L’autre jour à la radio, j’ai entendu quelqu’un déclarer : «Moi je suis rock !». Cette assertion m’a semblé tellement dérisoire que j’aurais aimé pouvoir lui dire :
Le rock c’est d’abord une musique et une danse. Point.
La volonté de vouloir « être rock » de nos jours est une lubie d’admirateur fantasmant d’être John Lennon au début des années 70.
Les obsédés de la «branchouille» croient qu’il suffit de mettre des lunettes noires, un blouson de cuir et de jeter une télé par la fenêtre pour se forger une identité de rebelle, alors que ce n’est que l’apanage des suiveurs.
Quand j’ai rencontré les Beatles et les Rolling Stones, ils étaient en cravate, ce qui ne les empêchait pas «d’être» le rock, le vrai, celui que j’ai eu le privilège de voir de près à ses débuts. Je me méfie toujours de ceux qui ont la panoplie.
Par exemple, Jean Genêt que j’ai côtoyé pendant quelques mois au début des années 70 avait l’air de tout sauf d’un écrivain. On aurait dit un peintre en bâtiment. Pourtant, Dieu sait s’il l’était «rock» selon la formule consacrée, mais il ne tentait pas de le paraître.
Chuck Berry, un des inventeurs de la musique rock, avec lequel j’ai traversé le Sud des Etats-Unis en 1966 ne voulait ni manager ni musiciens, il faisait sa tournée seul en décapotable, engageant des musiciens dans des bars pour le concert du soir et il n’entrait sur scène qu’après avoir reçu son cachet en cash. Son attitude était-elle donc «rock» ?
En tout cas c’était sans le rechercher.
Keith Richards, torse et pieds nus sur le tarmac de l’aéroport de Houston, trainant une écharpe sanscrite en buvant au goulot d’une bouteille de Bourbon sous un soleil de plomb avant de s’effondrer dans l’avion privé des Rolling Stones, vivait ce que les autres désigneront plus tard comme l’attitude «Rock». Mais lui au moins il l’inventait.
Je me souviens aussi du grondement de pieds des spectateurs ébranlant le sol du Madison square garden de New York pour un concert des Stones. Des milliers de gens qui n’ont pu entrer hurlent au dehors tandis qu’un orage éclate affolant les chevaux des policiers débordés par la foule, vision d’apocalypse. Je retrouve Mick Jagger seul dans sa loge, le visage posé sur sa main, en train de se regarder dans un miroir. Il a l’air triste. Comme je lui demande si ça va, il me regarde et me dit :
«Oui. Je m’ennuie, c’est tout.»
Alors ce jour-là, d’accord, j’ai eu l’impression de toucher le rock du doigt.
Mais aujourd’hui, «être rock» ça ne veut plus dire grand-chose, c’est vouloir à tout prix monter dans un ancien train de la mode. Terrorisé à l’idée d’être proscrit par les obsédés de «La Carte» le mouton devient caméléon pour épouser «le goût des autres», cette hantise de devenir celui qu’on préfère ne pas voir qu’Agnès Jaoui a si bien décrit dans son film. Si vous saviez combien j’en ai vu passer des types qui «avaient la carte»…
Où sont-ils aujourd’hui ? Il m’a toujours semblé qu’il ne fallait jamais être «dans le vent», mais être le vent lui-même ou rien, ou ne serait-ce que soi.
Le vent, bien sûr, ça balaie tout, ça chamboule avec force, et puis ça passe.
Finalement la seule chose qui compte, c’est de tenir la longueur.
Alors être « rock »…
Jean-Marie Périer
PS : Article paru dans « Le Villefranchois » le 5 juin 2014.