Est-ce l’effet « NOEL » ? Cette nuit j’ai rêvé de Gong Li.
Il y a quelques années j’ai eu le privilège de la photographier.
Le moment était toujours étrange puisqu’elle ne parlait ni le français ni l’anglais et que mes connaissances en chinois ont toujours été, comme chacun sait, assez restreintes. Elle arrivait dans mon studio, toujours entourée d’une cour d’au moins sept ou huit personnes arborant ce sourire accroché qu’ont parfois les asiatiques lorsqu’ils désirent vous tenir gentiment à distance. Elle seule ne souriait jamais avant la fin de la séance, symbolisant par là son obsession du travail bien fait, obsession qu’elle partage avec plus d’un milliard trois cent millions de ses compatriotes, ce qui, vous l’admettrez à de quoi influencer n’importe qui.
Reconnue comme une des plus belles femmes du monde, Mademoiselle Gong Li est d’abord avant tout l’ultime princesse de son pays. On n’imagine pas le pouvoir de cette jeune femme devenue en quelques années la plus grande star de cinéma de son époque.
Aussi je puis vous dire que moi qui ai fréquenté un nombre impressionnant de gens exceptionnels, lorsque Gong Li daignait m’accorder le regard que vous pouvez admirer sur cette photo, eh bien je ne faisais pas le fier, car du haut de son mètre quatre-vingt dix, je vous assure que la dame en impose. Mais parce qu’en cet instant elle était le modèle et que j’étais le photographe, elle se pliait à mes exigences en acceptant d’oublier l’habitude de donner des ordres que sa beauté et sa fonction lui confèrent depuis toujours.
Pour nous aider à communiquer, il y avait une traductrice aussi terrorisée qu’inutile que nous n’écoutions ni l’un ni l’autre. Alors nous parlions par signes, je levais les bras, elle faisait de même, je tournais la tête, elle suivait le mouvement. Mon seul contact avec elle aura donc été cette espèce de danse sans musique qui nous unissait pendant une ou deux heures, une sorte de slow muet sans que nos corps se touchent.
A la fin de la séance, elle m’accordait un sourire et me tendait sa main, ce qui dans son langage pourrait correspondre à l’explosion de joie du stade de France à une victoire du PSG. Ensuite Mademoiselle Gong Li me faisait savoir par son aéropage qu’elle avait été heureuse de me revoir, puis elle quittait la pièce comme sur coussin d’air.
La qualité de ses silences valait bien toutes les phrases. J’ai dû travailler avec elle cinq ou six fois en dix ans. Elle n’a jamais prononcé mon nom.
Jean-Marie Périer
Cet article est paru précédemment dans « Le Villefranchois », le journal des Aveyronnais.