.

Ils deviendront bientôt un couple très en vue des soirées parisiennes.

A partir de là, Réjane va enchaîner les pièces. De « Georgette Lemeunier » à « Zaza », en passant par « La maison de poupée » d’Ibsen, elle interprètera enfin son plus grand succès, « Madame Sans gêne », la pièce de Victorien Sardou (aucun lien avec Michel, celui qui épousera ma sœur Anne-Marie, si ce n’est le talent). Ce rôle d’une femme du peuple est très nouveau dans l’univers du théâtre, et le fait qu’une pièce soit centrée sur un personnage de ce genre a pour effet de déclencher la fureur des conservateurs de l’époque, lesquels iront jusqu’à provoquer une interpellation à la Chambre. Prouvant ainsi que les hommes politiques n’étaient guère plus sérieux qu’aujourd’hui.

Réjane va désormais jouer sur les scènes du monde entier.

Il est étrange de penser qu’au début du vingtième siècle, alors qu’il n’y avait ni téléphone, ni internet, où qu’elle aille, outre-atlantique, en Russie, en Grèce ou en Italie, partout elle faisait salle comble.

Au moment de l’affaire Dreyfus, Réjane et Paul Porel entraîneront la moitié de Paris à leur suite dans la défense du malheureux capitaine. C’est ainsi que Marcel Proust deviendra l’ami de la grande comédienne, du reste il habitera chez elle dans les heures difficiles.

En ces temps-là, les défilés des grands couturiers n’existaient pas, c’est en choisissant les robes pour incarner leurs rôles que les actrices lançaient les modes.

Réjane avait pour habitude d’aller faire ses courses dans son petit cab, une élégante carriole à deux places tirée par les deux mules que lui avait offert le roi du Portugal.

Cette voiture était désormais très connue sur la terre battue des Champs Elysées car Réjane faisait mettre sous le harnais de ses deux mules des bouquets de violettes à la hauteur de l’oreille.

Aussi, lorsque, passant devant l’Elysées, elle croisait la voiture du président Emile Loubet, celui-ci ne manquait jamais de lever son chapeau pour la saluer au passage. Il arrivait qu’elle ne fût même pas dedans, c’est donc amusant de penser que le Président saluait parfois des mules.

Après un divorce d’avec son mentor et un dernier amour pour un jeune italien, Réjane ne cessera de parcourir le monde en soulevant l’enthousiasme des foules. Comme Sarah Bernhardt, Coquelin ainé ou Caruso elle restera un de ces monstres sacrés que l’on visite comme un grand monument.

Puis elle ira finir sa vie entre Venise et Paris afin de faire cadeau de ses derniers sourires à l’enfant de son fils, sa petite fille, ma mère Jacqueline Porel.

Et puis un jour viendra la fin qui verra Marcel Proust se pencher une dernière fois sur le corps de Réjane.

Ainsi le premier des écrivains du 20ème siècle dira adieu à la dernière des comédiennes du 19ème.

Je réalise une fois de plus en écrivant cette chronique combien il est agréable d’avoir la chance d’être fier de sa famille.

Jean-Marie Périer

19 Fév

Régis Pagniez

Ils sont rares les amis de cinquante-six ans, il ne m’en reste que deux, Daniel Filipacchi et Régis Pagniez. Vous ne connaissez pas le nom de ce dernier et pourtant il a façonné le visuel de la plupart des magazines que vous feuilletez depuis l’après-guerre et ce jusqu’à l’an 2000. Au début des années 50, il travaille à la maquette de « Paris-Match » et « Marie-Claire ». En 1962 il crée la mise en page on ne peut plus moderne pour l’époque de « Salut les copains », « Mlle âge tendre » et « LUI » magazine. Ensuite Régis sera également le directeur artistique de « ELLE » en France et aux Etats-Unis. Six journaux qui marqueront fortement soixante années de la presse de notre pays, c’est beaucoup pour un seul homme.

Copyright Jean-Marie Périer

Copyright Jean-Marie Périer

Régis était au groupe Filipacchi ce que l’ail est à la cuisine, sans lui rien n’aurait eu de goût. Quiconque le rencontre ne peut s’empêcher de s’y attacher, c’est une sorte d’anarchiste aristocrate qui pousse la coquetterie jusqu’à surtout n’avoir l’air de rien. Il cache une sensibilité à fleur de peau derrière un paravent de phrases négatives à la limite d’un cynisme trop énorme pour être sincère.

Je le rencontrai en 1956 et à mon retour d’Algérie j’ai eu la chance formidable de vivre avec lui et sa famille certainement les douze plus belles années de ma vie. En effet nous partagions à Paris des ateliers mitoyens, lui, sa femme Jamie et ses deux filles d’un côté et moi avec ma vie de célibataire insouciant de l’autre.

Cet arrangement tenait du mariage idéal, chez Régis on entendait des rires d’enfants et chez moi c’était la fête continuelle, il y avait de la musique tout le temps. Et fort, trop fort sûrement. Sauf pour Anne et Fanny, les deux fillettes de Régis que ce vacarme amusait. Avec les Pagniez, nous vivions un peu en communauté, bien avant que les hippies y pensent, mais sans les chemises à fleur et les chèvres du jardin. Dans les années 60-70 notre appartement voyait passer du beau monde, Anne et Fanny prenaient leur petit déjeuner avec Françoise Hardy, rigolaient aux blagues de Dutronc ou Johnny et venaient en douce danser le soir pendant que les « copains » musiciens  du monde entier se plaisaient à s’éclater la tronche au son des Rolling Stones ou de James Brown. Etait-ce un bon exemple ? Sans doute car aujourd’hui je vous rassure elles vont très bien.

Si je vous en parle aujourd’hui c’est parce que je lui ai dédié ma dernière exposition au Bazacle de Toulouse et que beaucoup de visiteurs me demandaient de qui il s’agissait. Aujourd’hui il est toujours mon ami proche et comme il vient me voir de temps en temps dans l’Aveyron, si vous me croisez un jour au marché en compagnie d’un homme aux cheveux blancs et aux chaussures raffinées, vous saurez désormais que c’est lui, Régis Pagniez.

Jean-Marie Périer

05 Fév

Arrêtez de plaisanter avec la drogue !

Sans vouloir jouer les rabat-joies, il me semble urgent de mettre un frein à cette mode récurrente dans les médias qui consiste à faire de l’humour sur le cannabis et autre cocaïne. C’est bien joli de la part de certains chroniqueurs ou présentateurs parisiens de faire la promotion des drogues à seule fin de redorer leur petit blason de vieux jeune branchouillé, cela participe néanmoins d’un mépris absolu pour tous ces jeunes gens au quotidien défavorisé (ou non défavorisé) qui par ennui autant que par manque de repères, se piquant de vouloir ressembler à celui qui brille « dans le poste », finiront par se piquer tout court pour finir en légume sur le gazon des squares ou en momie agenouillée dans les toilettes d’une gare. Je connais personnellement un bac + 5 qui aujourd’hui ne parle plus qu’aux cailloux.

Drogues

Copyright Jean-Marie Périer

Croyez-moi, je n’ai rien à voir avec les cathos-bobos-neotrucs de la droite extrême qui fleurissent les rues des grandes villes ces temps-ci, pas plus qu’avec les impétrants-gauchos-bonne-conscience qui leur succèdent en confondant nos rues avec des déversoirs à idées mal digérées voire incomprises. Beaucoup d’entre eux manifestent pour être «CONTRE», ils me donnent le sentiment de ne même plus savoir vraiment contre quoi.

Je me permets ce sursaut d’énervement parce que je constate que cette mode de la plaisanterie sur les drogues est tellement entrée dans les moeurs des médias qu’on oublie que rien que le cannabis peut mener à des dérives mentales irréversibles chez des gens trop jeunes dont le cerveau est beaucoup plus fragile qu’on ne le pense. Ça fait quarante ans que j’assiste à cette débâcle et le phénomène ne fait qu’empirer. Alors bien sûr, j’en entends déjà qui me diront : «Et toi qu’est-ce que tu faisais avec les Rolling Stones en 67 ? » C’est vrai, mais d’abord moi j’avais 27 ans, je n’ai jamais touché à rien d’autre et en plus je fumais du Ganja qui arrivait direct de Peshawar, ça n’avait rien à voir avec les saloperies chimiques que les mômes ingurgitent aujourd’hui. Et puis j’ai arrêté dès que j’ai eu des gosses et en tout cas, je n’ai jamais poussé quelqu’un à le faire.

Pour ce qui est de la légalisation du cannabis, j’avoue être partagé. A part la possibilité de rapporter de l’argent à l’Etat, ce qui me semble toujours une bonne intention si ça permet de baisser les impôts (depuis quand n’a-t-on plus le droit de rêver ?), l’idée que la mettre en vente libre découragera les dealers me semble un peu naïve. Je vois mal les pontes du trafic aller pointer à l’ANPE du jour au lendemain. Je crains qu’au contraire ils mettent sur le marché un produit plus dangereux, moins cher et qui aura l’attrait de l’interdit. Car c’est pour beaucoup cet interdit qui pousse les jeunes gens à essayer, la posture de fraudeur rebelle en a fait plonger plus d’un. C’est pourquoi je demande aux irresponsables qui ont la chance d’avoir une tribune de cesser leurs plaisanteries sur les drogues diverses, ce faisant ils les banalisent, les excusent, ils les rendent fréquentables. Ça finit par des morts, je peux vous assurer que je sais de quoi je parle.

Jean Marie Périer

11 Jan

Jacques Bonpunt

Je vous l’avoue, il m’arrive de regretter le Paris de ma jeunesse.

Du temps où l’incivilité n’avait pas encore envahi les rues, où la peur «de l’autre» ne se lisait pas dans les regards, où les discussions se faisaient bruyantes au bistrot au lieu d’être confessées à «twitter», ce monstre tentaculaire censé vous offrir des milliers d’amis, alors que si on arrive à s’en faire cinq dans une vie c’est déjà beaucoup.

Aujourd’hui dans le métro on ne voit plus que des nuques penchées sur l’écran d’un «smartphone», courbées un peu comme à la messe, mais sans Bon Dieu, ni encens, ni musique.

Au bout de dix ans d’Amérique, j’avais quitté les New-Yorkais à cause de leur obsession de la réussite sociale, aussi quelle ne fut ma surprise en revenant à Paris de ressentir une atmosphère étrange, comme une envie digne de «Pacman» de surpasser l’autre, force m’était de constater que la plupart des gens étaient gagnés par cette même maladie.

C’est pourquoi je vous présente Jacques Bonpunt, un des derniers Parisiens à me rappeler ce temps où l’hôtel du Nord n’était pas un musée.

Jacques Bonpunt. Copyright : Jean-Marie Périer

Jacques Bonpunt. Copyright : Jean-Marie Périer

Il tient une petite échoppe au 42 rue de Grenelle, rue que l’on devrait d’urgence rebaptiser «la rue de la pompe» attendu qu’on n’y trouve plus que des magasins de chaussures de luxe.

L’homme est une des dernières figures du quartier, son atelier semble figé dans les années 50, au temps où il gagnait sa vie en lavant les verres pour trente centimes de l’heure au club Saint Germain, le centre du monde du jazz de l’époque.

Après avoir suivi des études d’arithmétique dans le but de devenir serrurier, il va diriger une grande usine et c’est par choix qu’il abandonnera une situation enviable pour reprendre ce petit magasin appartenant à son père.

Il jure que jamais il ne se retirera : «La retraite, ce n’est pas fait pour ceux qui ont un métier, c’est à dire une passion, c’est fait pour ceux qui ont un emploi.»

Un membre de sa famille, Bertrand Bonpunt, vivait à Rodez. Il était percepteur et peintre par passion. Sa situation particulière lui permettant d’entrer partout, il en avait profité pour peindre tous les châteaux de l’Aveyron. C’est pourquoi je trouve que les Bonpunt sont un joli lien entre Paris et l’Aveyron, ma région d’adoption.

Un percepteur poète…

Vous voyez, tous les espoirs sont permis.

Jean-Marie Périer

30 Déc

A propos de Luc Ferry, des animaux et de Brigitte Bardot

La première fois que j’ai rencontré Luc Ferry c’était il y a longtemps chez Carla Bruni et je me souviens de l’avoir un peu bêtement agressé sur l’inutilité des philosophes, ce qui était d’autant plus idiot que je n’avais aucune idée sur la question, mon but était juste de l’attaquer pour le plaisir de la conversation. Je n’en tire aucune fierté, d’autant plus que j’étais passablement enivré comme ça m’arrive hélas après seulement deux verres de vin de bonne facture.

Vous n’imaginez pas le nombre incroyable de gens que je me suis définitivement mis à dos à cause de ce travers, des gens qui auraient pu changer diamétralement le cours de ma vie professionnelle m’ont détesté dans l’instant (à juste titre) à cause de ce désir aussi orgueilleux que stupide de vouloir choquer pour faire l’intéressant, à seule fin de me faire des petites peurs inutiles. Comme Luc Ferry est un homme intelligent il ne m’en a pas tenu rigueur et je lui en sais gré.

Et voilà qu’il y a quelques instants en conduisant ma splendide Torpedo, je l’entends à la radio s’insurger contre cette théorie des plus stupides selon laquelle, dans la loi française actuelle, on considère les animaux comme des meubles (vous avez bien lu, un chien, un chat, un meuble, même combat !!!). Luc Ferry déclara son mépris pour une telle aberration. J’en lâchai presque mon volant tant l’envie de l’applaudir m’assaillait. Mais pourquoi cet homme qui a toute mon estime se crut-il alors obligé de rajouter :

« On n’est pas obligé d’adhérer aux thèses de Brigitte Bardot pour défendre les animaux ! ». Mon sang n’a fait qu’un tour (voir photo ci-dessous).

 JMP

Ce sujet était venu sur la table à cause d’une pétition à laquelle il avait apposé sa signature pour lutter contre cette loi ignoble. Bien. Mais je ne vois pas le rapport existant entre la signature d’une pétition et Brigitte Bardot. Si accoler son nom à une cause peut être considéré comme éventuellement louable, ce n’est rien à côté du dévouement que représente l’action de Bardot, laquelle aura passé la deuxième partie de sa vie à se battre pour la défense des animaux.

Il n’y a rien de glorieux à faire partie d’une liste d’autographes plus ou moins célèbres, j’ai fait cette erreur une fois dans ma vie et je n’en tire aucune gloriole. Pire j’en ai même un peu honte, car prêter son nom le temps d’une signature tient plus de l’aumône au sortir de la messe que de l’engagement sérieux. Cet acte par trop judéo-chrétien permet surtout d’avoir bonne conscience avant de retourner à ses petites préoccupations personnelles.

Se désolidariser de Brigitte Bardot à cause de quelques phrases regrettables me semble inconséquent. Ce qu’elle dit m’importe moins que ce qu’elle fait. La ténacité de sa compassion pour la cause animale me semble beaucoup plus importante et respectable que ses déclarations que je préfère oublier ne serait-ce qu’en raison de la tendresse que je lui porterai toujours.

Jean-Marie Périer

23 Déc

Gong Li

Gong Li

 

Est-ce l’effet « NOEL » ? Cette nuit j’ai rêvé de Gong Li.

Il y a quelques années j’ai eu le privilège de la photographier.

Le moment était toujours étrange puisqu’elle ne parlait ni le français ni l’anglais et que mes connaissances en chinois ont toujours été, comme chacun sait, assez restreintes. Elle arrivait dans mon studio, toujours entourée d’une cour d’au moins sept ou huit personnes arborant ce sourire accroché qu’ont parfois les asiatiques lorsqu’ils désirent vous tenir gentiment à distance. Elle seule ne souriait jamais avant la fin de la séance, symbolisant par là son obsession du travail bien fait, obsession qu’elle partage avec plus d’un milliard trois cent millions de ses compatriotes, ce qui, vous l’admettrez à de quoi influencer n’importe qui.

Reconnue comme une des plus belles femmes du monde, Mademoiselle Gong Li est d’abord avant tout l’ultime princesse de son pays. On n’imagine pas le pouvoir de cette jeune femme devenue en quelques années la plus grande star de cinéma de son époque.

Aussi je puis vous dire que moi qui ai fréquenté un nombre impressionnant de gens exceptionnels, lorsque Gong Li daignait m’accorder le regard que vous pouvez admirer sur cette photo, eh bien je ne faisais pas le fier, car du haut de son mètre quatre-vingt dix, je vous assure que la dame en impose. Mais parce qu’en cet instant elle était le modèle et que j’étais le photographe, elle se pliait à mes exigences en acceptant d’oublier l’habitude de donner des ordres que sa beauté et sa fonction lui confèrent depuis toujours.

Pour nous aider à communiquer, il y avait une traductrice aussi terrorisée qu’inutile que nous n’écoutions ni l’un ni l’autre. Alors nous parlions par signes, je levais les bras, elle faisait de même, je tournais la tête, elle suivait le mouvement. Mon seul contact avec elle aura donc été cette espèce de danse sans musique qui nous unissait pendant une ou deux heures, une sorte de slow muet sans que nos corps se touchent.

A la fin de la séance, elle m’accordait un sourire et me tendait sa main, ce qui dans son langage pourrait correspondre à l’explosion de joie du stade de France à une victoire du PSG. Ensuite Mademoiselle Gong Li me faisait savoir par son aéropage qu’elle avait été heureuse de me revoir, puis elle quittait la pièce comme sur coussin d’air.

La qualité de ses silences valait bien toutes les phrases. J’ai dû travailler avec elle cinq ou six fois en dix ans. Elle n’a jamais prononcé mon nom.

Jean-Marie Périer

Cet article est paru précédemment dans « Le Villefranchois », le journal des Aveyronnais.